Vous écoutez « L’Actualité de la vie publique », un podcast du site Vie-publique.fr.
Au sommaire de ce 3e épisode : « Comment la sûreté du nucléaire est-elle assurée ? ».
1.Stéphanie : Pourquoi les centrales nucléaires présentent-elles des risques spécifiques ?
Patrice : Par rapport à d’autres centrales thermiques (disons « classiques »), les installations nucléaires présentent des risques particuliers, en raison des substances radioactives utilisées pour la production de l’électricité (une centrale en utilise plusieurs dizaines de tonnes). Ces matières représentent un danger potentiel pour la santé du personnel de la centrale ou des populations vivant à proximité et pour l’environnement. Les accidents les plus graves de l’histoire ont eu lieu en 1979 à Three Mile Island (aux États-Unis), en 1986 à Tchernobyl (à l’époque en ex-URSS) et en 2011 à Fukushima (au Japon). En dehors des accidents, d’autres risques liés à l’activité des centrales doivent être pris en compte : le transport des matières dangereuses (matières premières et déchets), le réchauffement des rivières et des fleuves dont l’eau est utilisée pour refroidir les centrales (un problème qui va devenir critique dans les décennies à venir avec le réchauffement climatique), la gestion des déchets radioactifs ou encore les problèmes posés par le démantèlement des centrales en fin de vie.
2.Stéphanie : Quels sont les dispositifs qui garantissent la sécurité des installations nucléaires ?
Patrice : La sécurité de la filière nucléaire comprend plusieurs dimensions. D’abord, il y a, en cas d’accident, les mesures propres à la sécurité civile (c’est-à-dire tout ce qui doit être mis en œuvre pour protéger les populations). Deuxième dimension, la protection des installations nucléaires contre les actes de malveillance (sabotage, attentat, cyberattaque, etc.), les risques aériens (chute d’avion ou de drone) ou les événements météorologiques extrêmes. Et enfin, ce que l’on appelle la sûreté nucléaire qui désigne l’ensemble des dispositions techniques et des mesures concernant les installations (de la conception au démantèlement), ainsi que le transport des substances radioactives et la radioprotection, c’est-à-dire la protection de l’humain et de l’environnement contre les effets de la radioactivité (les rayons ionisants).
[Intervention 1. Stéphanie : L’objectif de la sûreté est donc d’agir en amont afin de prévenir tout risque d’accident ?]
Patrice : Oui ! L’objectif est de protéger en toutes circonstances les populations et l’environnement en empêchant des rejets radioactifs. A partir du début des années 1970, le concept de « défense en profondeur » a été adopté. Celui-ci consiste à édifier plusieurs lignes de défense successives afin d’assurer une sûreté optimale de l’installation en cas de défaillances (et éviter ainsi que celles-ci n’entraînent un incident ou un accident).
3.Stéphanie : Quels sont les organismes qui assurent en France la régulation du nucléaire ?
Patrice : L’Agence de sûreté nucléaire est l’organisme qui est chargé au nom de l’État du contrôle des activités nucléaires civiles et de la radioprotection. Cette autorité administrative indépendante – qui est en quelque sorte le « gendarme » du nucléaire en France - a été créée en 2006 par la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire. Elle assure le suivi permanent des installations afin de s’assurer qu’elle reste conforme aux normes de sûreté. Par exemple, concernant les réacteurs nucléaires, un réexamen complet de leur état est effectué tous les dix ans. L’ASN contrôle également d’autres activités comme la gestion des déchets ou le transport des substances radioactives. Elle s’appuie dans sa mission sur les compétences scientifique et technique de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) créé en 2002. L’ASN a en cas de manquement au cadre réglementaire le pouvoir de prendre des mesures de coercition ou de sanction à l’égard des exploitants d’activités nucléaires.
[Intervention 2. Stéphanie : Y a-t-il l’équivalent de l’ASN au niveau international ?]
Patrice : Pas exactement. La sûreté est de la responsabilité de chaque État. Néanmoins, au niveau international, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) se charge notamment d’harmoniser les pratiques et les critères de sûreté entre États. Chaque accident majeur est également l’occasion pour les exploitants, les organismes de régulation et pour les experts de l’AIEA de tirer profit du retour d’expérience pour améliorer les consignes et les procédures de sécurité au sein des centrales, renforcer le cadre réglementaire et adopter les bonnes pratiques en matière de sûreté nucléaire. Après la catastrophe de Fukushima, la Commission européenne a par exemple demandé aux États membres d’organiser des stress test (tests de résistance) de leurs centrales et la France a par exemple mis sur pied ce qu’on appelle la Force d’action rapide du nucléaire capable d’intervenir en moins de 24 heures en cas d’accident majeur sur n’importe quel site nucléaire français.
[Intervention 3. Stéphanie : En cas d’accident, qui est chargé d’informer le public ?]
Patrice : En cas d’accident, ce sont les différentes autorités chargées de la gestion de crise qui peuvent informer le public. C’est-à-dire le gouvernement, le préfet, EDF l’exploitant de l’installation ou l’IRSN. L’AIEA a, quant à elle, créé en 1991 l’échelle internationale des événements nucléaires (l’Ines) graduée de 0 à 7 qui permet au public de juger du degré de gravité d’un incident ou d’un accident. A titre d’exemple, l’accident de Fukushima en 2011 a été classé au niveau 7. Sinon en dehors du cadre exceptionnel de l’information en situation de crise, c’est le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire, créé en 2006, une instance indépendante et pluraliste où siègent tous les acteurs du monde nucléaire qui est chargée de l’animation du débat public. En outre, tous les incidents survenant dans une installation nucléaire - quelle que soit leur importance - doivent être déclarés par l’exploitant aux autorités chargées de la sûreté et rendus publics.
4.Stéphanie : Le gouvernement et EDF envisagent désormais de prolonger la durée de vie des centrales françaises. Quel âge ont-elles exactement ?
Patrice : Les réacteurs français en fonctionnement ont été mis en service entre 1979 et 2002. Ils ont aujourd’hui en moyenne 37 ans. Au moment de leur conception, la durée de fonctionnement envisagée était de 40 ans. EDF a lancé des études afin d’évaluer la possibilité de poursuivre l’exploitation de ses centrales au-delà de 50 ans (pour 60 ans et même plus). Ces études portent notamment sur la capacité des équipements tels que les enceintes de confinement et les cuves des réacteurs à assurer leur fonction en toute sécurité. Tous les dix ans, un réexamen approfondi de chaque réacteur – sous la supervision de l’ASN - permet de déterminer si celui-ci peut fonctionner dix ans de plus. Lors de cette opération les équipements arrivés en fin de vie sont changés sauf un élément que l’on ne peut pas renouveler : c’est la cuve du réacteur (certains défauts ou anomalies sont particulièrement surveillés comme les fissures présentes sur le revêtement métallique de certaines cuves depuis leur fabrication dont l’effet dommageable est d’abaisser progressivement la ténacité de l’acier).
[Intervention 4. Stéphanie : Est-ce que d’autres pays ont déjà engagé la prolongation de la durée de fonctionnement de leurs centrales ?]
Patrice : Le réacteur le plus ancien en fonctionnement dans le monde se trouve en Suisse. Il a 53 ans. En 2017, les électeurs suisses ont décidé par référendum d’engager progressivement la sortie de leur pays du nucléaire en approuvant l’interdiction de construire de nouvelles installations. A la suite de ce référendum, les autorités helvètes ont décidé de prolonger l’exploitation des centrales sans doute au-delà de 50 ans. Aux États-Unis, la durée initiale de quarante ans est renouvelable par tranche de vingt ans et plusieurs centrales en Floride, en Pennsylvanie et en Virginie ont déjà obtenu une licence d’exploitation de plusieurs réacteurs jusqu’à 80 ans. Le gouvernement fédéral mais aussi certains États fédérés ont adopté des politiques de soutien (par exemple l’IRA : Inflation Reduction Act) pour préserver le parc nucléaire existant en mettant en avant sa contribution aux objectifs de décarbonation et de sécurité d’approvisionnement.
5.Stéphanie : L’autre grand sujet de préoccupation concernant la filière nucléaire est celui de la gestion des déchets radioactifs. Qu’est-ce qu’un déchet radioactif ?
Patrice : La loi française distingue un déchet radioactif (qui est une substance dont aucun usage ultérieur n’est prévu par ex. des vêtements de protection ou des outils utilisés par un technicien dans une centrale nucléaire) d’une matière radioactive (qui est une substance radioactive ayant une possible utilisation ultérieure par ex. l’uranium issu du retraitement du combustible usé). La dangerosité des déchets radioactifs diminue progressivement avec le temps. Les déchets sont classés selon deux critères : le temps nécessaire à la décroissance de leur radioactivité et l’intensité de cette radioactivité. Certains déchets sont à vie courte : leur période, c’est-à-dire le temps au bout duquel la radioactivité initiale est divisée par 2 est inférieure ou égale à 31 ans. Les déchets à vie longue sont ceux dont la période dépasse 31 ans. Pour certaines catégories de déchets, celle-ci peut s’étendre sur des milliers, voire des centaines de milliers d’années. Les déchets présentent aussi différents degrés de radioactivité : très faible, faible, moyenne et haute. Les déchets à vie longue ne représentent qu’environ 10 % du volume total mais 99,9 % de la radioactivité totale. Les déchets à moyenne activité à vie longue et haute activité ne représentent qu’une faible quantité du total, mais ils sont aussi ceux dont la gestion est la plus complexe car ce sont les plus dangereux pour la santé et l’environnement.
[Intervention 5. Stéphanie : Qui est chargé de la gestion des déchets et qu’est-ce qu’on en fait?]
Patrice : L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (l’ANDRA) a été créée en 1979. Elle est chargée de la conception et de la mise en œuvre des solutions de gestion des déchets radioactifs et réalise chaque année un inventaire de l’ensemble des déchets présents sur le territoire. La solution technique utilisée varie selon le type de déchets. Les déchets de très faible activité ne présentent pas de danger particulier leur radioactivité est souvent inférieure à la radioactivité de roches naturelles comme le granit. Ils sont issus la plupart du temps du démantèlement d’une centrale. Ils sont donc simplement étiquetés et entreposés en surface ou en faible profondeur pour une durée limitée. Les déchets à vie courte et de faible ou moyenne activité (par ex. vêtements de travail, outillage, etc.) sont - après avoir subi différents traitements - confinés à l’intérieur de matériaux étanches et durables comme l’acier ou le béton (sous forme de « colis »). Ces « colis » sont conservés dans des lieux de stockage spécifiques (en béton) et placés sous surveillance durant environ trois cents ans. Enfin, les déchets à haute activité à vies courte et longue (ex. produits de fission – je rappelle qu’on a expliqué ce qu’était la fission dans le 1er épisode !), sont enrobés dans un type de verre pratiquement inaltérable et coulés dans des conteneurs en acier. Les déchets les plus radioactifs et à vie longue pour lesquels il n’existe pas de filière de stockage sont, une fois vitrifiés, conservés dans des piscines refroidies en permanence, puis entreposés dans des puits en béton dans l’attente d’une solution de gestion définitive.
[Intervention 6. Stéphanie : Le centre de stockage Cigéo en cours de construction à Bure (dans l’Est de la France) doit fournir une solution pour la gestion de cette catégorie de déchets, n’est-ce pas ?]
Patrice : Le projet de stockage de longue durée (baptisé Cigéo) est en effet destiné à accueillir, à partir de 2035, des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue pour une durée de 100 000 ans. Il s’agit d’un centre de stockage géologique profond (les colis seront placés dans des alvéoles aménagés dans des galeries creusées dans une couche d’argile stable et imperméable à 500 mètres sous la surface) et réversible pendant au moins un siècle afin de permettre aux générations futures de récupérer les colis (si à l’avenir des techniques plus performantes de traitement des déchets étaient mises au point). Le projet suscite toutefois l’opposition d’une partie des habitants de la région et d’associations de protection de l’environnement qui considèrent que personne n’est en mesure aujourd’hui de garantir la stabilité des sols sur une durée aussi longue et qui redoutent une possible contamination des eaux souterraines et des sols, voire des risques de dispersion radioactive si un incendie grave survenait dans une galerie.
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