La première raison de cette obligation réside dans son affirmation solennelle par un texte de valeur constitutionnelle. L’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 dispose : "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits".
Une liberté sans bornes ne peut aboutir qu’à la loi du plus fort. Si la liberté de chacun est sans limite, une personne ne tardera pas, au nom de sa propre liberté, à empiéter sur celle des autres. Pour chaque liberté fondamentale, le législateur précise quelles en sont les limites, de manière à ménager les droits de chaque citoyen.
La liberté d’expression peut constituer un exemple. Chacun, en démocratie, est bien évidemment libre d’exprimer sa pensée. Néanmoins, si son expression prend, par exemple, la forme de propos à caractère diffamatoire et raciste, la liberté de l’auteur de ces insultes trouve sa limite dans le respect de la dignité d’autrui et le droit pénal vient sanctionner ces excès.
Un abus de droit constitue un usage déraisonnable ou disproportionné d'un droit, soit en le détournant de sa finalité, soit dans le but de nuire à quelqu'un.
En France, cette notion est apparue dans l'affaire Coquerel c/ Clément-Bayard en 1915. M. Clément-Bayard refuse de vendre son garage à son voisin. Ce dernier, pour se venger, plante des piquets dans son jardin. Les piquets percent un ballon volant utilisé par M. Clément-Bayard qui demande réparation. Le voisin fait valoir son droit de propriété le plus absolu, lui permettant de faire ce qu’il souhaite dans son jardin. Les juges considèrent l’usage du droit de propriété du voisin comme abusif puisque les piquets étaient inutiles et avaient pour intention de nuire à son voisin.
La Convention européenne des droits de l’Homme (article 17) interdit également la destruction et les limitations excessives des droits et libertés. Il s’agit, pour le titulaire d’un droit, d’en faire un usage préjudiciable, détourné de sa fonction initiale. Ainsi, une prise de position haineuse et antisémite, travestie sous l’apparence d’une production artistique, n’est pas protégée par l’article 10 de la Convention (liberté d’expression), et constitue un abus de droit au sens de l’article 17 (Cour européenne des droits de l’Homme, affaire M’bala M’bala c/ France 20 octobre 2015).