La première période de gouvernement de la Sécurité sociale (1945-1967) se caractérise par une double ambition :
- construire un système couvrant les principaux risques sociaux (maladie, vieillesse et famille) alors que le pays sort exsangue de la Seconde Guerre mondiale ;
- parachever le système démocratique en y intégrant une classe ouvrière en pleine expansion, mais considérée jusque-là avec suspicion. Il s’agit d’intégrer les travailleurs dans la gouvernance économique et sociale du pays.
Les caisses de la Sécurité sociale sont ainsi gérées par les travailleurs eux-mêmes, à travers leurs représentants syndicaux élus lors des élections sociales (qui regroupent 75% de représentants des employés contre 25% des employeurs). Les conseils d’administration deviennent des lieux de décisions importants (vote du budget, nomination des directeurs de caisse et des agents de direction, niveau et modalités d’implication des administrateurs dans la gouvernance des caisses, etc.)
Cette gouvernance dite de "démocratie sociale" est liée aux évolutions économiques de la période :
- avec la hausse du nombre de salariés, le salariat devient peu à peu la norme. Il apparaît donc légitime que les cotisants et bénéficiaires soient responsables du système ;
- d’inspiration bismarckienne, la Sécurité sociale française puise ses ressources dans les cotisations salariales et patronales directement mobilisables.
Ce mode de gouvernance s'explique aussi par le contexte historique et politique : la gauche, en particulier le Parti communiste, est majoritaire et le syndicalisme est en plein essor. Confier un pan essentiel de l’État-providence à la classe ouvrière revient à lui reconnaître un rôle politique.
Cependant, cette "démocratie sociale" est placée dès son institution sous l'étroite surveillance de l’État, qui garde deux prérogatives essentielles : il fixe le niveau des cotisations sociales prélevées sur les salaires et celui des prestations versées aux assurés.
Le passage de la "démocratie sociale" au paritarisme est lié à l’institutionnalisation du régime de Sécurité sociale, sous l'impulsion des ordonnances Jeanneney de 1967. Ces dernières mettent en place l'organisation administrative et financière du régime de la Sécurité sociale. Des caisses nationales sont créées, avec pour mission d'assurer l'équilibre entre recette et dépenses liées à la protection sociale.
Ainsi :
- la Sécurité sociale se mue en institution redistributive, c’est-à-dire pourvoyeuse de prestations sociales. La vision du système devient moins politique et plus utilitariste. Ainsi, à partir de 1967, les administrateurs ne sont plus élus par les salariés mais désignés par les organisations syndicales, ce qui symbolise l’éloignement entre la gouvernance du système et les travailleurs ;
- elle subit également l’évolution des rapports de force au sein de l’entreprise. Avec l’ouverture de l’économie à la concurrence, les jeux d’opposition entre salariat et patronat se transforment en luttes d’influence, y compris au sein des organisations syndicales. La mise en place du paritarisme - c’est-à-dire, de l’égalité de représentation entre les employés et les employeurs – profite à ces derniers, qui réussissent à créer des alliances avec certaines fractions syndicales.
- pour lutter contre le risque de paralysie, l’État s’attribue un rôle central dans la gouvernance du système, ne laissant aux organisations syndicales qu’un rôle de supervision des caisses ;
- la recherche d’une efficacité managériale et gestionnaire amplifie la mise en tension de la gouvernance politique et technique du système.
Au cours de cette période, la Sécurité sociale s'éloigne de l'unique milieu professionnel pour s'étendre à l'ensemble de la population. Les "branches" de la Sécurité sociale sont créées. Chacune d'elle est associée à un "risque" (maladie, famille, retraite, accidents du travail et maladies professionnelles).
Au regard de l’importance des missions et des enjeux financiers que représente la protection sociale au milieu des années 1990, la Sécurité sociale s’inscrit désormais dans un système de "gouvernance". Celui-ci s'organise autour de l'État, qui en est l'acteur central et décisionnaire, et qui s'entoure d'une grande diversité d'acteurs (conseils généraux pour les caisses d’allocations familiales, agences régionales de santé pour les caisses primaires d’assurance maladie, etc.) avec lesquels il faut composer.
Les missions de la Sécurité sociale deviennent progressivement plus :
- complexes, car les contraintes budgétaires croissantes, qui déterminent la gestion des caisses, s'accompagnent de nouvelles contraintes administratives et règlementaires (contrôle réguliers des droits et des situations sociales des allocataires, par exemple) ;
- étendues, car loin de se borner au seul versement de prestations, les caisses investissent des champs nouveaux : la politique de la petite enfance, la lutte contre la précarité, la politique de gestion du risque, etc.
De même, les contrôles de la Sécurité sociale (qui porte sur l'efficacité ou la légalités des actions, par exemple) se renforcent. Ils mettent en scène des acteurs multiples qui peuvent intervenir pour :
- orienter la politique de protection sociale ;
- contrôler ou évaluer ses actions (missions nationales de contrôle, Inspection générale des affaires sociales, Cour des comptes, etc.)
La réforme Juppé de 1996 accroît le rôle du Parlement, désormais chargé de définir et voter chaque année une loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) qui intègre un Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam).