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© Romain Longieras - Hans Lucas/AFP

Aides publiques aux entreprises : un état des lieux

Temps de lecture  11 minutes

Par : La Rédaction

Les aides exceptionnelles mobilisées pour soutenir les entreprises face aux crises sanitaire et énergétique ont relancé le débat sur leur coût et leur efficacité. Près de 2 000 dispositifs publics bénéficient aux entreprises en France. Quels sont leurs effets ?

Aides à l'embauche, aides à la création d'entreprise, prêts garantis... Le soutien de l’État et des collectivités locales aux entreprises prend de multiples formes. Les aides publiques sont en forte haute depuis les années 2000 et elles se sont encore accrues depuis 2020.

Face au conséquences de la crise sanitaire liée au Covid-19 puis de la crise de l'énergie, le soutien de l'État a été massif. Si l'intervention de l'État en de telles circonstances a été unanimement saluée, des voix se sont élevées contre des dérives dans l'application du "quoi qu'il en coûte". En regard de l'effort produit par la collectivité publique, les entreprises se sont-elles suffisamment mobilisées en faveur de l'emploi ou de l'innovation ? Et plus largement, faut-il exiger des contreparties en échange d'aides publiques ?

Un foisonnement de dispositifs

Les aides publiques aux entreprises se répartissent entre quatre types principaux : subvention, garantie financière, prise de participation, exonérations fiscales et sociales. Créés par l’État ou des collectivités territoriales, des dispositifs existent pour chaque étape de la vie d’une entreprise : création et reprise, développement et difficultés. La base de données aides-entreprises.fr gérée par les chambres de métiers et de l'artisanat recense plus de 2000 aides publiques financières. Les aides interviennent d’abord en soutien des créateurs ou repreneurs d’entreprises, notamment : 

Certains dispositifs sont réservés à des entreprises innovantes, dont :

Le Plan France 2030, lancé en octobre 2021, vise à transformer les secteurs clés de l’économie par l’innovation, l’industrialisation et la recherche. 54 milliards d'euros sont mobilisés pour soutenir financièrement les projets innovants pour l’environnement et la décarbonation de l’économie.

D'autres aides s'adressent à des secteurs spécifiques : librairie, agriculture, filière bois, etc. ou sont liés au développement de territoires : exonérations fiscales dans certaines zones en difficultés comme les zones de revitalisation rurale (ZRR), les quartiers prioritaires de la ville (QPPV) ou les zones franches urbaines (ZFU).

En cours d’activité, les entreprises peuvent également bénéficier d’aides pour se développer, notamment : 

Les entreprises en difficulté peuvent également bénéficier de dispositifs de soutien : délais de paiement de dettes fiscales ou sociales, prêts de restructuration et financements.

D'autres aides ont été conçues pour répondre à des circonstances exceptionnelles.

Par exemple, lors de la crise sanitaire liée au Covid-19, des mesures urgentes ont été prises pour la prise en charge du chômage partiel et pour assurer la survie des entreprises (notamment par les prêts garantis par l’État - PGE).

Pour faire face à l’impact de la pandémie et redresser durablement l’économie, le plan d'investissements France relance (2020) a mobilisé 100 milliards d’euros, en partie pour renforcer la compétitivité et la souveraineté économique, baisser les impôts de production (10 milliards d'euros), financer en fonds propres des entreprises (notamment des TPE et PME) et soutenir l'investissement dans l'innovation et l'industrie.

Le Plan de résilience qui a suivi en mars 2022 a augmenté les dépenses d’intervention de l’État pour contrer les conséquences économiques et sociales de la guerre en Ukraine. Les mesures concernent essentiellement la hausse des prix de l'énergie et de l'essence. Certaines mesures liées au plan d'urgence sont prolongées : l'activité partielle et le PGE (qui devient le PGE résilience), notamment.

Pour soutenir les professionnels et commerces touchés par les dégâts lors des émeutes de juin-juillet 2023, des dispositifs ont été mis en place, par exemple :

Que dit le droit européen ?

Les aides publiques aux entreprises sont en principe interdites par le droit européen car elles "faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions" (article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne). Cependant, de nombreuses exceptions sont prévues. Par exemple, les aides dites de mimimis (d'un montant maximum de 200 000 euros sur trois exercices fiscaux) sont exclues du champ des aides d'État.

Quel coût pour quelle efficacité ?

Le montant global des aides publiques aux entreprises n’est pas précisément évalué. Il varie selon les sources et selon la période examinée - avant ou pendant la crise sanitaire.

La multiplication des dispositifs accumulés, leur nature différente et leur constante évolution rend difficile les évaluations et la lisibilité de l'action publique. D’autant plus que certaines aides interagissent entre elles et que les plans gouvernementaux peuvent être intriqués les uns dans les autres. Certains dispositifs "sont comptabilisés à la fois dans les 100 milliards de France Relance et dans les 54 milliards de France 2030, notamment pour les mesures en faveur de l’industrie" souligne par exemple le comité d’évaluation du plan France Relance (Deuxième rapport - décembre 2022).

Même constat dans les territoires : les aides financières des collectivités entre 2014 et 2020 représentent un peu plus de 8 milliards d’euros par an (1,3 milliard de subventions) a évalué un rapport de la Cour des comptes. Mais le manque de "rationalisation" et de "coordination", le contrôle "partiel et superficiel" des dépenses conduisent à "une lisibilité et une efficacité amoindries des politiques déployées".

Une récente note de la Cour des comptes (juillet 2023) évalue à 92,4 milliards d'euros le coût des aides de l’État aux entreprises pour faire face aux crises de 2020 et 2022. Le document estime à 260,4 milliards d'euros le soutien financier total (y compris les prêts garantis et report du paiement des cotisations sociales), soit 10% du PIB. Le bilan de ces mesures est jugé contrasté. Efficace pour soutenir la trésorerie des entreprises, préserver le tissu économique et sauvegarder l’emploi, le possible cumul des dispositifs "a augmenté le risque de versement de compensations indues au regard du préjudice subi.". La Cour pointe les difficultés de l’administration pour évaluer les besoins et la situation financière. Des aides ont été versées sans vérification des pertes subies. 

Le rapport pour l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) réalisé en 2022 par des chercheurs de l'université de Lille évalue à 157 milliards d'euros le montant global des aides publiques aux entreprises en 2019. Le ministère du budget évoque un montant de l'ordre de 140 milliards d'euros d'aides d'État en 2018 (en majorité des subventions). 

Il existe par ailleurs des évaluations sur des dispositifs ciblés, notamment :

  • le crédit d'impôt CICE, dispositif fiscal en vigueur de 2013 à 2018 évalué par France Stratégie. Son effet sur l'investissement ne semble pas significatif ;
  • les PGE : en 2022, la Cour des comptes constate "la réussite indéniable" du dispositif : 700 000 entreprises en ont bénéficié à hauteur de 140 milliards d’euros. La Cour critique toutefois l'absence de contrôle des engagements pris par les grandes sociétés (rapport "Les prêts garantis par l’État")
  • les aides à l'innovation et recherche et développement : une évaluation globale des dispositifs (JEI, aides Bpifrance...) en 2020 révèle notamment qu'ils ont augmenté l’emploi salarié total et dédié à la R&D, ainsi que les investissements et les performances des très petites, petites et moyennes entreprises (TPE-PME). "Les aides jouent un rôle notable dans l’innovation. Les énergies renouvelables, les smartphones, les nouveaux médicaments, les biotechnologies, les véhicules électriques n’auraient jamais vu le jour sans aide d’État" assure un rapport parlementaire de 2021

La remise en cause de l'efficacité réelle des aides et les critiques sur l'insuffisance de contrôle prennent de l'ampleur. Parmi les critiques les plus souvent émises :

  • les aides n'auraient pas fait baisser le coût du travail et n’auraient pas augmenté la compétitivité-prix. Elles créeraient au contraire un effet d’accoutumance, les entreprises considérant ces aides comme une rentrée courante et non comme des des gains exceptionnels ;
  • le dispositif de chômage partiel aurait été "dévoyé" en bénéficiant aux entreprises du CAC 40 qui ont continué à verser des dividendes à leurs actionnaires ;
  • la répartition des aides serait inégalitaire et inefficace, les plus grandes sociétés, par exemple, bénéficiant plus que les autres des exonérations d'impôts ;
  • les subventions directes n'auraient ni garde-fous ni contrôle a posteriori et il serait très difficile de tracer leur utilisation par les entreprises qui les reversent dans leurs ressources globales. 

Plus de contrôles ou de contreparties ?

La volonté de préserver ou les emplois ou de favoriser la croissance économique a conduit la France à se doter d'un système d'aides aux entreprises assez étendu. Dès 1999, un rapport de l'Assemblée nationale dénonce un dispositif "proliférant et incontrôlé" et propose la création d'un organisme qui puisse dresser un état de l'ensemble des aides aux entreprises en France. Le rapport s'interroge notamment sur la captation des aides publiques par des groupes internationaux qui délocalisent ensuite leur production.

Il n'existe "aucun cadre normatif unifié" pour le suivi des aides publiques déjà en place avant les crises, souligne le rapport parlementaire sur les conditionnalités des aides. Les contrôles existent, le contrôle général économique et financier (CGEFI) et l’Inspection générale des finances (IGF) en sont chargés, mais ils restent insuffisants. "L’organisation administrative française ne prévoit pas d’organes ministériels ou interministériels spécifiquement chargés de procéder au suivi et au contrôle des aides de l’État aux entreprises (…). Le système français d’évaluation des aides publiques est donc disparate et dépourvu d’organe de suivi et de contrôle", affirme le rapport. 

Face à ce constat, les milliards d'euros mobilisés faces aux crises ont relancé le débat sur les contreparties aux aides publiques.  Les opposants, parlementaires, ONG et syndicats dénoncent des "cadeaux" "sans aucun engagement en retour. Ils s'indignent en particulier devant les fermetures (usine Bridgestone dans les Hauts-de-France, par exemple) et délocalisations d’entreprises après avoir perçu les aides. Ils demandent l’interdiction de distribuer des dividendes aux actionnaires. Pour d'autres, au contraire, les aides aux entreprises ne sont pas des cadeaux mais elles doivent être considérées comme "des correctifs à une situation fiscale anormale en France".

Avant de pouvoir exiger des contreparties ou de soumettre les aides au respect de conditions, il faut d'abord améliorer le régime juridique des aides publiques. "L’absence de vision de leur périmètre et de leur montant, de méthodologie commune dans l’octroi des aides, leur caractère discrétionnaire, rendent difficile leur évaluation et la mesure de l’efficacité des conditionnalités." Pour évaluer ces aides, le rapport parlementaire présenté par Stéphane Viry propose la création d'un Office parlementaire commun d'évaluation des aides publiques nationales aux entreprises.  

Le rapport définit aussi les règles que devrait respecter toute aide publique :

  • une aide publique doit correspondre à un objectif politique clair, rendu public (idéalement dans une étude d'impact) ;
  • une aide doit s'accompagner de modalités de suivi et de contrôle ;
  • si l'aide est assortie de conditionnalités, des indicateurs doivent être partagés avec la branche ou l'entreprise qui reçoit l'aide ;
  • avant le versement de l'aide, les raisons qui pourraient conduire à son remboursement sont précisées ;
  • toute aide publique fait l'objet d'une évaluation périodique qui est rendue publique.