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© Ina Fassenbender/AFP

"Ouverte, durable et volontariste" : une nouvelle stratégie pour la politique commerciale de l'UE

Temps de lecture  10 minutes

Par : La Rédaction

L’Union européenne a signé des accords de libre-échange avec de nombreux partenaires économiques. Elle est le leader des puissances commerciales en termes de flux. Quels sont les principes et priorités de la politique commerciale européenne ? Comment l'UE peut-elle concilier libre-échange et lutte contre la concurrence déloyale ?

La politique commerciale de l’Union européenne (UE) suscite de nombreux débats qui se sont renforcés depuis le début de la pandémie du Covid-19 et la remise en cause de la mondialisation. La Commission européenne défend les accords de libre-échange qu'elle a négociés en mettant en avant leurs bénéfices économiques et leur contribution au développement économique et politique de l’UE. Cependant, le contexte international évolue et le recours à l'unilatéralisme s'accroît. Dans ce cadre, l'Union européenne a adopté, début 2021, une nouvelle stratégie pour sa politique commerciale.

L'UE, une puissance commerciale

L'Union européenne est l'un des principaux acteurs mondiaux du commerce international avec la Chine et les États-Unis. Pour l'UE, la prospérité repose sur le commerce international et l'économie européenne est l'une des plus ouvertes au monde. Au-delà de ses avantages économiques, l'Union européenne considère que sa politique commerciale joue un rôle majeur dans la promotion de ses valeurs (soft power).

4 067 milliards d’euros c’est ce que représente l’ensemble des échanges de l'UE avec les États tiers faisant ainsi de l’UE la première puissance commerciale devant la Chine et les États-Unis. Malgré son statut de leader commercial (31,2% des échanges mondiaux) en 2019, l’UE des 27 reste deuxième importatrice (derrière les États-Unis) et exportatrice (derrière la Chine).

Selon les données d’Eurostat publiées en janvier 2021, la crise sanitaire liée au Covid-19 a eu un impact sur le commerce extérieur de l'UE. Les exportations de biens de la zone euro en 2020 ont baissé de 9,2% par rapport à 2019. Les importations ont également baissé de 10,8% par rapport à 2019. Cependant, l’excédent commercial est de 234,5 milliards d’euros, contre 221 milliards d’euros en 2019. Concernant les échanges à l’intérieur de la zone euro, ceux-ci ont subi une baisse de 8,9% par rapport à 2019.

Au cours de l’année 2020, la Chine s'est placée comme le premier partenaire commercial de l'UE. Cette évolution est due à une hausse des importations (+5,6%) ainsi que des exportations (+2,2%). Au même moment, les échanges avec les États-Unis ont enregistré une baisse significative tant pour les importations (-13,2%) que les exportations (-8,2%). 

Selon les données de la Commission européenne, le commerce international contribue fortement à la création d’emplois : 36 millions d’emplois européens en dépendent, ce qui représente un travailleur sur sept (2018). Au sein de l’UE, l’Allemagne est le pays qui commerce le plus avec les États tiers (18% des importations européennes et 27,7% des exportations européennes en 2019). 

La politique commerciale, compétence exclusive de l'UE

La politique commerciale est l’une des politiques communes de l’Union européenne, ce qui lui permet de défendre ses intérêts d’une seule voix. L’Union européenne est attachée à un système commercial multilatéral solide reposant sur des règles. Elle possède la compétence exclusive pour légiférer sur toutes les questions commerciales et pour conclure des accords commerciaux internationaux.

La Commission européenne se charge de représenter l’UE face aux États tiers et aux organisations internationales. Elle ne peut mener plusieurs stratégies commerciales différentes, elle en expose une seule sur la scène internationale. Cependant, le Conseil de l’UE, qui représente les gouvernements des États membres, est consulté par la Commission tout au long des négociations d’accords. Le Conseil vote la signature de l'accord et le Parlement européen possède un droit de veto lors de la ratification de ces accords. Si un accord concerne différents domaines avec une compétence mixte alors tous les États membres devront le ratifier. Dans ce cas, il s'agit d'un accord dans lequel les parties sont autant l'UE que ses États membres. Les États membres et l'UE ont alors l'obligation de coopérer lors de la négociation, de la conclusion et de l'application de l'accord.

Cette compétence exclusive est encadrée par les traités. Ainsi, selon l’art. 206 du Traité de fonctionnement de l’UE (TFUE), à travers la politique commerciale "l'Union contribue, dans l'intérêt commun, au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu'à la réduction des barrières douanières et autres".

Par ailleurs, l'instauration d'une zone de libre-échange entre ses États membres est l'un de ses principes fondateurs et l’ouverture du commerce mondial l’un de ses objectifs d'où les efforts concertés pour réduire les obstacles aux échanges. Outre la réalisation d’un marché commun (devenu marché unique) et d’une union douanière, l'Europe a rapidement adopté des règles communes envers les pays tiers. Dès 1968, un tarif douanier commun a été mis en place pour toutes les importations extérieures à l’UE.

Pour réaliser son objectif de libéralisation du commerce mondial, l’UE a misé sur le développement des échanges bilatéraux avec les pays hors UE. Des accords commerciaux de différents types ont été conclus :

  • les accords de partenariat économique (APE) soutiennent le développement économique des partenaires d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique ;
  • les accords de libre-échange (ALE) ont pour but l'ouverture réciproque des marchés avec les pays développés et les pays émergents ;
  • les accords d'association (AA) favorisent, quant à eux, des accords politiques plus larges.

L'UE est actuellement engagée dans des négociations commerciales avec les pays tiers et entités suivants :

  • Japon (JEFTA) : un accord de libre-échange (ALE) est entré en vigueur le 1er février 2019 ;
  • Singapour : un accord de libre-échange et un accord de protection des investissements ont été négociés. L'ALE est entré en vigueur le 21 novembre 2019. L'accord de protection des investissements devra, en revanche, être ratifié par tous les États membres de l'UE ;
  • Viêt Nam : un ALE entré en vigueur en août 2020 ;
  • Mexique : un accord a été conclu en avril 2018. Ce nouvel accord, une fois ratifié, remplacera l'accord global UE-Mexique qui était entré en vigueur en 2000 ;
  • CETA : un ALE avec le Canada qui est entré en vigueur en septembre 2017 ;
  • MERCOSUR : négociations conclues le 28 juin 2019 concernant un accord commercial, dans le cadre de l'accord d'association, avec l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay; des directives de négociation ont été adoptées en 1999 ;
  • Chili : négociations en cours en vue de moderniser l'actuel ALE ; des directives de négociation ont été adoptées en 2017 ;
  • Australie et Nouvelle-Zélande - les négociations d'un ALE sont en cours ; des directives de négociation ont été adoptées en 2018.

Dernièrement, la Chine et l’UE ont conclu un accord de principe facilitant les investissements des deux parties (CAI, 30 décembre 2020). Cependant, il n’a été ni signé, ni ratifié donc il ne peut encore entrer en vigueur. Un accord commercial avec le Royaume-Uni a été signé récemment pour limiter l’impact du Brexit (TCA, signé le 24 décembre 2020 et en vigueur depuis 1er janvier 2021).

Si des accords sont en train d’entrer en vigueur, d’autres sont à l’arrêt. Par exemple, l'accord entre l’UE et le MERCOSUR signé en 2019 est remis en question par différents États européens, dont la France. Les critiques se concentrent sur l'insuffisance des garanties environnementales de l'accord, les États membres exigent plus de la part du Brésil notamment. Une situation similaire existe avec les États-Unis. Après l’élection de l’ancien président Donald Trump, l’accord entre l’UE et les États-Unis (TAFTA) a été abandonné en 2016.

La définition d'une nouvelle stratégie commerciale

Face au nouveau contexte international marqué par la montée des nationalismes économiques et à une évolution des opinions publiques de moins en moins favorables à la mondialisation mais de plus en plus soucieuses de la protection de l'environnement, la Commission européenne a défini une nouvelle stratégie pour la politique commerciale de l'UE.

Fermeté, environnement et ouverture : voici les principes fondamentaux de la nouvelle stratégie commerciale européenne présentée le 18 février 2021. La Commission européenne remodèle sa politique commerciale, axée désormais sur la transition écologique et numérique ainsi que sur le multilatéralisme. "85% de la croissance mondiale se fera en dehors de l’Europe au courant de la prochaine décennie. Donc même, si la crise encourage l’augmentation du repli sur soi, ce n’est pas la solution. L’UE a un excédent commercial substantiel donc en nous repliant sur nous-mêmes, nous ne pouvons qu’aggraver nos perspectives économiques," a déclaré M. Valdis Dombrovskis, commissaire chargé du commerce. L'UE entend rester une économie ouverte mais elle va veiller à ce que ses engagements internationaux jouent un rôle moteur dans le changement mondial et se défendra contre les pratiques commerciales déloyales (notion "d'autonomie stratégique ouverte").

Les objectifs annoncés par l'Union sont les suivants :

L’UE dit aussi vouloir s’assurer du respect de la concurrence en développant des instruments de défense commerciale contre les pratiques de concurrence déloyale. L'objectif de l’Union est d’établir un commerce loyal et équitable avec les pays hors de l’Union. C’est dans cette optique que l’UE réforme les différentes règlementations en matière commerciale. La législation européenne encadre notamment les investissements directs étrangers (IDE), la lutte antidumping et la défense commerciale.

Le régime des IDE dans l'Union européenne est le plus ouvert au monde si bien que l'UE a pu être taxée de "naïveté" en l'absence de réciprocité de la part de pays investisseurs comme la Chine, par exemple. Aussi, un nouveau règlement est entré en vigueur le 11 octobre 2020. Le règlement européen établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers vise en particulier les investissements dans les sociétés européennes par des sociétés publiques étrangères.

Tout en soulignant que les IDE favorisent la croissance de l’UE en participant à la création des emplois et l’augmentation de la compétitivité, le règlement prévoit que la Commission peut émettre des avis, à l’adresse d'un État, lorsqu’elle estime qu’un investissement est susceptible de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public de plus d’un État membre. Le filtrage des IDE n’est autorisé qu’à l’égard des opérations qui peuvent présenter une menace à la sécurité ou à l’ordre public. Ce sont les États qui sont les seuls compétents pour définir ce qu’ils entendent par sécurité nationale et ordre public.