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Lobbying : quels dispositifs d'encadrement dans l'Union européenne ?

Temps de lecture  11 minutes

Par : La Rédaction

50 000 lobbyistes travaillent actuellement à Bruxelles. Ce chiffre illustre l’ampleur d'un phénomène dans le processus décisionnel au sein des institutions européennes. Mais comment le lobbying est-il encadré au niveau des institutions européennes ? Les risques de corruption sont-ils écartés pour autant ? Le point en sept questions.

L’Union européenne possède un cadre commun pour contrôler l’action des lobbyistes. Au quotidien, le lobbying est encadré par un accord interinstitutionnel et, pour le cas du Parlement européen, par un code de conduite supplémentaire.

Les systèmes internes au Parlement ont pourtant échoué à prévenir la corruption, comme l'a révélé, le 9 décembre 2022, le scandale touchant notamment Eva Kaïli qui était alors vice-présidente du Parlement ("Qatargate").

Face à ce constat, les eurodéputés ont insisté sur la mise en place de réformes pour "plus de transparence et de responsabilité".

La présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, a d'ailleurs mentionné le renforcement de la protection des lanceurs d'alerte et l'interdiction des groupes d'amitié non-officiels avec des pays tiers. "Des lacunes doivent être comblées, en ce qui concerne les activités d'anciens membres du Parlement européen, les inscriptions sur le registre de la transparence, les personnes autorisées à entrer au Parlement", a-t-elle précisé.

Retour en sept questions sur le lobbying au sein des institutions européennes, les mécanismes d'encadrement et la question de la mise en place d'une éthique commune autour des activités d'influence.

Qu'est-ce que le lobbying au niveau européen ?

Le lobbying est une activité légale qui consiste à influencer la décision publique dans le but de défendre des intérêts sectoriels.

La définition européenne du lobbying se trouve dans l'accord interinstitutionnel du 20 mai 2021 entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne sur un registre de transparence obligatoire.

Que dit l'accord du 20 mai 2021 ?

"Le présent accord couvre les activités exercées par les représentants d’intérêts dans le but d’influencer l’élaboration ou la mise en œuvre des politiques ou de la législation, ou les processus décisionnels des institutions signataires ou d’autres institutions, organes et organismes de l’Union (...).

Les activités couvertes visées comprennent entre autres :

  • l’organisation de réunions, de conférences ou d’événements, ou la participation à ceux-ci, ainsi que l’établissement de contacts similaires avec les institutions de l’Union ;
  • la contribution ou la participation à des consultations, des auditions ou d’autres initiatives similaires ;
  • la mise sur pied de campagnes de communication, de plateformes, de réseaux et d’initiatives de terrain ;
  • l’élaboration ou la commande de documents d’orientation et de prises de position, d’amendements, de sondages et d’enquêtes d’opinion, de lettres ouvertes ou d’autres matériels de communication ou d’information, ainsi que la commande et la réalisation de travaux de recherche."

Comment le lobbying est-il encadré au sein des institutions européennes ?

Le lobbying est encadré par le registre de transparence de l’Union européenne. Cette base de données répertorie les organisations qui cherchent à influencer le processus législatif et de mise en œuvre des politiques européennes.

Pour répondre aux préoccupations autour des groupes de pression, le Parlement européen a, le premier, créé dès 1995 un registre de lobbyistes ayant accès à son enceinte et a ensuite été suivi en 2008 par la Commission européenne. Les deux institutions ont, en 2011, fusionné les deux instruments en un registre européen de transparence sur la base d’un accord interinstitutionnel qui a été modernisé en 2016 et encore renforcé le 20 mai 2021.

L’accord interinstitutionnel définit non seulement les activités de représentation d’intérêts ou de lobbying concernées mais aussi le type d’informations que les personnes enregistrées doivent communiquer, un code de conduite pour les personnes enregistrées et une procédure relative aux signalements et aux plaintes visant les organisations enregistrées. En s’inscrivant au registre de transparence, les lobbyistes acceptent de se conformer à une éthique commune.

L’inscription est obligatoire pour toute demande de badge d’accès au Parlement européen. Une telle demande d’accès doit être effectuée en ligne uniquement par les représentants d’intérêts enregistrés.

Seuls les représentants d’intérêts enregistrés peuvent être invités en tant qu’intervenants aux auditions publiques des commissions ou apporter un soutien et participer aux activités des intergroupes et groupements non officiels de députés européens.

Grâce au registre de transparence, il est aussi plus simple pour les citoyens d’obtenir des informations sur les activités de représentation d’intérêt menées auprès des institutions de l’Union, ainsi que des données statistiques sur toutes les entités enregistrées.

Le registre de transparence est géré conjointement par le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne.

L’inscription au registre de transparence est-elle obligatoire pour les lobbyistes ?

L'accord interinstitutionnel du 20 mai 2021 entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne sur un registre de transparence rend obligatoire l’enregistrement des représentants d’intérêts afin de pouvoir exercer certains types d’activités de représentation clés au niveau de l’Union.

En s’inscrivant au registre de transparence, les lobbyistes acceptent de se conformer à un code de conduite commun. Parmi les obligations du code, les lobbyistes doivent notamment s’abstenir d’obtenir des informations de manière malhonnête.

Le principe de conditionnalité, selon lequel l’inscription au registre de transparence est une condition préalable à la conduite d’activités spécifiques, est la pierre angulaire de l'accord. Il est mis en œuvre sous la forme de mesures adoptées séparément par chacune des institutions signataires.

L’accord est contraignant pour les trois institutions signataires. Chaque institution peut également adopter des mesures de transparence complémentaires.

Pour ce qui concerne la Commission européenne, les activités d’influence sont encadrées par un mécanisme interne supplémentaire, les déclarations qui consistent pour ses membres à rendre public chaque rendez-vous pris avec des entreprises ou tiers susceptible de les influencer.

Les autres institutions, organes et organismes de l’Union restent libres de souscrire au principe de conditionnalité sur une base volontaire et à leur propre discrétion.

Les représentants permanents des États membres se sont, par exemple, engagés à ne rencontrer que des lobbyistes inscrits au registre durant leur présidence tournante du Conseil de l’UE et pendant les six mois qui précèdent celle-ci, et à publier ces rencontres en ligne.

Quelles organisations approchent l’UE ?

Plus de 12 500 organisations sont enregistrées au registre de transparence en 2021. Parmi elles, se trouvent des ONG, des associations d'entreprises, des entreprises, des syndicats et des think tanks.

Un peu plus de 80% des organisations ont un siège au sein de l'UE :

  • 18% en Belgique ;
  • 13% en Allemagne ;
  • 10% en France ;
  • 6,5% en Italie.

12% sont des organisations enregistrés en Europe dans des pays non membres de l'UE. 4% le sont aux États Unis.

Les types d'intérêts qu'elles représentent sont majoritairement européens ou nationaux.

Les organisations enregistrées sont très différentes de par leur taille et de par les intérêts qu’elles représentent. Les sujets qui intéressent la plupart des organisations sont l'environnement, la recherche et l'innovation et l'action climatique.

Ces organisations représentent 50 000 personnes dont 24 700 personnes travaillent à temps plein. 1 600 ont accès au Parlement européen.

Qui est considéré comme lobbyiste ?

Sont considérées comme lobbyiste "toutes les organisations et personnes agissant en qualité d’indépendants, quel que soit leur statut juridique, exerçant des activités de lobbying". Cela inclut six catégories principales de lobbyistes :

  • des cabinets de consultants ;
  • des entreprises et associations syndicales ;
  • des groupes de réflexion (think tanks) et institutions académiques ;
  • des organisations cultuelles ;
  • des représentations d’autorités locales ;
  • et d'autres entités publiques.

Quelles informations les lobbyistes doivent-ils déclarer ?

Les lobbyistes remplissent une déclaration annuelle dont les informations sont publiées dans le registre de transparence.

Les informations incluent le montant des dépenses et l’objet des activités de lobbying qui peuvent prendre la forme de communication (événement, publications), de réunions avec des membres de la Commission européenne, de contributions aux feuilles de route et consultations publiques utilisées par la Commission pour préparer ses propositions législatives ou encore de participation à des groupes d’experts de la Commission.

De plus, le registre présente les principales propositions législatives ou les politiques de l’UE ciblées par les lobbyistes enregistrés. Les domaines qui revêtent un intérêt pour les lobbyistes en question sont également inscrits : action pour le climat, emploi et affaires sociales, fiscalité, jeunesse…

Les lobbyistes doivent aussi déclarer leur lien avec des organisations professionnelles, les noms des personnes qui travaillent pour eux et qui sont accréditées au Parlement européen et la liste des rendez-vous qu’ils ont eus avec la Commission européenne.

Pourquoi le dialogue entre les institutions de l’Union et les groupes d'intérêt est-il important ?

Alors que la corruption est illégale et recourt à la contrainte, le lobbying est une pratique légale qui ne contraint pas ses interlocuteurs. L’action même de lobbying est une action du quotidien qui amènent les représentants d'intérêt à mobiliser des arguments, auprès d'un public spécifique.

Les institutions de l’Union interagissent avec un ensemble de groupes et d’organisations représentant des intérêts spécifiques et menant des activités de lobbying. Il s’agit là d’une composante légitime du processus décisionnel.

Les profils de représentants d’intérêts peuvent ainsi dispenser des connaissances et des expertises spécifiques dans de nombreux domaines économiques, sociaux, environnementaux et scientifiques.

Le Traité sur l’Union européenne établit un cadre et cherche à favoriser des relations transparentes et éthiques entre les institutions et responsables politiques européens d’une part, la société civile et les associations représentatives d’autre part.

Article 11 du Traité sur l'Union européenne

"Les institutions donnent, par les voies appropriées, aux citoyens et aux associations représentatives la possibilité de faire connaître et d’échanger publiquement leurs opinions dans tous les domaines d’action de l’Union. Les institutions entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile."

Lobbying : quelle différence avec un acte de corruption ?

L’action qui consiste à verser de l’argent pour influencer le discours d’un eurodéputé par exemple n’est pas un acte de lobbying (bien qu’il s’agisse d’une influence sur une décision publique) mais un acte de corruption (puisqu’il s’agit d’un versement d’argent).

Pareils types de comportements sont régis et réprimés par le code de conduite des députés au Parlement européen en matière d’intérêts financiers et de conflits d’intérêt. Dans l’exercice de leur mandat, les députés "ne sollicitent, n’acceptent ou ne reçoivent aucun avantage financier direct ou indirect ou toute autre gratification, en espèces ou en nature, contre une conduite particulière dans le cadre de leur travail parlementaire, et veillent scrupuleusement à éviter toute situation susceptible de s’apparenter à de la corruption ou à un abus d'influence".

L'immunité parlementaire des eurodéputés

L’immunité parlementaire n’est pas un privilège personnel du député. Il s’agit d’une garantie de l’indépendance et de l’intégrité du Parlement dans son ensemble.

Les députés au Parlement européen ne peuvent pas être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes qu’ils émettent en tant que député au Parlement européen.

L'immunité ne peut pas être invoquée dans le cas de flagrant délit.

Si une autorité nationale compétente demande cependant au Parlement européen de lever l’immunité d’un député, le président du Parlement annonce la demande en séance plénière et la renvoie à la commission des affaires juridiques.

Elle l'examine, à huis clos, organise éventuellement des auditions et prononce une proposition de décision qui fera l'objet d'un vote de tous les eurodéputés en plénière.