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Des instituteurs aux professeurs des écoles : quelle formation des maîtres ?

Temps de lecture  12 minutes

Par : La Rédaction

C’est au cours de la Révolution française que l’usage du terme "instituteur" se généralise : il est celui qui institue la République, la nation, dont il diffuse les idéaux. Devenus professeurs des écoles, les enseignants du premier degré ont vu leur formation et leur mode de recrutement évoluer depuis 1989. Une nouvelle réforme est annoncée.

À partir des lois Ferry, les instituteurs (les "hussards noirs" tels que décrits par Charles Péguy) jouent un rôle central dans la mise en place de l’école primaire, laïque et obligatoire. L’instituteur est chargé d’une véritable éducation du peuple, conforme à l’ordre républicain. Les écoles normales transmettent aux élèves les vertus nécessaires à leur mission. Les instituteurs constituent, alors, un groupe homogène : même formation pour tous – l’école normale –, des origines sociales assez semblables, un positionnement politique et syndical plutôt homogène.

Les recrutements massifs des années 1950-1960 contribuent à mettre à bas cette cohérence, notamment avec l’arrivée de non-normaliens. Les écoles normales remplissent moins bien leur rôle d’ascenseur social, puisque de plus en plus s’observe un mouvement de repli vers l’école normale de jeunes issus des classes supérieures, soit en situation d’échec scolaire, soit détenteurs de diplômes universitaires dévalués. En 1989, prenant acte de la fin de l’autonomie du primaire, le ministère de l’éducation nationale met fin à l’existence des écoles normales et crée une institution unique de formation des enseignants : les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM).

La formation des maîtres : des écoles normales aux IUFM

Implantées sous le règne de Louis-Philippe, les écoles normales ont occupé une place considérable dans l’imaginaire collectif français des XIXe et XXe siècles. Creuset de la laïcité, vivier des "hussards noirs", elles ont constitué un vecteur puissant des valeurs républicaines. Supprimées en 1940, sous le régime de Vichy, elles sont rétablies à la Libération, mais c’est l’élévation progressive du niveau du recrutement des instituteurs, et son alignement sur les professeurs du second degré, qui auront raison de cette institution.

À la fin des années 1980, l’augmentation des besoins en enseignants et la crise des vocations qui sévit alors poussent les pouvoirs publics à revaloriser l’image du métier d’enseignant, en relevant significativement le salaire des instituteurs et leur niveau de qualification. Comme pour enseigner dans le secondaire, la licence est exigée pour devenir enseignant du premier degré. Un nouveau corps d’enseignant est alors créé : les "professeurs des écoles".

Les IUFM sont institués par la loi d’orientation sur l'éducation de 1989 et se voient confier la formation initiale de tous les enseignants du primaire et du second degré. Après l’ouverture de trois IUFM expérimentaux en septembre 1990, le système est étendu à l’ensemble des académies dès la rentrée suivante. Les IUFM se substituent alors aux structures de formation des enseignants préexistantes, notamment aux écoles normales. Avec la création du statut de professeur des écoles, la création des IUFM vise aussi à dépasser le clivage entre les enseignants du primaire et du secondaire.

Des IUFM à la "mastérisation"

La loi n° 2005-380 du 23 avril 2005 d’orientation et de programme pour l'avenir de l’école prévoit un changement de statut des IUFM, qui deviennent des écoles faisant partie d’une université. Cette intégration dans l’université a trois objectifs :

  • renforcer le lien entre la formation des maîtres et la recherche universitaire ;
  • conforter l’évolution contrôlée vers le master (les étudiants en IUFM obtiendront des unités de valeur qui leur permettront d’accéder à une partie de master disciplinaire) ;
  • rapprocher la formation continue de l’université. 

En 2008, une nouvelle réforme de la formation des enseignants est engagée. Elle s’inscrit dans une tendance à l’élévation du niveau de formation des enseignants.

La réforme est mise en place progressivement à partir de la rentrée 2010. Les nouveaux enseignants recrutés au niveau master sont affectés dès la première année dans une classe, l’année de stage en IUFM étant remplacée par une année de "compagnonnage" (accompagnement par des professeurs expérimentés). La circulaire du 25 février 2010 sur les dispositifs d’accueil, d’accompagnement et de formation des enseignants stagiaires des premier et second degrés et des personnels d’éducation stagiaires précise les modalités d’entrée en vigueur de la réforme. Les lauréats des concours 2010 des premier et second degrés publics sont nommés fonctionnaires stagiaires, ils ont en responsabilité une classe dans le cadre de leur année de stage. Ils bénéficient d’un accompagnement et de périodes de formation organisées au cours de l’année scolaire. Cette "formation continuée" vise à "améliorer la pratique d’enseignement et acquérir des connaissances dans les domaines non maîtrisés".

La réforme fait l’objet de critiques de deux ordres :

  • la mastérisation provoquant le report d’un an de l’entrée dans la vie active rémunérée des étudiants risque d’accroître encore le resserrement de la base sociale de recrutement des enseignants. En élevant le niveau de diplôme exigé, la réforme risque d’écarter des étudiants qui n’ont pas les moyens financiers de passer une année universitaire à préparer un concours. De plus, les concours étant de plus en plus sélectifs, l’exigence du master peut aussi de provoquer mécaniquement une élévation du niveau de diplôme des candidats ;
  • avec pour mot d’ordre "enseigner est un métier qui s’apprend", la plupart des organisations syndicales enseignantes contestent la décision d’affecter dans des classes des jeunes sortis de l’université sans formation pédagogique.

De la mastérisation aux ESPE

Lors de la campagne présidentielle de 2012, une des promesses du candidat François Hollande est de "pré-recruter les enseignants avant la fin de leurs études et rétablir une formation initiale digne de ce nom".

La loi sur la refondation de l’école du 8 juillet 2013 crée des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE). Les ESPE ont des missions plus étendues que celles des ex-IUFM, puisqu'elles assurent la formation initiale et continue des enseignants et des personnels d’éducation, de la maternelle au supérieur. L’objectif est de construire une culture partagée et de favoriser sur le terrain la cohésion des équipes pédagogiques. Ces écoles forment aux masters "métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation" (MEEF) dans le cadre d’un cursus de deux années d’études post-licence. 

Opérationnelles à partir de la rentrée 2013, les ESPE sont constituées au sein d’une université ou d’une communauté d’universités et d’établissements. Un premier bilan des ESPE a été établi par le Sénat en juin 2014. Pointant de fortes disparités géographiques et disciplinaires, il insiste sur la nécessité d’accorder une place plus importante à la professionnalisation et de dépasser les clivages idéologiques entre éducation nationale et enseignement supérieur. En effet, ces écoles sont au carrefour de deux cultures jusqu'alors bien distinctes : l’enseignement supérieur classique, dont l’emprise sur la formation des maîtres a été renforcée par la mastérisation, et l’Éducation nationale, qui accorde traditionnellement une place importante à la formation par les pairs.

Remis en septembre 2014, un rapport des inspections de l’éducation nationale (IGEN et IGAENR) parle de choc des cultures entre deux mondes qui se côtoient encore peu. L’Éducation nationale n’apparaît pas encore totalement impliquée dans la formation de ses futurs professeurs. Dans le même temps, l’université peine à accepter une formation plus professionnalisante.

Parallèlement à la mise en place des ESPE, pour remédier au risque de détourner des carrières d’enseignement les étudiants issus des milieux les moins favorisés et redonner au métier d’enseignant un rôle majeur de promotion sociale et républicaine, la loi du 26 octobre 2012 crée des emplois d’avenir professeur (EAP). Ces emplois doivent permettre d’accompagner des étudiants (boursiers de l’enseignement supérieur, en deuxième année de licence, en troisième année de licence ou en première année de master, âgés de moins de 26 ans ou de moins de 31 ans dans le cas d’étudiants en situation de handicap) qui souhaitent poursuivre leurs études et se destiner aux métiers de l’enseignement. En 2013, 9 000 contrats EAP ont été signés.

2019 : la loi pour l'école de la confiance

Le bilan des trois premières années d’exercice des ESPE, réalisé par le comité national du suivi de la formation des enseignants et personnels d’éducation, souligne le dynamisme des ESPE : "À la rentrée scolaire et universitaire 2015, plus de 60 000 étaient inscrits, au sein des ESPE, dans un master MEEF ou dans un diplôme universitaire dédié à la formation initiale des enseignants, étudiants (soit 20% des étudiants inscrits dans un master universitaire français)."

Toutefois, des difficultés subsistent, telles que la multiplicité des acteurs qui concourent au fonctionnement des ESPE (universités, services académiques, corps d’inspection, écoles, partenaires de l’école, etc.) ou l’éloignement des lieux de stage, l’augmentation des horaires de formation. Par ailleurs, le comité de suivi souligne le manque d’harmonisation des enseignements diffusés dans les ESPE.

La loi du 4 juillet 2019 pour une école de la confiance réforme de nouveau la formation des futurs enseignants du premier degré. Les ESPE deviennent les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé). Les directeurs de ces instituts sont désormais nommés par le ministre (les directeurs des ESPE étaient nommés au sein de l'université).

Un nouveau référentiel de formation est mis en place au sein des Inspé afin d’homogénéiser la formation initiale des futurs enseignants. 55% du temps de formation doivent être consacrés aux savoirs fondamentaux.   

La pré-professionnalisation des professeurs amorce la volonté d’élargir le recrutement aux étudiants en situation de précarité. Un contrat d'une durée de trois ans est proposé aux étudiants qui souhaitent devenir professeur de la deuxième année de licence (L2) à la première année de master (M1). À la rentrée 2019, ce contrat est déployé dans les écoles du premier degré des académies d'Amiens, Créteil, Guyane, Lille, Limoges, Lyon, Reims, Rouen, Strasbourg et Versailles.

L'arrêté du 24 juillet 2020 reporte le concours de recrutement de professeurs des écoles (CRPE) à la seconde année de master (M2). En quelques années, le niveau de recrutement des professeurs des écoles passe de bac +3 à bac +5.

Après la licence, le master MEEF se prépare sur deux ans (800 heures), avec quatre mentions, dont une mention "1er degré", pour devenir professeur des écoles.

Si le master MEEF comporte des enseignements dans les savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter, respect d'autrui, etc.) ou la pédagogie, les étudiants doivent aussi effectuer 18 semaines de stages en milieu scolaire.

Ce dispositif, mis en place par le ministre Jean-Michel Blanquer, ne permet toutefois pas de faire face à la crise des vocations des métiers de l'enseignement. Il est sujet à cette critique, déjà ancienne, d'une formation trop longue, entre autres pour certains candidats qui n'auraient pas les moyens de suivre de trop longues études. Par ailleurs, en parallèle, du fait de ces difficultés de recrutement, beaucoup de contractuels sont recrutés en deçà de bac +5.

Vers un recrutement à bac +3 ?

À partir de la rentrée 2021, un parcours préparatoire au professorat des écoles (PPPE) a été proposé dès la première année de licence. La formation, en partie dans un lycée et en partie à l'université, permet d'obtenir une licence généraliste qui peut être prolongée par un master MEEF 1er degré. La formation alterne des enseignements disciplinaires et des stages pratiques d'observation en établissement scolaire.

Lors de son audition par la commission des affaires culturelles de l'éducation, de la communication et du sport au Sénat, le 3 avril 2024, la ministre de l'éducation nationale a évoqué la possibilité de revenir à un recrutement dès la licence, soit bac +3 : "À quoi bon s'échiner à faire cinq années d'études et passer des concours difficiles pour se faire doubler par des contractuels disposant d'un bac +3, voire d'un bac +2 dans les matières professionnelles ?"

Cette volonté de raccourcir la formation est confirmée par Emmanuel Macron, en déplacement dans une école primaire, le 5 avril 2024 : ce système "faisait naviguer des enseignants pendant cinq ans post-bac, avec des filières qui étaient diverses et variées. On avait un concours qui était la fin du M2 et on avait beaucoup d'enseignants qui avaient du coup, parfois pendant plusieurs années, qui étaient sortis des savoirs fondamentaux". À ce phénomène "s'ajoute le fait qu'on a eu du mal ces dernières années à recruter dans les concours. On a créé de l'incertitude et on a du coup été chercher des contractuels, qui font un travail remarquable et dont on a besoin dans notre Éducation nationale".

Ce nouveau système sera mis en place sur deux ou trois ans et concernera d'abord le professorat des écoles, "en ouvrant des licences dès l'après-bac et donc en créant des licences de préparation au professorat des écoles".