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Les principes fondamentaux spécifiques de la justice pénale

Temps de lecture  5 minutes

Par : Nicolas Braconnay - Magistrat

La justice pénale est soumise, au même titre que la justice civile et administrative, à de multiples principes directeurs dont la plupart sont communs à tous les types de juridictions et qu’on peut résumer sous la notion de "procès équitable" : indépendance, impartialité, publicité, célérité, etc. Au-delà de ces standards judiciaires, le procès pénal possède certaines spécificités structurées autour de grands principes fondamentaux.

L’organisation de la justice pénale : la séparation des fonctions

La spécificité du procès pénal tient notamment à son net découpage en phases distinctes impliquant des magistrats et des juridictions différents. En effet, la répression des infractions nécessite tout d’abord une décision d’engagement des poursuites, prise par un magistrat du parquet (qui ne constitue pas une juridiction), puis une phase d’enquête éventuellement confiée à un juge d’instruction lorsque l'affaire est complexe ou de nature criminelle. Ensuite, celle-ci est renvoyée devant des juridictions de jugement qui vont se prononcer sur la culpabilité du délinquant et lui infliger le cas échéant une peine, dont l’éventuel aménagement engagera une juridiction de l’application des peines.

Afin d’assurer une meilleure protection de la liberté individuelle et une parfaite impartialité des juridictions pénales lors de chacun de ces stades procéduraux, la loi impose une triple séparation entre les diverses fonctions pénales :

  • entre les autorités de poursuite et d’instruction (le juge d’instruction doit être saisi par un réquisitoire du ministère public) ;
  • entre les juridictions d’instruction et de jugement (le juge d’instruction ne peut siéger dans la formation de jugement) ;
  • entre les autorités de poursuite et la juridiction de jugement (les tribunaux ne peuvent s'autosaisir).

L’enquête pénale : liberté de la preuve et secret de l’instruction

Devant les juridictions pénales, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve. L’administration de la preuve est cependant soumise à une triple exigence de dignité, de nécessité et de loyauté. Ces principes s’appliquent avec davantage de rigueur aux autorités publiques chargées des investigations qu’aux simples particuliers. En 2002, la Cour de cassation a, par exemple, considéré comme recevable le testing auquel l’association SOS Racisme avait eu recours à l’entrée de plusieurs boîtes de nuit pour démontrer la discrimination raciale qui y était pratiquée. À l’inverse, l’obtention de preuves par provocation, c’est-à-dire par l’incitation à commettre l’infraction (par exemple, en se faisant passer pour un dealer et en proposant à un individu d’acheter de la drogue), est formellement interdite aux enquêteurs.

Un autre des grands principes applicables à la phase d’enquête est le secret. L'article 11 du code de procédure pénale dispose en effet que "la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète" (principe dont le Conseil constitutionnel a jugé le 2 mars 2018 qu'il ne portait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression). Cela signifie que les personnes qui concourent à la procédure sont tenues au secret professionnel, dont la violation peut être pénalement sanctionnée (la loi du 22 décembre 2021 a renforcé les sanctions prévues en cas d'atteinte au secret de l'enquête). Contrairement à une idée reçue, seules les personnes concourant à l’enquête (magistrats, greffiers, policiers, experts) doivent respecter ce secret : ni le mis en examen, ni la victime, ni même les journalistes n’y sont tenus (toutefois, la publication d’informations obtenues par recel de violation du secret de l’enquête est punissable). En outre, le principe de la liberté de l’information peut fonder certaines atteintes au secret de l’enquête : le procureur de la République possède ainsi la faculté de rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure afin d’éviter la propagation de rumeurs ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public.

Le respect des droits de la défense, point cardinal de la procédure pénale

Si le respect des droits de la défense est un principe commun au procès civil et au procès pénal, il possède en matière répressive une importance particulière et un sens plus précis. Définis comme l’ensemble des prérogatives qui garantissent au mis en cause d’une procédure pénale la possibilité d’assurer effectivement la protection de ses intérêts, les droits de la défense constituent un principe à valeur constitutionnelle.

Le contenu concret de cette large notion recouvre plusieurs domaines. Il désigne tout d’abord le droit, pour le mis en cause, de connaître la nature des poursuites dont il fait l’objet ainsi que le contenu de son dossier, afin de pouvoir faire valoir ses arguments. En conséquence, le mis en cause doit pouvoir non seulement être assisté d’un avocat au cours des diverses phases de la procédure (garde à vue, instruction, audience de jugement), mais encore réclamer certains actes d’enquête ou faire poser des questions aux témoins et experts. L’exercice de ces diverses facultés doit être effectif, ce qui implique par exemple que le mis en cause puisse communiquer dans une langue qu’il comprend, si besoin par le recours à un interprète. C’est au nom de ce même principe que la loi a imposé en 2011 la présence effective de l’avocat pendant l'intégralité des interrogatoires de garde à vue. Enfin, le fait que le prévenu ait la parole en dernier constitue une ultime mais significative illustration du principe du respect des droits de la défense.

La protection de ces différentes règles est assurée par un système de nullité : la violation des droits de la défense est sanctionnée par la nullité de la procédure (par exemple, l’absence de notification de ses droits à un suspect gardé à vue entraîne l’annulation de l’ensemble de la garde à vue).

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