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Les droits des personnes détenues

Temps de lecture  13 minutes

Par : La Rédaction

Droit à une vie familiale, droit à la santé, à la pratique religieuse, droit de vote, droit à la dignité. Les droits des personnes dans les lieux de privation de liberté ont nettement progressé depuis le milieux du XXe siècle. Tour d'horizon de ces droits et de leur application.

Jusqu'au milieu du XXe siècle, le détenu n’avait aucun statut juridique. Progressivement, la prison s’est "humanisée". Aujourd'hui, le détenu peut se prévaloir d’un certain nombre de droits fondamentaux prévus par les textes internationaux et nationaux.

Toutefois, reconnaissance ne veut pas dire effectivité. Si les droits des détenus ne cessent de progresser, l’affirmation de ces droits et leur application sont parfois en décalage. La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a remis, le 24 mars 2022, un avis sur l'effectivité des droits fondamentaux en prison. Selon la Commission, il est "urgent" d'agir pour le respect des droits des détenus dans les prisons françaises.
Quels sont en détail les principaux droits dont bénéficient aujourd'hui les détenus?

Les droits familiaux des détenus

Parce que la prison a aussi pour mission de favoriser la réinsertion, les détenus doivent pouvoir maintenir des liens avec leur famille. Cette nécessité passe par la reconnaissance de différents droits : droit de se marier ou de se pacser, droit de visite et permissions de sortir.

Le droit de se marier sans autorisation pour les détenus date de 1974 et le droit de conclure un pacte civil de solidarité (PACS) dans un établissement pénitentiaire est permis depuis la loi pénitentiaire de 2009.

Le cadre du droit de visite des détenus est également rappelé par la loi pénitentiaire. Les prévenus peuvent être visités par les membres de leur famille au moins trois fois par semaine et les condamnés au moins une fois par semaine. La famille doit obtenir au préalable un permis de visite auprès de l’autorité judiciaire s’il s’agit d’un prévenu ou auprès du directeur de l’établissement pénitentiaire s’il s’agit d’un condamné. L'éloignement géographique entre le lieu de détention et le domicile familial peut constituer un obstacle à l’exercice de ce droit, notamment pour les personnes détenues en centres de détention ou en maisons centrales. La loi pénitentiaire de 2009 prévoit le rapprochement familial uniquement pour les prévenus jusqu'à leur comparution devant la juridiction de jugement après accord du juge et droit à recours en cas de refus. Quasiment tous les permis de visite sont permanents. Les visites se déroulent :

  • soit dans des parloirs ordinaires (dans une salle commune ou dans des cabines) en présence du personnel pénitentiaire ;
  • soit dans des unités de vie familiale (UVF - appartements de type F2 ou F3 situés dans l’enceinte pénitentiaire mais séparés de la détention) ou des parloirs familiaux (salons fermés de 12 à 15 m2) sans surveillance directe et où les relations intimes sont permises.

Depuis la loi pénitentiaire de 2009, les détenus peuvent en principe demander à bénéficier d’au moins une visite par trimestre dans une UVF ou un parloir familial. Ces visites sont plus longues que celles en parloir ordinaire. Toutefois, en pratique, une  partie des prisons n’étant dotées que de parloirs ordinaires, tous les détenus ne bénéficient pas de ce droit, même si le nombre de parloirs familiaux et d'UVF a augmenté.

Au 23 juillet 2019, l’administration pénitentiaire recense 124 parloirs familiaux répartis dans 33 établissements et 170 UVF au sein de 52 établissements (contre respectivement 45 parloirs dans 12 établissements et 85 UVF dans 26 établissements en 2015).

Dans son rapport d’activité 2018, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) notait qu' "on trouve encore dans de nombreux établissements anciens des parloirs collectifs consistant en une grande pièce dans laquelle s’entassent les détenus et leurs familles, sans la moindre confidentialité, et où la surveillance s’exerce sous le nez des visiteurs". Depuis, la situation n'a pas beaucoup changé.

Des permissions de sortir "pour maintien des liens familiaux" peuvent être aussi octroyées aux condamnés depuis la réforme pénitentiaire de 1975. Décidées par le juge de l’application des peines, ces permissions sont de trois ou de cinq jours, voire de dix jours une fois par an pour les condamnés en centre de détention. En 2015, la CGLPL a attiré l’attention du gouvernement sur la limitation des permissions de sortir pour raison familiale. La pratique a été modifiée, les permissions de sortir pour raison familiale étant désormais dissociées des autres types de permissions.

C'est aussi dans ce contexte que l'administration pénitentiaire élargit les conditions d'accès des détenus à la téléphonie légale grâce à l'installation de téléphones fixes en cellule et de la visiophonie pour les familles. Fin juillet 2021, 164 sur 179 établissements sont équipés de la téléphones fixes dans les cellules, comme l'indique l'administration pénitentiaire dans sa présentation budgétaire 2022. 

À propos de l'accès à internet dans les lieux de privation de liberté, la CGLPL a publié le 6 février 2020 un avis, dans lequel elle formule plusieurs recommandations afin de favoriser cet accès, en tenant compte des particularités des différents lieux (centres de rétention, hôpitaux psychiatriques, prisons).

Le droit à la santé des détenus

Afin de répondre à la situation sanitaire préoccupante dans les prisons, le dispositif de soins a été profondément rénové par la loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale. Cette loi, dont l’objectif était d’offrir aux détenus une qualité et une continuité de soins équivalentes à celles dont dispose l’ensemble de la population, a confié aux hôpitaux les missions de prévention et de soins des détenus.

Chaque établissement pénitentiaire (sauf les centres de semi-liberté) dispose d’une unité sanitaire, qui dépend de l'hôpital de proximité. Ces unités reçoivent les détenus en consultation pour des soins de médecine générale, des soins dentaires ou toute autre consultation spécialisée.

Il existe également un établissement public de santé national basé à Fresnes et huit unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) implantées dans les centres hospitaliers universitaires (CHU). Ces unités reçoivent les détenus pour les hospitalisations programmées de plus de 48 heures.

Quant aux soins psychiatriques, ils sont assurés par différentes structures, notamment :

  • par les 26 services médico-psychologiques régionaux (SMPR), secteurs de psychiatrie datant de 1986 et implantés principalement dans des grandes maisons d’arrêt pour des hospitalisations de jour avec consentement ;
  • par les neuf unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) créées par la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 et mises en place seulement à partir de 2010 dans les hôpitaux pour des hospitalisations complètes avec ou sans consentement.

Malgré les progrès réalisés pour la santé des détenus depuis plus de 40 ans, le bilan de leur prise en charge restait mitigé en 2015 pour l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l’Inspection générale des services judiciaires (IGSJ). Dans leur rapport de novembre 2015 relatif à l’évaluation du plan d’actions stratégiques 2010-2014 concernant la politique de santé des personnes placées sous main de justice, les deux inspections relevaient que la connaissance épidémiologique et le suivi de la santé des détenus étaient encore très lacunaires. Elles notaient également que l’offre de soins était insuffisante et très disparate entre les établissements pénitentiaires et que l’accès aux soins psychiatriques demeurait problématique.

La proportion de détenus souffrant de troubles mentaux est estimée à 40% de la population carcérale (avis du sénateur Alain Marc sur le programme "administration pénitentiaire" du projet de loi de finances pour 2019).  

En 2020, le rapport sur l'évaluation des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) pour les personnes détenues formule des propositions afin d’améliorer le parcours de soins du patient-détenu et de mieux graduer l’offre de soins.

La liberté religieuse en prison

La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État reconnait la liberté religieuse et garantit le libre exercice du culte. Pour permettre aux détenus de pratiquer leur religion, l’administration pénitentiaire prend en charge les dépenses relatives aux services d’aumôneries dans les prisons.

L'article 26 de la loi pénitentiaire de 2009 précise que "Les personnes détenues ont droit à la liberté d'opinion, de conscience et de religion. Elles peuvent exercer le culte de leur choix, selon les conditions adaptées à l'organisation des lieux, sans autres limites que celles imposées par la sécurité et le bon ordre de l'établissement" .

Ainsi, les détenus peuvent prier dans leur cellule et y conserver les objets et les livres nécessaires à leur vie spirituelle. Ils ont le droit d’assister aux offices religieux et aux réunions cultuelles. Ils peuvent s’entretenir, aussi souvent qu’ils le souhaitent, avec un aumônier de leur confession. Les entretiens ont lieu au parloir ou dans une "salle polycultuelle" ou en cellule, hors de la présence des surveillants. Les correspondances écrites des détenus avec un aumônier de la prison sont, par ailleurs, strictement protégées.

Sept confessions sont agréées au plan national dans les prisons : les aumôneries catholique, israélite, musulmane, orthodoxe, protestante, bouddhiste et les Témoins de Jéhovah.

Les intervenants des aumôneries peuvent être soit des aumôniers indemnisés ou bénévoles, soit des auxiliaires bénévoles. Tous sont agréés par l’administration pénitentiaire. Celle-ci a été condamnée plusieurs fois par le juge administratif en raison de son refus de reconnaître des aumôniers Témoins de Jéhovah. Dans un arrêt du 16 octobre 2013, le Conseil d’État a rejeté tous les recours du ministère de la justice et a conclu que les refus de l’administration pénitentiaire d’agréer des aumôniers Témoins de Jéhovah, qui sont reconnus comme association cultuelle, n’avaient pas de base légale. 

En 2018, l’administration pénitentiaire recense 1 655 intervenants cultuels (1 585 en 2015), indemnisés et bénévoles, répartis comme suit :

  • Culte bouddhiste : 18 
  • Culte catholique : 720 
  • Culte israélite : 74  
  • Culte musulman : 231 
  • Culte orthodoxe : 60  
  • Culte protestant : 361 
  • Culte des Témoins de Jéhovah : 191 

À la suite des attentats terroristes qui ont frappé la France ces dernières années et de la hausse du nombre de "détenus de droit commun susceptibles de radicalisation" (DCSR), les pouvoirs publics ont renforcé significativement le budget consacré à la pratique des cultes en prison ainsi qu’à la formation des aumôniers et personnels pénitentiaires.

Le droit de vote des détenus

Les détenus, comme l’ensemble des citoyens, peuvent normalement pourvoir voter. Jusqu'à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal en mars 1994 toutefois, certains condamnés étaient automatiquement et à perpétuité privés de leurs droits civiques et donc de leur droit de vote. Depuis 1994, cette automaticité n’a plus lieu. La perte des droits est une peine complémentaire qui doit être décidée par la juridiction de jugement. De plus, elle est désormais limitée à cinq ans maximum pour les délits et à dix ans maximum pour les crimes. Depuis 2009, en vertu de l’article 30 de la loi pénitentiaire, les détenus, qui n’ont pas de domicile personnel, peuvent se domicilier au sein de l’établissement pénitentiaire pour l’exercice de leur droit de vote.

Les personnes détenues peuvent voter par correspondance, par procuration ou en se rendant au bureau de vote.

Jusqu'à très récemment, le droit de vote n'était quasiment pas exercé par les détenus (2% de participation au premier tour de l'élection présidentielle de 2017). Pour inverser cette tendance, l'article 87 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice  a introduit à titre expérimental une nouvelle modalité de vote pour les élections européennes de mai 2019 : le vote par correspondance. Le vote par correspondance a lieu dans la prison avant la date de l'élection. Les personnes incarcérées qui souhaitaient voter ont pu ainsi le faire soit par procuration, soit lors d'une permission de sortir, soit dans un isoloir à l'intérieur de leur établissement pénitentiaire. La participation électorale des personnes détenues a ainsi atteint 8% pour le scrutin européen de 2019.

La loi du 27 décembre 2019 relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique prend acte de l'expérimentation du vote par correspondance et elle le généralise. Elle instaure, en outre,  l'inscription systématique des détenus sur les listes électorales, en leur laissant le choix de la commune de rattachement (dans des conditions identiques à celles des Français établis hors de France).

Pour l'élection présidentielle 2022, plus de 10 000 personnes détenues ont voté au premier et au second tour. Le taux de participation est d'un peu plus 20%.

Droit au respect de la dignité en détention

À la suite de trois décisions juridictionnelles - de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel - concernant les conditions indignes de détention, la loi n° 2021-403 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention crée un dispositif afin de garantir à tous les détenus un recours devant le juge judiciaire en cas de conditions indignes de détention :

  • devant le juge des libertés et de la détention (JLD) en cas de détention provisoire ;
  • devant le juge de l'application des peines (JAP) en cas de condamnation.

La loi accorde un mois maximum de délai à l'administration pénitentiaire pour remédier aux conditions de détention indignes, en cas de recevabilité du recours. À défaut, le juge peut ordonner soit le transfèrement de la personne, soit la mise en liberté immédiate, soit un aménagement de peine. Depuis le 15 septembre 2021, un décret précise les conditions de recours à la décision du juge.