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Protectionnisme et libre-échange

Temps de lecture  5 minutes

Par : Manon-Nour Tannous - Maître de conférences à l'université de Reims (Paris II/ Collège de France)

Protectionnisme et libre-échange sont deux logiques philosophiques, politiques et économiques, traditionnellement présentées comme antagonistes et entre lesquelles les États sont supposés choisir pour mener leur stratégie commerciale.

Le protectionnisme désigne une politique interventionniste de l’État pour protéger le marché national. Il peut être caractérisé par l’édification de barrières douanières, afin d’éviter que les produits importés ne soient concurrentiels par rapport aux productions nationales. Ces droits de douane ont en outre l’avantage de rapporter de l’argent à l’État. Les pouvoir publics peuvent également opter pour des mesures non tarifaires, comme la mise en place de quotas d’importation ou l’imposition de normes de qualité auxquelles doivent répondre les produits vendus sur le territoire (exemple : jouets chinois). Ces options, sans contrevenir aux principes de l’OMC, peuvent cependant parfois s’apparenter à une forme de protectionnisme déguisé.

Le choix de mesures protectionnistes peut être transitoire, par exemple pour protéger une industrie naissante, avant qu’elle ne devienne compétitive, ou compenser un déficit commercial. Il peut aussi venir en réponse à une demande de protection de la part de groupes dont les revenus ou les emplois seraient menacés par l’importation de certains produits. L’argument de la concurrence déloyale peut ainsi être avancé, notamment en cas de dumping, à savoir lorsque le prix de vente des biens produits à l’étranger est inférieur à leur coût de production.

À l’inverse, le libéralisme économique mise sur la libre circulation des biens et des services. Par l’interdiction des entraves, cette pratique mène à l’accroissement de la taille des marchés. Pour certains économistes, elle favorise la croissance ainsi que l’innovation technologique. C’est notamment la thèse défendue par des penseurs comme l’économiste britannique David Ricardo au début du XIXe siècle (1817). Approfondissant les travaux d’Adam Smith, il prend position sur une question contemporaine, celle de l’abrogation des Corn Laws (lois sur le prix du blé, finalement abrogées en 1846), protégeant les agriculteurs et le marché britannique des céréales. Il préconise alors le libre-échange sur un marché mondial du blé, permettant de faire baisser les tarifs, d’augmenter ainsi le pouvoir d’achat, mais également de surmonter les aléas climatiques et donc la fluctuation des prix.

En pratique, dès le XVIIIe siècle et le développement du commerce international, les grandes puissances adoptent des attitudes différentes, affichant des préférences soit pour le protectionnisme, soit pour le libre-échange. En France, une tradition interventionniste née au siècle précédent, le « colbertisme » (variante du mercantilisme) pose les jalons d’un certain protectionnisme, alors que le Royaume-Uni, fort d’une supériorité technologique acquise lors de la Révolution industrielle, opte vers 1850 pour une politique commerciale inspirée par le libre-échange. Ce dernier prévaut finalement de manière temporaire sur le continent européen, lorsque Napoléon III signe en 1860 le traité commercial franco-anglais Cobden-Chevalier, politique sur laquelle la IIIe République reviendra (loi Méline, 1892).

Au XXe siècle, le principe du libre-échange s’impose progressivement. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il guide la construction des institutions internationales. En réaction à la crise de 1929 – lors de laquelle les États-Unis avaient augmenté leurs droits de douane pour protéger leur économie, bientôt imités par les pays partenaires, la moyenne mondiale des droits de douane atteignant rapidement 25 % – les accords de Bretton Woods de 1944 posent les bases de l’ouverture économique, notamment au sein du bloc occidental. L’idée des bienfaits du libre-échange s’impose, promue par le FMI ou l’OMC, dont l’objectif est de limiter et d’abaisser les barrières protectionnistes. L’OMC joue notamment un rôle à travers son Organe de règlement des différends, qui peut être saisi par un État membre qui considère qu’un autre membre a pris une mesure commerciale contraire aux principes du libre-échange. Ainsi, en 2010-2011, la moyenne des droits de douane imposés par les économies développées était d’environ 5 %. Des initiatives bilatérales viennent compléter ce dispositif, visant à approfondir la logique d’ouverture commerciale.

Toutefois, des réflexes protectionnistes demeurent, par exemple dans les années 1970 face au développement des « Dragons » asiatiques, menant entre autres à la conclusion de l’accord multifibre sur les produits textiles dans le cadre du GATT en 1974.

Aujourd'hui, le débat reste vif et l’on peut observer dans la politique de certains États le poids de la tentation protectionniste. Dès son entrée en fonction, le Président américain Donald Trump met en place une série de mesures protectionnistes, au nom de la « sécurité nationale ». Souhaitant notamment cibler la Chine, il instaure des taxes à l’import sur l’acier et l’aluminium. Le FMI s’est publiquement inquiété de ces mesures, pour leurs répercussions à la fois sur le commerce mondial et sur l’économie américaine. Cette décision, qui a entraîné en réplique l’imposition de droits de douanes de la part des pays partenaires, complète d’autres mesures protectionnistes de la part des Américains : la renégociation du traité de libre-échange nord-américain (ALENA) ou le refus de nommer des juges à l’OMC, au sein de l’Organe de règlement des différends.

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