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Citoyenneté et droit de vote des étrangers

Temps de lecture  9 minutes

Par : La Rédaction

Les étrangers se sont progressivement vu reconnaître le droit de vote aux élections non politiques. Mais, alors que certains pays de l’UE ont accordé aux étrangers le droit de vote aux élections locales, en France, les immigrés non européens qui n’ont pas la nationalité française restent exclus du droit de vote aux élections politiques.

Depuis 30 ans, le débat sur le droit de vote des étrangers aux élections locales revient périodiquement sur le devant de la scène : c’était une proposition du candidat François Mitterrand en 1981 et un engagement du candidat François Hollande en 2012.

Entre ces deux dates, le traité de Maastricht (1992) a accordé le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales pour les ressortissants de l’Union européenne (UE), créant une nouvelle citoyenneté, la citoyenneté européenne.

La reconnaissance d’une "citoyenneté sociale"

Les étrangers ont progressivement acquis des droits égaux à ceux des nationaux dans de nombreux domaines dès lors que l’exercice de l’autorité publique ou de fonctions de souveraineté n’est pas en jeu.

Ainsi, depuis 1946, les étrangers sont électeurs dans les instances représentatives du personnel. Depuis 1968, ils peuvent être élus délégués syndicaux. Ils peuvent être membres des comités d’entreprise et délégués du personnel à condition de "savoir lire et écrire en français" (selon la loi du 27 juin 1972), puis de "pouvoir s’exprimer en français" (selon la loi du 11 juillet 1975), puis sans condition après la loi du 28 octobre 1982, une des lois dites lois Auroux

Ils sont également électeurs et éligibles dans les conseils d’administration des caisses de sécurité sociale, les conseils d’administration des établissements publics gérant des logements sociaux (OPAC, OPHLM) depuis 1982. Ils peuvent être élus parents d'élève délégués et, à ce titre, participer aux conseils des écoles ainsi qu’aux conseils d’administration des collèges et des lycées. Ils peuvent participer aux instances de gestion des universités (la présidence d'une université restant monopole national).

Les ressortissants communautaires ont le droit de voter pour désigner les assesseurs des tribunaux paritaires des baux ruraux et dans d’autres organismes agricoles. Mais seuls des Français peuvent être membres des chambres de commerce et d’industrie, des chambres d’agriculture et des chambres de métiers. C’est aussi le nombre global d’habitants d’une collectivité – déterminé lors du recensement – et non pas seulement celui des Français qui est pris en compte pour fixer par exemple le montant de subventions ou le nombre des conseillers municipaux.

Ainsi la reconnaissance de droits aux étrangers, identiques à ceux dont bénéficient les Français dans un certain nombre d’institutions, remet en cause la conception traditionnelle de la citoyenneté fondée sur la nationalité. Une nouvelle citoyenneté apparaît, qualifiée parfois de "citoyenneté sociale".

La création d’une citoyenneté européenne

La Constitution française du 3 septembre 1791 n’associait pas de condition de nationalité à l’octroi du droit de vote et celle du 24 juin 1793 définissait trois catégories d’étrangers pouvant participer à la souveraineté nationale via le droit de vote. "La notion de nationalité a fini par être absorbée par celle de citoyenneté" disait Marceau Long en 1988 quand il présidait la commission de la nationalité. L'article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que : "Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques".

Le Conseil de l’Europe a adopté, le 5 février 1992, une Convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local. L’article 6 de cette convention précise que "chaque partie s’engage […] à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales à tout résident étranger, pourvu que celui-ci remplisse les mêmes conditions que celles qui s’appliquent aux citoyens et, en outre, ait résidé légalement et habituellement dans l’État en question pendant les cinq ans précédant les élections".

Le traité de Maastricht, du 7 février 1992, institue une citoyenneté européenne. Les citoyens de l’Union européenne sont les personnes ayant la nationalité d’un État membre de l’UE. Le traité leur accorde le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales et européennes.

Le Conseil constitutionnel a jugé cette disposition anticonstitutionnelle. Si "l’article 3 de la Constitution réserve le droit de vote aux nationaux français ; le pouvoir constituant peut prévoir des dérogations au principe général en autorisant les étrangers de la CEE à voter lors des élections municipales et européennes" précise le Conseil constitutionnel dans une décision de septembre 1992.

En conséquence, la Constitution a été modifiée et dispose désormais que le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l’Union résidant en France. La directive du 19 décembre 1994 fixe les modalités selon lesquelles les citoyens de l’UE qui résident dans un État membre sans en avoir la nationalité peuvent y exercer le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales. Cette directive a été transposée par la loi organique du 25 mai 1998. Les ressortissants des pays de l’Union européenne ont pu voter pour la première fois aux élections européennes en 1999 et aux élections municipales en 2001. Le droit de vote des étrangers à ces élections a été intégré à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en 2001.

Les règles qui encadrent le droit de vote des étrangers hors UE aux élections locales sont différentes d'un État à l'autre :

  • l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie dénient aux étrangers le droit de vote ;
  • l'Espagne et le Portugal peuvent accorder le droit de vote aux étrangers sous réserve de réciprocité ;
  • le Royaume-Uni accorde le droit de vote aux ressortissants du Commonwealth qui résident sur son territoire ;
  • la Belgique, le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Suède octroient le droit de vote à tous les étrangers qui résident sur leur territoire depuis quelques années ;
  • l’Irlande ne subordonne pas le droit de vote des étrangers à une durée minimale de résidence.

Débat sur une citoyenneté politique liée à la résidence pour tous les étrangers

Le débat sur le droit de vote des étrangers est récurrent depuis plus de 30 ans. C’est dans les années 1970 que des organisations politiques et des associations revendiquent le droit de vote pour les étrangers aux élections municipales après cinq ans de résidence sur le territoire. Cette mesure est inscrite dans les 110 propositions du candidat François Mitterrand à l’élection présidentielle de 1981 mais elle n’est pas mise en œuvre.

Pourtant, dans sa Lettre à tous les Français lors de la campagne présidentielle de 1988, François Mitterrand réitère sa position de principe en faveur du droit de vote des étrangers et il fait part de son regret "que l’état (des) mœurs ne le permette pas".

Certaines municipalités s’emparent du débat en s’efforçant d’associer la population étrangère à la vie politique locale de différentes manières (commissions extra-municipales d’immigrés, conseils municipaux associés ou encore conseil consultatif des étrangers). Mais toutes ces structures n’ont qu’un caractère consultatif.

Le 3 mai 2000, l’Assemblée nationale adopte en première lecture une proposition de loi constitutionnelle qui donne le droit de vote à tous les résidents étrangers pour les élections municipales. Pendant les dix années qui suivent, le Sénat, dont les membres sont majoritairement opposés à la proposition de loi, n’inscrit pas le texte à son ordre du jour. En 2001, dans son livre Libre, puis de nouveau en 2005 alors qu’il est ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy se prononce pour le droit de vote des étrangers aux élections municipales, comme "facteur d’intégration".

En décembre 2011, la proposition de loi votée par l’Assemblée nationale en 2000 est finalement adoptée par le Sénat. Le texte prévoit d’accorder le droit de vote aux élections municipales aux étrangers non communautaires résidant en France ainsi que leur éligibilité comme conseiller municipal. Il ne permet ni l’élection à la fonction de maire ni la participation comme grand électeur aux élections sénatoriales. La proposition de loi constitutionnelle, adoptée par les deux assemblées, exige un vote du Congrès ou un référendum avant de pouvoir être promulguée. Cependant, le président de la République, Nicolas Sarkozy, se prononce contre cette proposition qu’il estime "hasardeuse" et susceptible de "diviser les Français à une période de crise où il y a tant besoin de les rassembler".

En 2012, le droit de vote des étrangers aux élections locales figure parmi les 60 propositions du candidat François Hollande à l’élection présidentielle. Une proposition qui, selon plusieurs sondages, recueillerait l’avis favorable d’une majorité de Français.

Invité d’une émission spéciale organisée par le Bondy Blog avec Radio France Internationale, Libération et France 24, le 27 octobre 2015, le Premier ministre, Manuel Valls, juge impossible politiquement de faire adopter la promesse du candidat Hollande sur le droit de vote des étrangers, car aucune des deux options nécessaires (un vote favorable des 3/5 des députés et sénateurs réunis en Congrès, ou un oui par référendum) n’est envisageable.

Pour sa part, le président de la République, Emmanuel Macron, a précisé qu'il préférait favoriser l'accès à la nationalité française plutôt que d'accorder le droit de vote aux étrangers.