Vous écoutez « L’Actualité de la vie publique », un podcast du site Vie-publique.fr.
Patrice : Le lancement d’un nouveau programme de construction de réacteurs nucléaires, dont l’entrée en service est envisagée à l’horizon 2035, constitue un véritable tournant de la politique énergétique française. Afin de mieux comprendre les défis auxquels le système électrique hexagonal sera confronté dans les années à venir « L’Actualité de la vie publique » consacre une nouvelle série à l’industrie nucléaire.
Au sommaire de ce 2e épisode : « Qu’est-ce qu’une centrale nucléaire ? ».
1. Patrice : Depuis le déclenchement de la crise énergétique et l’annonce par l’exécutif de sa volonté de relancer la filière nucléaire, EDF constate une augmentation du nombre de touristes sur ses sites de production d’électricité. Nos concitoyens sont en particulier, semble-t-il, curieux de comprendre le fonctionnement des centrales nucléaires. Alors première question, Stéphanie, comment une centrale nucléaire produit-elle de l’électricité ?
Stéphanie : Une centrale nucléaire comme toutes les centrales thermiques produit de l’électricité grâce à de la vapeur d’eau en faisant tourner un alternateur. La différence avec les autres centrales, c’est la nature du combustible utilisé pour produire de la chaleur. Dans une centrale nucléaire, on utilise de l’uranium placé dans un réacteur.
[Intervention 1. Patrice : Le principe sur lequel repose la production d’énergie dans un réacteur nucléaire s’appuie sur des découvertes faites dans le domaine de la physique nucléaire aux XIXe et XXe siècle, n’est-ce pas ?]
Stéphanie : Absolument ! En particulier celle de la radioactivité de l’uranium par le Français Henri Becquerel, puis du radium par Pierre et Marie Curie, à la fin du XIXe siècle. Leurs travaux ont mis fin à l’idée selon laquelle les atomes étaient immuables et montré au contraire que certains atomes instables, comme l’uranium, se transforment en dégageant de l’énergie (sous la forme de différents rayonnements).
[Intervention 2. Patrice : Alors pour celles et ceux qui auraient un peu oublié leurs cours de sciences physiques du lycée, pouvez-vous nous rappeler ce qu’est un atome ?]
Stéphanie : Un atome est l’élément de base qui constitue la matière. Tout ce qui nous entoure, l’eau, l’air, tous les êtres vivants sont constitués d’atomes. Ces atomes ont tous la même structure. Ils sont formés d’un noyau entouré d’électrons. Quant au noyau, il est composé de deux particules : les protons et les neutrons. Alors que le mot « atome » vient du grec atomos qui signifie insécable (qu’on ne peut pas couper), au XXe siècle, les physiciens vont apprendre à casser des atomes grâce à la découverte de la fission nucléaire.
[Intervention 3. Patrice : La fission nucléaire, c’est le principe de base sur lequel on s’appuie pour produire de l’énergie. C’est cela ?]
Stéphanie : Oui ! La fission nucléaire consiste à casser un gros noyau atomique d’uranium en deux plus petits sous l’impact d’un neutron, ce qui libère de l’énergie se traduisant par un dégagement de chaleur. Dans la cuve du réacteur d’une centrale – qui ressemble à une grosse bouilloire remplie d’eau – sont immergés des tubes métalliques contenant des pastilles d’uranium. Pour démarrer un réacteur, c’est simple, on y place une source de neutrons, les atomes d’uranium vont alors éclater sous l’impact de ces neutrons. La fission initiale provoque d’autres fissions entraînant une réaction en chaîne extrêmement radioactive qui libère de la chaleur. Celle-ci transforme de l’eau en vapeur qui met en mouvement une turbine reliée à un alternateur qui produit le courant électrique. Attention, l’électricité produite ne se stocke pas. Elle est directement envoyée sur le réseau via des lignes à haute tension.
[Intervention 4. Patrice : Et de quelle manière pilote-t-on un réacteur nucléaire ?]
Stéphanie : Vous allez tout comprendre ! Le pilotage du réacteur s’effectue grâce à la régulation du nombre de neutrons dans le réacteur. Pour cela, on utilise des éléments chimiques qui ont la faculté d’absorber les neutrons (comme le bore ou le cadmium). Ces éléments se présentent généralement sous la forme de barres de commande. Lorsqu’une barre est insérée dans le cœur du réacteur, elle capture des neutrons et ralentit la réaction en chaîne. A l’inverse, si on la retire, on augmente les fissions. Pour arrêter un réacteur, il faut donc diminuer le nombre de neutrons afin d’étouffer la réaction en chaîne.
[Intervention 5. Patrice : Et pourquoi faut-il continûment refroidir le réacteur ?]
Stéphanie : C’est parce que si la puissance due aux fissions s’annule en quelques secondes, une puissance résiduelle continue à être dégagée par les désintégrations radioactives. Cette puissance diminue avec le temps, mais elle reste active durant plusieurs mois, voire des années. C’est la raison pour laquelle, il faut continuer à assurer le refroidissement d’un réacteur, même après son arrêt. C’est aussi le cas pour les combustibles usés que l’on décharge du réacteur.
2. Patrice : Quelle est la puissance produite par une centrale nucléaire ?
Stéphanie : En général, une centrale nucléaire compte plusieurs réacteurs. Les centrales françaises peuvent en compter 2, 4 ou 6. Une tranche nucléaire correspond à l’ensemble formé par un réacteur, les turbines et un alternateur. En moyenne, une tranche représente une puissance de 1000 mégawatts et produit 7 térawattheures par an (certains réacteurs installés en France ont une puissance de 1300, 1450 MW et un EPR2 de 1680 MW). Je rappelle qu’un mégawattheure est égal à 1000 kWh et qu’un térawattheure équivaut à 1 milliard de KWh. Pour vous donner un ordre d’idée, en France, selon le gestionnaire du réseau transport de l’électricité (RTE) la production totale nette d’électricité en 2019 – donc avant la crise sanitaire période moins significative - a été de 537 TWh dont 71 % d’origine nucléaire.
3. Patrice : Qui sont les principaux acteurs de la filière nucléaire en France ?
Stéphanie : Le nucléaire est la 3e filière industrielle française par ordre d’importance – après l’aéronautique et l’automobile - avec plus de 3 000 entreprises dont 85 % de TPE/PME réparties sur tout le territoire. Cela représente 220 000 emplois directs et indirects, soit près de 7 % de l’emploi industriel. A titre d’exemple, il faut environ 1000 personnes pour faire fonctionner une centrale. C’est aussi un secteur d’emplois hautement qualifiés, puisque les trois quarts des effectifs sont constitués de techniciens et d’ingénieurs. Les entreprises françaises maîtrisent l’ensemble de la chaîne de valeur de cette industrie, de l’extraction de l’uranium au recyclage des combustibles et à la gestion des déchets, en passant par la conversion et l’enrichissement de l’uranium, la fabrication des combustibles, la conception, la construction, l’exploitation et la maintenance des centrales. Les principaux acteurs du secteur sont le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (le CEA pour la recherche et développement), EDF pour la conception, la construction et l’exploitation des centrales, ORANO ex-Areva pour le combustible, Framatome pour la fabrication des composants de l’îlot nucléaire (réacteur, chaudière, etc.) et l’ANDRA pour la gestion des déchets.
4. Patrice : Quels sont en comparaison avec d’autres sources d’énergie les avantages de l’énergie nucléaire ?
Stéphanie : Le nucléaire présente d’abord un avantage considérable par rapport à d’autres sources d’électricité : c’est sa capacité à produire de grandes quantités d’électricité décarbonée de manière prévisible et pilotable (contrairement aux énergies renouvelables comme l’éolien ou le photovoltaïque qui sont dépendantes respectivement du vent ou du soleil). La spécificité de l’énergie nucléaire est sa très forte densité énergétique (c’est-à-dire la quantité d’énergie stockée dans une masse donnée). A titre de comparaison, la combustion d’un gramme de pétrole libère 42 000 joules (le joule est l’unité de mesure de référence de l’énergie), alors que la fission d’un gramme d’uranium en libère 73 milliards. L’énergie nucléaire est environ un million de fois plus concentrée que les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon).
[Intervention 6. Patrice : Quels sont les autres atouts du nucléaire ?]
Stéphanie : L’uranium est une matière première relativement disponible en termes de réserves, dont on a besoin en quantité très limitée pour la production des centrales et dont les volumes très faibles sont facilement transportables : ce qui élimine en grande partie les problèmes de dépendance vis-à-vis de l’étranger et ceux liés aux risques géopolitiques. Cela constitue donc un atout du point de vue de la souveraineté énergétique. Autre avantage du nucléaire, en raison de ses faibles coûts de production, le prix de l’électricité est en France nettement plus bas que dans les autres pays d’Europe. Enfin, ajoutons que concernant l’environnement, le nucléaire occupe peu d’espace par KWh produit (déchets compris). C’est un avantage notable car cela limite l’artificialisation des sols et la multiplication des réseaux.
5. Patrice : Mais le nucléaire suscite depuis toujours beaucoup de débats, c’est donc qu’il présente également des inconvénients. Lesquels ?
Stéphanie : Les inconvénients du nucléaire sont de plusieurs ordres. Il y a tout d’abord un coût environnemental dont le premier est celui lié aux déchets radioactifs issus du retraitement des combustibles, notamment ceux à haute activité à vie longue (extrêmement dangereux durant plusieurs centaines de millions d’années) et ceux à moyenne activité à vie longue. La gestion très complexe de ces déchets constitue une très forte contrainte pour le présent mais pèsera également sur les générations futures. Deuxièmement, l’utilisation d’eau nécessaire au refroidissement des réacteurs entraîne une vulnérabilité au réchauffement climatique avec les effets liés à la montée du niveau de la mer et des tempêtes pour les centrales situées en bord de littoral (avec donc un risque de submersion des installations), et pour les centrales installées en bord de fleuve, ceux liés à la baisse du débit de l’eau et la hausse de sa température.
[Intervention 7. Patrice : Aujourd’hui déjà, à partir de certains seuils de température ou de débit les centrales sont contraintes de réduire ou cesser leur production pour limiter leur impact sur l’environnement, n’est-ce pas ?]
Stéphanie : Oui, même si, selon le type de fonctionnement de la centrale cycle ouvert ou fermé : les quantités d’eau consommées et restituées dans l’environnement, ainsi que les températures ne sont pas identiques et n’ont pas les mêmes effets.
[Intervention 8. Patrice : Quels sont les autres impacts négatifs potentiels que peuvent poser les centrales sur l’environnement ?]
Stéphanie : Le démantèlement des installations arrivées en fin de vie - qui commence seulement maintenant pour les plus anciennes - est complexe et génère également des déchets radioactifs dont la gestion s’étendra sur une période très longue. Ensuite, les accidents éventuels peuvent avoir des impacts sur l’environnement avec des conséquences variables en fonction de leur gravité (exemple ceux Tchernobyl en 1986 ou de Fukushima en 2011).
[Intervention 9. Patrice : On entend également parler aujourd’hui de la perte de compétences dans les métiers de la filière nucléaire. Cela ne relève pas du même registre que les problèmes liés à l’environnement mais cela constitue néanmoins une difficulté majeure pour l’avenir de cette industrie ?]
Stéphanie : En effet, la perte des compétences opérationnelles est aujourd’hui la source d’importantes difficultés, en particulier pour la maintenance des installations, mais aussi pour la construction de nouvelles centrales (à l’instar des deux réacteurs EPR2 de la centrale de Flamanville - un chantier qui a débuté en 2007 - dont la mise en service était prévue en 2012 et qui est désormais reportée à 2024). La perspective de nouveaux chantiers et les travaux d’entretien du parc actuel nécessiteront donc impérativement des recrutements massifs, d’ici à la fin de la décennie 2020, de l’ordre de 10 000 à 15 000 emplois par an.
Vous pouvez réécouter gratuitement le premier épisode de cette série sur vos plateformes préférées et notre chaîne YouTube. N’hésitez pas à vous y abonner !
Et pour en savoir plus, RDV sur notre site internet Vie-publique.fr et nos réseaux sociaux.