Le premier facteur exogène est le poids du passé. Depuis plus de trente ans, les budgets de l’État, en France, ont toujours été adoptés et exécutés en déséquilibre. Il en est résulté une croissance continue de la part des dépenses inéluctables :
- La masse salariale : elle est fonction du nombre d’agents employés par l’État, fonctionnaires et contractuels, des décisions salariales passées, d’ordre général (valeur du point) ou catégorielles (régimes indemnitaires, repyramidage), ainsi que de la structure de ces emplois publics – mesurée par le glissement vieillesse technicité (GVT), qui additionne le coût des avancements automatiques des agents et de l’augmentation de leur qualification.
- Les pensions de retraite des fonctionnaires et assimilés : outre le nombre de pensionnés, fonction de la durée de la vie et du nombre d’agents employés par l’État par le passé, son montant varie selon la politique de gestion des ressources humaines dans l’administration (incitation à la cessation d’activité) et de la politique de revalorisation des pensions (modalités d’indexation).
- Le service de la dette : il reflète le stock, mais aussi la structure de la dette (produits indexés, durée des différents produits), et évolue avec le niveau des taux d’intérêt, les opérations de gestion de dette et le niveau de l’inflation, pour les titres indexés sur l’évolution des prix.
Par ailleurs, des décisions passées peuvent produire des effets pluriannuels, malgré la règle de l’annualité pour l’élaboration du budget, et donc contraindre la détermination de l’enveloppe des dépenses : lois de programmation, subventions aux collectivités territoriales, engagements politiques ou contractuels, mais aussi crédit-bail, loyers (notamment dans le cadre des partenariats public-privé), etc.
Le deuxième facteur dépend de la croissance économique. Une baisse de l’activité économique engendre des coûts pour l’État, liés notamment aux mécanismes d’assistance. Inversement, une croissance forte réduit ces derniers, mais peut aussi, dans une moindre mesure, augmenter les dépenses indexées sur la croissance (par exemple les subventions aux collectivités territoriales) ou susciter une demande sociale pour de nouvelles dépenses.
Enfin, des mécanismes automatiques s’imposent à l’État, sauf mesure de redressement. Il s’agit des dépenses évaluatives (par exemple les frais de justice ou les remboursements et dégrèvements d’impôt ; la LOLF leur a fait perdre ce caractère), mais aussi des prestations servies sans que la limitativité des crédits ne s’applique vraiment (dépenses dites "de guichet", notamment les prestations sociales, dont le versement est automatique dès lors que le demandeur respecte les conditions prévues par la loi).
Avant le début de la discussion budgétaire, le ministère des Finances détermine une norme d’évolution des dépenses. Elle est destinée autant à contribuer à la maîtrise des dépenses qu’à discipliner les acteurs du processus. Cette norme est désormais un des éléments fondamentaux du programme de stabilité et de croissance transmis chaque année à la Commission européenne. Son respect constitue dès lors le cœur de la crédibilité de la politique budgétaire. De son niveau dépend aussi le degré de difficulté de l’exercice de construction budgétaire.
Une fois la norme fixée par le Premier ministre, dévoilée dans la lettre de cadrage, la direction du Budget calcule, à partir des dépenses inéluctables identifiées, le montant de la marge de manœuvre dont dispose le Gouvernement dans la négociation budgétaire. Ce montant peut être négatif, ce qui signifie qu’une fois financées les hausses de dépenses liées au passé et aux priorités politiques, il faut répartir entre les ministères des économies budgétaires.
La détermination réelle du niveau des dépenses dépend alors de la décision de prendre des mesures de redéploiement (financer des dépenses nouvelles en en comprimant d’autres) ou de redressement (modifier un dispositif pour en diminuer le coût) ou, au contraire, de lancer des programmes nouveaux ayant un coût budgétaire.
Dans une période où le niveau des dépenses publiques est considéré comme le principal élément de la politique budgétaire, il peut être décidé de transformer des dépenses budgétaires en mesures fiscales (remplacer une subvention en crédit d’impôt, par exemple), ou de débudgétiser certaines dépenses (transfert de la charge à un autre opérateur public, financement d’une dépense par des mesures de trésorerie dans un établissement public, etc). Afin de rendre transparents ces choix budgétaires et de ne pas affaiblir la crédibilité de la norme de dépenses, le ministère des Finances établit une charte de budgétisation et indique l’évolution à structure constante du budget de l’État d’une année sur l’autre. Par ailleurs, la négociation budgétaire tend à globaliser les choix en matière de politique de dépenses et de recettes.
Avec la mise en œuvre de la LOLF et le développement des objectifs et des indicateurs, il est possible que la détermination des dépenses inclue également un volet lié à la performance des politiques publiques. Il devrait néanmoins rester limité : aucun pays n’a ainsi réussi à mettre en place un processus de budgétisation scientifique fondé sur la seule performance. La détermination des dépenses reste ainsi un exercice essentiellement politique.