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Stéphanie : A son arrivée au pouvoir, en mai 1981, le nouveau gouvernement de gauche se propose de modifier en profondeur le code du travail. L’objectif est d’accorder de nouveaux droits aux travailleurs. Rue de Grenelle, le ministre en charge de cette réforme, s’appelle Jean Auroux. L’ambition affichée par le jeune ministre est de promouvoir une nouvelle citoyenneté dans l’entreprise et de moderniser les relations sociales en France. Les 4 lois qui portent son nom seront toutes promulguées au cours de l’année 1982.
Nous vous expliquerons dans le premier épisode dans quel contexte politique et syndical sont nées ces 4 lois. Dans le deuxième, nous reviendrons plus en détail sur le contenu de chacune d’entre elles. Enfin, dans le troisième et dernier épisode, nous nous demanderons quel est l’héritage laissé aujourd’hui par les lois Auroux.
Au sommaire de ce premier épisode : « Les lois Auroux : promouvoir la démocratie dans l’entreprise ».
[ARCHIVE : extrait du discours de Jean Auroux « Je voudrais transformer le code du travail en code de démocratie économique. Et cette démocratie est fondée sur 2 piliers : le droit d’expression direct qui est en quelque sorte la démocratie directe et puis pour la négociation, notamment, la démocratie représentative avec les différentes institutions qui existent]
1. Stéphanie : Patrice, nous venons d’entendre Jean Auroux. Il expose dans cet entretien l’objectif principal de son projet de réforme du code du travail. Pouvez-vous nous dire précisément, à quoi correspond cette grande réforme connue sous le nom de lois Auroux ?
Patrice : Les lois Auroux, ce sont - donc comme vous venez de le dire - 4 lois promulguées en 1982, la première le 4 août, une date symbolique dans l’histoire de France, [puisqu’elle fait écho à l’abolition des privilèges sous la Révolution en 1789] et la dernière juste avant Noël, le 23 décembre. Comme le dit Jean Auroux dans l’extrait que nous venons d’entendre, l’objectif central du projet de réforme est très ambitieux puisqu’il s’agit de promouvoir la démocratie dans l’entreprise.
[Intervention. Stéphanie : Et comment Jean Auroux compte-t-il y parvenir ?]
Patrice : Et bien cela doit passer par plusieurs changements : d’abord la création de droits nouveaux pour les travailleurs, ensuite le développement d’une culture du compromis au sein de collectifs de travail solides et structurés et enfin la transformation du code du travail en « code de démocratie économique » pour citer Jean Auroux.
[Intervention. Stéphanie : Et quelle est l’ampleur de cette réforme ?]
Patrice : La réforme va modifier de façon profonde le code du travail puisque près d’un tiers en sera finalement modifié. Mais il est vrai que cette réforme d’une ampleur considérable dans l’histoire du droit du travail a laissé moins de traces dans la mémoire collective que d’autres mesures sociales prises à la même époque qui portaient, elles, sur la réduction du temps de travail : la semaine de travail réduite à 39 heures, l’instauration de la 5e semaine de congé payé et la retraite à 60 ans.
2. Stéphanie : Revenons au mois de mai 1981. Dans quel contexte et de quelle manière la réforme est-elle lancée ?
Patrice : En mai 1981, François Mitterrand et la gauche remportent les élections présidentielle et législatives. C’est l’alternance après 23 ans de gouvernements dirigés par la droite. Les attentes sociales sont fortes. Dès le mois juin, lors d’un Conseil des ministres, le nouveau président de la République, François Mitterrand commande à Jean Auroux un rapport sur les droits des travailleurs.
[Intervention. Stéphanie : La démarche est plutôt inhabituelle non ? On confie plutôt cette tâche à un parlementaire en mission ou à un expert plutôt qu’à un ministre en exercice, n’est-ce pas Patrice ?]
Patrice : C’est assez inhabituel en effet Stéphanie mais en ce mois de juin 1981, c’est bien au ministre du travail que le président confie cette mission.
[Intervention. Stéphanie : En plus, Jean Auroux n’est pas encore très connu à l’époque]
Patrice : Oui Jean Auroux est encore peu connu, si ce n’est dans sa ville de Roanne, dont il est député-maire. Il est jeune. 39 ans à l’époque. Il n’est pas juriste, il est professeur d’histoire-géographie dans l’enseignement technique. Mais c’est justement pour cette raison que François Mitterrand le nomme ministre du Travail. Le président ne veut pas d’un spécialiste du droit du travail pour mener à bien la réforme mais un politique, le maire d’une ville dont les industries, notamment le textile sont frappées par la crise, donc quelqu’un qui connaît bien le monde ouvrier, et qui entretient de bonnes relations avec les syndicats.
3. Stéphanie : Jean Auroux est donc chargé de rédiger un rapport sur les droits des travailleurs, quelles en sont les sources d’inspiration ?
Patrice : Alors d’abord Stéphanie, il faut rappeler le contexte. L’élection de François Mitterrand survient après une décennie post-Mai 68 marquée par les revendications autogestionnaires et le rejet de l’organisation taylorienne du travail.
[Intervention. Stéphanie : Rappelez-nous ce qu’est l’organisation taylorienne du travail]
Patrice : Il s’agit d’une méthode d’organisation du travail dite scientifique qui repose sur une division horizontale et verticale des tâches et un contrôle de l’activité des ouvriers. Donc ce climat, post mai 1968 va avoir une certaine influence sur les réflexions de Jean Auroux. Mais celui-ci va également se nourrir à diverses sources dont une notamment remonte à la période de la Deuxième guerre mondiale : le programme du Conseil national de la résistance. Le CNR.
[Intervention. Stéphanie : Pourquoi celui-là en particulier ?]
Patrice : D’abord parce que le programme du CNR restait une référence historique largement reconnue et ensuite parce qu’il avait été conçu et validé par l’ensemble des forces politiques de gauche et de droite. Un point en particulier du programme retient toute son attention dont il souhaitait lui aussi faire un objectif central de son projet de loi : « l’instauration d’une véritable démocratie économique et sociale ».
[Intervention. Stéphanie : Et quelles sont ses autres sources d’inspiration ?]
Patrice : Le programme du candidat François Mitterrand bien sûr et celui du programme de la gauche (signé par le PS, le PC et le MRG), les nombreuses propositions de loi déposées par les parlementaires de gauche durant le septennat précédent de Valery Giscard d’Estaing ou encore les diverses revendications syndicales.
[Intervention. Stéphanie : Parmi toutes ces sources d’inspiration, il y en a surtout deux dont l’influence va être déterminante, n’est-ce pas ?]
Patrice : Oui Stéphanie la première c’est le programme du candidat François Mitterrand dont il s’agit tout de même d’honorer les promesses de campagne. Contrairement au programme du CNR, qui contenait surtout des principes généraux, les propositions faites par le président élu en 1981, sont concernant les réformes du travail, plus techniques et plus précises. Il s’agit de limiter le pouvoir patronal avec la mise en place d’un contre-pouvoir ouvrier dans les entreprises et de développer la capacité de contrôle des syndicats en donnant au comité d’entreprise un droit de veto sur l’embauche et les licenciements.
[Intervention. Stéphanie : Et quelle est la seconde source d’inspiration du rapport Auroux ?]
Patrice : La seconde, c’est le projet porté par - j’ouvre les guillemets – « les modernistes de la régulation sociale par la négociation » – je ferme les guillemets. Ce sont des haut-fonctionnaires du Commissariat général du Plan comme Bernard Brunhes, le conseiller pour les Affaires sociales de 1981 à 1983 de Pierre Mauroy, Premier ministre de François Mitterrand, mais aussi des syndicalistes modérés issus principalement de la CFDT et des patrons progressistes comme Antoine Riboud le fondateur et président de Danone. Ces modernistes considèrent qu’il existe en France une propension au conflit qui conduit l’État à intervenir constamment dans les relations sociales.
[Intervention. Stéphanie : Le chef de file de ces modernistes, c’est Jacques Delors, n’est-ce pas ?]
Patrice : Oui Stéphanie ! Jacques Delors en est en effet un des acteurs-clés. Ancienne figure importante du syndicat CFTC – devenue CFDT en 1964 – il est nommé en 1981 ministre de l’Économie et des Finances par François Mitterrand. Il est l’un des fondateurs au début des années 1970 d’un club de réflexion politique "Échanges et projets" au sein duquel se retrouvent bon nombre de ceux qui ambitionnent de moderniser les relations sociales. Plusieurs membres du cabinet de Jean Auroux sont d’ailleurs des hauts-fonctionnaires qui ont participé activement aux travaux de ce club.
[Intervention 11. Stéphanie : Et c’est donc l’influence des idées du courant moderniste qui va être déterminante ?]
Patrice : En effet puisque l’influence des modernistes va se traduire dans le rapport sur les droits des travailleurs par des propositions plus modérées que celles du programme du candidat François Mitterrand. Par exemple le droit de veto – qualifié de « formule de blocage » est remplacé par un droit d’alerte jugé plus souple et plus efficace. Quant au droit d’arrêter les machines dangereuses, il est remplacé - après d’intenses négociations avec le parti socialiste – par le droit de retrait individuel des salariés en cas de danger grave et immédiat. L’équipe de Jean Auroux s’inspirera pour cela des innovations juridiques développées à l’époque par l’Organisation internationale du travail (OIT).
4. Stéphanie : Que se passe-t-il après la publication du rapport Auroux ?
Patrice : Les syndicats et le patronat interrogés dès le mois de juin 1981 ne se montrent favorables ni à la cogestion, ni à l’autogestion. Jean Auroux en prend acte et propose un projet moins ambitieux tout en s’efforçant de bâtir un ensemble cohérent de réformes allant le plus possible dans une perspective de démocratie économique en faisant des salariés des citoyens et des acteurs du changement dans l’entreprise. Le rapport sur les droits des travailleurs est rendu public le 8 octobre 1981. Les choses vont ensuite très vite. Un mois plus tard, le 4 novembre, les orientations du rapport sont validées en Conseil des ministres. Ses déclinaisons législatives vont s’étaler tout au long de l’année 1982. L’équipe de Jean Auroux s’engage ensuite avec les syndicats, les partis de gauche et les parlementaires dans une démarche de coproduction législative. Les discussions parlementaires au sein de la majorité ou avec l’opposition de droite sont longues et laborieuses. Mais les 4 lois Auroux sont finalement votées puis promulguées au cours du 2e semestre 1982.
Dans le deuxième épisode, nous reviendrons plus en détail sur le contenu de chacune des 4 lois.
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