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Le régime de séparation entre l'État laïque et les cultes

Temps de lecture  13 minutes

Par : La Rédaction

Depuis le début du 20e siècle, la France est un État laïque : "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte" en vertu de l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. La loi Séparatisme du 24 août 2021 a modifié certains aspects du régime issu de la loi de 1905.

La laïcité est devenue un principe à valeur constitutionnelle avec la Constitution du 27 octobre 1946 (article 1er : "La France est une République laïque"), puis avec la Constitution de la Ve République de 1958 (article 1er : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances…"). Le régime de séparation mis en place par la loi de 1905 organise les cultes en associations cultuelles et modifie la gestion des lieux de culte ainsi que le statut des ministres du culte.

La République ne reconnaît aucun culte

Sous le régime concordataire instauré en 1802, l’État reconnaissait quatre cultes (catholique, protestant réformé et luthérien, israélite) organisés et financés selon le droit public. Les cultes reconnus étaient organisés en service public du culte. L’État rémunérait les ministres du culte et participait à leur désignation ainsi qu’à la détermination des circonscriptions religieuses. Les autres cultes n’étaient pas reconnus et étaient souvent considérés comme des sectes.

La loi de 1905 abolit le Concordat et le système des cultes reconnus : il n’y a plus de religion recevant une consécration par l'État et tous les cultes sont sur un pied d’égalité. En posant le principe de la non-reconnaissance, la loi n’institue pas pour autant une ignorance légale du fait religieux. Elle met simplement fin à l’opposition entre cultes reconnus et cultes non reconnus. Désormais, l’État n’ignore plus aucun culte.

Les cultes, en cessant d’être des institutions publiques, sont désormais soumis au droit privé. L’article 2 de la loi de 1905 prévoit ainsi que les établissements publics du culte, jusque-là chargés de la gestion des lieux de culte, doivent être remplacés par des associations cultuelles qui relèvent de la loi de 1901 sur les associations. Le même article inscrit dans la loi la suppression du financement public pour l’exercice du culte. Au 1er janvier 1906, sont supprimées "des budgets de l'État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes" .

Les associations cultuelles et ayant des activités cultuelles

Les associations cultuelles ou "loi de 1905"

En 1905, l’exercice du culte est organisé dans un cadre associatif : les cultes deviennent des associations spécifiques dans leur objet. La loi crée le statut d’associations cultuelles, associations conformes à la loi du 1er juillet 1901 réglant le régime général des associations mais qui sont soumises à des obligations supplémentaires. On estime aujourd'hui à environ 5 000 le nombre des associations cultuelles, les plus nombreuses étant les protestantes.

Les obligations de gouvernance et de fonctionnement de ces associations ont été renforcées par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dite "loi Séparatisme".

Les associations cultuelles doivent :

  • avoir "exclusivement pour objet l’exercice d’un culte" ;
  • être composées au minimum de sept personnes, domiciliées dans la circonscription religieuse définie par les statuts de l'association ;
  • prévoir, dans leurs statuts, un ou plusieurs organes délibérants pour les décisions les plus importantes (adhésion des nouveaux membres, modification des statuts, cession de biens immobiliers, recrutement des ministres du culte lorsque l'association y procède elle-même...). Il s'agit d'empêcher des prises de contrôle malveillantes par des groupes radicaux (clause dite anti-putsch) ;
  • déclarer tous les cinq ans leur qualité cultuelle auprès du préfet du département, qui dispose d'un droit d'opposition. En l'absence d'opposition, cette déclaration permet aux associations de bénéficier des avantages, en autres fiscaux, liés à leur nature cultuelle ;
  • tenir tous les ans une assemblée générale d'approbation des actes de gestion financière et d’administration de leurs biens.

Un décret du 27 décembre 2021 relatif aux associations cultuelles régies par la loi du 9 décembre 1905 est venu détailler la procédure de déclaration de la qualité cultuelle en préfecture. Il prévoit en particulier que les associations doivent fournir "la liste des lieux où est organisé habituellement l'exercice public du culte".

Les associations cultuelles existantes avant le 26 août 2021 disposent d'un certain délai pour mettre à jour leurs statuts. Avant la "loi Séparatisme", les associations "loi 1905" pouvaient s'assurer de leur caractère cultuel dans le cadre d'un rescrit administratif ou au détour de la déclaration d'une libéralité reçue.

Un peu d'histoire : les associations cultuelles diocésaines

Contrairement aux cultes protestante et israélite, l’Église catholique a refusé de mettre en oeuvre la loi de 1905, craignant notamment la création d’associations cultuelles diverses qui échapperaient à sa hiérarchie. Ce refus a conduit à l'adoption en urgence de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes, qui a crée des associations dites "mixtes". Ce n'est toutefois qu'en 1923-24, après accord entre le Saint-Siège et la France, que l’Église catholique a trouvé son organisation définitive dans le cadre d'associations diocésaines dotées de statuts-type, dont le Conseil d’État a jugé dans un avis de 1923 qu’ils étaient "compatibles" avec la loi de 1905. Les associations diocésaines sont présidées par les évêques nommés par le Pape, et ont pour objet de "subvenir aux frais et à l’entretien du culte catholique, sous l’autorité de l’évêque, en communion avec le Saint-Siège, et conformément à la constitution de l’Église catholique".

Les associations ayant des activités cultuelles ou "loi de 1907"

Les dernières décennies ont vu émerger, à la faveur des mouvements migratoires, des cultes autrefois très minoritaires en France, en particulier l’islam, le bouddhisme et le culte orthodoxe. Ces religions ont été réticentes à créer des associations cultuelles "loi 1905", notamment en raison des obligations de transparence et de contrôle qui leur sont imposées et de la condition d’exercice exclusif du culte. Ces cultes ont donc choisi de se placer sous le régime autorisé par la loi de 1907, qui permet d'exercer le culte sur initiative individuelle ou via une association simplement déclarée. Ces associations sont dites "mixtes" car elles peuvent exercer d’autres activités que des activités cultuelles (de bienfaisance, culturelles ou encore socio-éducatives). On n'en connaît pas leur nombre. Les cultes bouddhiste et musulman sont principalement organisés sous ce statut.

Le régime de ces associations mixtes a également été modifié par la "loi Séparatisme". Les associations mixtes doivent :

  • mentionner dans leur objet statutaire l'accomplissement d'activités en relation "avec l'exercice public d'un culte". Le préfet peut les mettre en demeure de mettre en conformité leurs statuts ;
  • tenir tous les ans une assemblée générale d'approbation des actes de gestion financière et d’administration de leurs biens ;
  • tenir et communiquer au préfet la liste des lieux dans lesquels elles exercent le culte.

Un décret du 23 décembre 2021 précise la loi.

À savoir

Plusieurs organisations catholiques, protestantes et orthodoxes ainsi que le président de la conférence des évêques de France ont demandé au Conseil d'État, à l'appui d'un recours en annulation contre les décrets des 23 et 27 décembre 2021, de transmettre deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), portant sur les nouvelles obligations administratives et comptables qu'impose la "loi Séparatisme". Le Conseil constitutionnel a rendu sa décision le 22 juillet 2022. Le régime de déclaration des associations cultuelles est jugé conforme à la Constitution. Dans le cas où le préfet retire la qualité d'association cultuelle, le Conseil a précisé que ce retrait ne pouvait pas conduire à la restitution des avantages dont l'association avait bénéficiés avant la perte de sa qualité d'association cultuelle.

Le régime des lieux de culte

La séparation des Églises et de l’État a conduit à la redéfinition des règles de propriété, de jouissance et d’entretien des édifices cultuels. La loi de 1905 avait prévu trois cas de figure :

  • les édifices cultuels propriétés de l’État ou des collectivités locales avant la loi de 1905 (notamment les églises catholiques nationalisées lors de la Révolution française) et qui sont restés dans le domaine public ;
  • les édifices cultuels qui appartenaient aux établissements publics du culte et qui ont été transférés aux associations cultuelles nouvellement constituées. En 1905, les  protestants et les israélites sont ainsi devenus propriétaires de leurs temples, églises et synagogues. Les catholiques ayant refusé les associations cultuelles, les églises catholiques sont devenues des propriétés publiques dévolues à l'exercice du culte (loi du 2 janvier 1907). Leur entretien est pris en charge par la collectivité publique, ce qui constitue un avantage significatif pour la communauté catholique.
  • les édifices cultuels construits après 1905 et qui sont la propriété des associations cultuelles ou diocésaines qui les ont construits.

D'après un rapport du Sénat publié en 2015, 90% des églises catholiques appartiennent aux communes, contre 12% pour les temples et églises protestantes et 3% pour les synagogues.

Les cultes qui se sont développés plus tard en France sous la forme d'associations mixtes "loi 1907" sont propriétaires de leurs lieux de culte (mosquées, pagodes, églises orthodoxes ou évangéliques...). Ces lieux appartiennent parfois aussi à des fédérations, à des groupements d'associations ou à des États étrangers.

Aujourd'hui, des fondations reconnues d'utilité publique oeuvrent pour la construction et la gestion des lieux de culte, en accord avec les maires des communes concernées (fondation de l'Islam de France, fondation du patrimoine juif de France, fondation du protestantisme...).

Le financement des cultes et son contrôle

L’article 2 de la loi du 9 décembre 1905 interdit le subventionnement public des cultes. L’attribution d’une subvention pourrait être interprétée comme la reconnaissance officielle d’un culte.

Par exception, les collectivités publiques peuvent accorder une aide aux associations cultuelles pour des travaux de réparation ou d'accessibilité des lieux de culte, qu'ils soient ou non classés monuments historiques. Elles peuvent aussi financer les dépenses d'entretien des édifices religieux dont elles sont restées ou devenues propriétaires après 1905.

De plus, les communes et les départements peuvent garantir les prêts contractés par les associations cultuelles pour construire des édifices du culte. Les communes peuvent aussi consentir des baux emphytéotiques aux associations cultuelles moyennant un loyer symbolique. Dans ces deux cas, la collectivité locale doit en informer auparavant le préfet depuis la "loi Séparatisme".

Pour se financer, les associations cultuelles "loi 1905" sont autorisées à percevoir et détenir des ressources propres : cotisations de leurs fidèles déductibles des impôts, dons et legs, produits des quêtes et des collectes, biens cultuels, etc. Face à la raréfaction des dons des fidèles, la loi du 24 août 2021 a élargi la liste de ces ressources aux revenus, notamment locatifs, tirés des immeubles de rapport (qui ne sont pas liés au culte) acquis par don ou par legs.

La "loi Séparatisme" impose également aux associations cultuelles de nouvelles contraintes de transparence comptable et financière :

  • contenu des comptes annuels renforcé ;
  • établissement à partir de 2023 d'un compte séparé de leurs financements provenant de l'étranger (d'un État, d'un organisme, d'une personne ou d'une fiducie) ;
  • obligation de certifier leurs comptes lorsqu'elles reçoivent des financements étrangers (avantages ou ressources) supérieurs à 50 000 euros ;
  • obligation de déclarer au ministère de l'intérieur les financements étrangers dépassant 15 300 euros sur un an, etc.

Les associations ayant des activités cultuelles "loi 1907" peuvent, de leur côté, recevoir des cotisations, des dons d'argent et des apports mobiliers et immobiliers et faire appel à la générosité publique. Pour leurs activités non-cultuelles, elles peuvent obtenir des subventions publiques.

Avant la "loi Séparatisme", seule une circulaire de 2010 du ministère de l'intérieur précisait aux préfets comment traiter ces associations. Désormais, ces associations doivent respecter, comme les associations cultuelles, de nouvelles obligations de transparence financière et comptable :

  • obligation d'ouvrir un compte bancaire pour leurs dépenses cultuelles ;
  • obligation de séparer dans leurs comptes annuels leurs activités cultuelles ;
  • obligation de certifier leurs comptes dès lors qu’elles délivrent des reçus ouvrant droit à réduction fiscale, qu’elles bénéficient de subventions publiques qui dépassent annuellement 23 000 euros ou que leur budget annuel dépasse 100 000 euros ;
  • mêmes contraintes que les association cultuelles en cas de financements étrangers, etc.

Pour les associations créées avant la "loi séparatisme", ces obligations sont applicables à partir de 2023.

L'objectif de la loi de 2021 est d'aboutir à ce que les religieux qui privilégient aujourd’hui la forme de l’association mixte demandent la création d’une association cultuelle, l’exercice du culte n’étant pas une activité neutre.

Le statut des ministres du culte

Avec la loi de 1905, l’État cesse de salarier les ministres des cultes reconnus. Dès lors, il n’y a plus, à proprement parler, de statut spécifique pour ces officiants.

Néanmoins, du fait même de leurs fonctions, les ministres du culte peuvent être soumis à des règles particulières. Par exemple, ils n'ont pas le droit d’enseigner dans les écoles primaires publiques.

De même, les religieux dont la fonction est essentiellement pastorale ne sont pas reconnus comme salariés d’une autorité religieuse. Les rapports entre un ministre du culte et son autorité religieuse échappent au droit du travail et les tribunaux se sont toujours déclarés incompétents pour en juger. L’Église catholique, par exemple, donne le primat au droit canonique selon lequel c’est l’ordination qui crée le lien entre le prêtre et son évêque, il ne peut être question de contrat de travail entre un prêtre et une association diocésaine.

En 1978, a été mis en place un régime d’assurance maladie, maternité, vieillesse, applicable aux ministres des cultes et membres des congrégations et collectivités religieuses. Le conseil d’administration de la Caisse d’assurance vieillesse, invalidité et maladie des cultes (Camivac), organisme national sous la tutelle de l'État créé en 2000 et chargé de gérer ce régime, rassemble des représentants des cultes catholique, musulman, orthodoxe, anglican, bouddhiste et évangélique. Les ministres du culte juifs ou protestants ont eux accepté l’adhésion au régime général de la sécurité sociale en 1945.