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Justice : l'évolution du statut de la victime dans la procédure pénale

Temps de lecture  10 minutes

Par : La Rédaction

Longtemps absente, voire oubliée des juridictions pénales au prétexte de mettre à distance son "désir de vengeance", la victime a acquis au fil du temps une place solide au sein du procès pénal. Quelles ont été les étapes de cette évolution et comment ce renouveau agit-il sur le sens de la justice pénale ?

L'objet d'un procès pénal est avant tout de sanctionner l'auteur d'un acte, d’une conduite que la société réprouve. Le procès pénal oppose le ministère public, représentant légitime des intérêts de la société, à l'auteur de l'acte antisocial, appelé "mis en cause" pendant le temps de l’enquête, "prévenu" lorsqu'il est traduit devant un tribunal correctionnel, ou "accusé" au moment où il comparaît devant une cour d’assises.

La victime, autre acteur important de la procédure, n’est prise en considération, au cours du procès pénal, que si elle s’est constituée "partie civile", c’est-à-dire qu’elle a manifesté la volonté de demander réparation des dommages directement causés par l’infraction. Elle soutient alors l’accusation aux côtés du ministère public.

Les victimes sont définies par le droit international et le droit européen comme "des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un État". 

Une reconnaissance progressive des droits des victimes

En France, les droits des victimes sont d'abord apparus sous la forme d'une reconnaissance de la partie civile comme acteur du procès pénal. En premier lieu reconnue par la jurisprudence (l’arrêt Laurent Atthalin de 1906), c’est désormais en vertu du code de procédure pénale que la victime peut déclencher elle-même les poursuites. Puis, le statut juridique de victime envisagé dans sa globalité a connu un regain d'intérêt.

Le développement de l’indemnisation des victimes d’infractions pénales

Inaugurées en 1977 avec la loi sur l'indemnisation des victimes d'infractions pénales, les politiques publiques d'aide aux victimes ont été véritablement lancées au début des années 1980 sous l'impulsion de Robert Badinter, alors garde des sceaux. L’objectif est d’aller au-delà de l’indemnisation matérielle et d’apporter une écoute, une information, une aide en termes d’accueil et de prise en charge, un accompagnement pendant la procédure. 

Estimant insuffisante la place qui leur est réservée dans le procès pénal, les victimes ont, dès le début des années 1980, décidé de se substituer aux carences des institutions et d'investir massivement la scène pénale et médiatique. Créées dans les années 1980, les associations de victimes, regroupées depuis 1986 au sein de l’Institut national d’aide aux victimes (Inavem), devenu la fédération France victimes, proposent :

  • une écoute privilégiée pour aider les victimes à identifier leurs difficultés (sentiment d'isolement, souffrance psychologique...) ;
  • une information sur leurs droits (procédures judiciaires, systèmes d'indemnisation) ;
  • un accompagnement dans leurs démarches (aide psychologique, préparation aux expertises et aux audiences) en les orientant si nécessaire vers des avocats, des services sociaux et médico-psychologiques, des assurances...

Progressivement les victimes vont pouvoir se porter partie civile. Mais c’est après les retombées d'affaires de santé publique au début des années 1990 (sang contaminé, amiante), de catastrophes comme celles de Furiani en 1992 ou encore des attentats terroristes de 1995 et 1996, que l’État va accorder aux victimes un statut d’acteur dans le procès pénal. 

Au tournant des années 2000, la victime est placée au cœur du procès pénal

La loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes s’inscrit dans ce long mouvement de promotion des droits de la victime dans la procédure pénale. Le texte s’appuie sur les propositions du rapport Lienemann de 1999 qui souligne que toute politique publique d'aide aux victimes doit d'abord garantir une prise en charge globale des droits fondamentaux des personnes ayant subi les conséquences de l’infraction. Avant la loi, une circulaire du 13 juillet 1998 traduit cette nouvelle priorité qui vise à donner à la victime toute sa place dans le procès pénal.

La loi de 2000 crée de nouveaux dispositifs afin de favoriser l’accueil, l’écoute, la protection, et l’indemnisation des victimes. Parmi ceux-ci :

  • une facilitation des démarches des victimes pour se constituer partie civile ;
  • une reconnaissance de l’infraction d’atteinte à la dignité de la victime d’un crime ou d’un délit (par la reproduction de certaines images, par exemple) ;
  • l’extension du principe contradictoire (droit à l’information et droit à la discussion) aux victimes lors de la procédure pénale ;
  • l'inscription dans les textes que l'autorité judiciaire, au cours de la procédure pénale, "veille à l'information et à la garantie des droits des victimes". 

La loi consacre pour la première fois dans le code de procédure pénale le rôle des associations d'aide aux victimes en précisant que le procureur de la République peut avoir recours à ces associations pour aider la victime, à certaines conditions. La loi souligne ainsi une volonté de promouvoir l’égalité des rôles conformément à la directive de la Cour européenne des droits de l’Homme ("les principes du procès équitable commandent que les intérêts de la défense soient mis en balance avec ceux des victimes").

Un élargissement des droits des victimes au fil des lois

Depuis la loi du 15 juin 2000 renforçant les droits des victimes, le législateur a conforté le statut de la victime dans la procédure pénale en lui octroyant de nouveaux droits.

La loi du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice (dite Perben I) renforce l'accompagnement juridique de la victime au cours des procédures en lui proposant un avocat commis d'office dès le dépôt de plainte et en octroyant l'aide juridictionnelle aux victimes d'infractions les plus graves, sans considération de ressources. 

La loi du 9 mars 2004, dite Perben II, prévoit la prise en compte des intérêts des victimes dans les procédures d'aménagement de peine consacrant ainsi une place à part entière dans le processus pénal. 

La loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales prévoit que la nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier plusieurs impératifs comme la protection de la société et les intérêts de la victime. Elle permet également à l'avocat de la partie civile d'intervenir dans le débat contradictoire devant les juridictions d'application des peines. 

Le décret du 13 novembre 2007 crée un juge délégué aux victimes (JUDEVI) chargé de "veiller dans le respect de l’équilibre des droits des parties à la prise en compte des droits reconnus par la loi aux victimes".

Le saviez-vous ?

Le comité de réflexion sur la justice pénale mis en place en 2009 voulait aller encore plus loin et envisageait d’octroyer un droit de récusation des jurés d’assises à la victime, un droit jusqu’à présent réservé au ministère public et à l’accusé. Tandis que certaines propositions de lois déposées à l’Assemblée nationale notamment en 2017 prévoyaient d’accorder à la victime un droit d’appel des décisions de relaxe et d’acquittement à l’issu du procès pénal.

La loi du 15 août 2014 garantit et conforte les droits des victimes tout au long de l’exécution des peines, en permettant par exemple à la victime de saisir l’autorité judiciaire de toutes atteintes à ses intérêts, et en énonçant que doit être prise en compte, s’il y a lieu, la nécessité de garantir la tranquillité et la sûreté de la victime.

La loi du 3 juin 2016 permet la majoration des amendes prononcées (jusqu'à 10%) pour financer les associations d'aide aux victimes.

Un renouvellement du sens pour le procès pénal ?

Ainsi la victime a acquis des droits tout au long de la procédure pénale. Cette place accordée aux victimes suscite cependant des controverses.

La consécration de la place de la victime au sein du procès pénal a renouvelé le sens du procès pénal. L’abondance de mesures réglementaires et législatives modifiant le code pénal depuis les années 2000 traduit à la fois la reconnaissance de plus de droits aux victimes dans la procédure pénale mais aussi la volonté du législateur de punir plus sévèrement les personnes poursuivies au nom de la souffrance des victimes.

Les évolutions successives de la loi, au gré de faits divers fortement médiatisés et de l’interpellation des politiques sur ces faits, portent, de l’avis de certains, le danger d’une dérive "vindicative" de la justice. La satisfaction des intérêts des victimes deviendrait une finalité parmi d’autres dans le procès dont le but deviendrait moins de sanctionner justement l’auteur de l’infraction et de protéger la société que de réparer le dommage causé à la victime.

Alors que, conformément aux principes fondamentaux de la justice, le tribunal doit être préservé de toutes pressions, la volonté d’orienter le verdict par rapport à la victime peut écarter les jurés d’une décision qui prenne en compte la culture du doute à l’égard de l’accusé.

Face aux dérives potentielles d’une confusion entre justice pénale et justice réparatrice, la garde des Sceaux en 2007 précisait : "La justice n'a pas la prétention de réparer la souffrance des victimes. Elle se doit en revanche de les défendre dans leur isolement et leur détresse. Elle se doit de les restaurer dans leur dignité et dans leurs droits". (Rachida Dati ,9 octobre 2007).

Pour Robert Badinter, le père de la politique publique du droit des victimes, "La justice pénale n'a pas pour mission d'être une thérapie de la souffrance des victimes. Elle a une fonction répressive, dissuasive et expressive, car elle exprime les valeurs de la société". 

Parallèlement est mise en place une justice restaurative, à travers la directive européenne du 25 octobre 2012 et la loi du 15 août 2014, qui confère au système de justice pénale une mission élargie : concourir au maintien de la paix sociale, en mettant l’accent sur la prévention des comportements antisociaux et délictueux par l’établissement de mesures de réparation globales des victimes et la réinsertion sociale des auteurs d’infractions. 

Dans ce sens, la loi vise à instaurer un dialogue entre les parties à tous les stades du procès pénal, pour étendre les prérogatives de la justice pénale à une résolution du problème social au-delà de la simple punition de l’acte illégal.