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Les réacteurs de la centrale nucléaire de Paluel (Seine-Maritime), en janvier 2021, lors d'un exercice de la Farn (Force d'action rapide du nucléaire). © Sameer al-Doumy/AFP

Sûreté nucléaire : prévention et gestion des risques

Temps de lecture  11 minutes

Par : La Rédaction

À l'issue du conseil de politique nucléaire du 3 février 2023, le Gouvernement a annoncé sa volonté de réformer la gouvernance de la sûreté nucléaire en fusionnant l'IRSN et l'ASN. Quelle est l'organisation de la sûreté nucléaire avant la réforme ? Un article pour faire le point.

L'industrie nucléaire présente un risque spécifique, lié aux substances radioactives qu'elle utilise. Maîtriser ce risque est l'objectif de la sûreté nucléaire. 

La sûreté nucléaire désigne “l'ensemble des dispositions techniques et des mesures d'organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l'arrêt et au démantèlement des installations nucléaires […], ainsi qu'au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d'en limiter les effets”, selon l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

C’est une composante de la sécurité nucléaire. Celle-ci recouvre, d'après l'ASN, “la sécurité civile en cas d'accident, la protection des installations contre les actes de malveillance, la sûreté nucléaire, c'est-à-dire le fonctionnement sécurisé de l'installation et la radioprotection qui vise à protéger les personnes et l'environnement contre les effets de rayonnements ionisants”.

Le risque nucléaire en France

La France est le pays plus nucléarisé du monde, en proportion de sa population, avec 58 réacteurs répartis sur 19 sites. L’énergie nucléaire représente 72% de l’électricité produite en France, selon les Chiffres clés de l'énergie du Commissariat général au développement durable.

Tous les réacteurs nucléaires français sont à eau pressurisée. Leur combustible est un métal présent à l'état naturel, l’uranium 235. Ses atomes sont fissiles, c’est-à-dire que leur noyau peut se casser sous l’impact d'un neutron.

Une centrale nucléaire renferme plusieurs dizaines de tonnes de matière radioactive qu’il faut confiner car elles représentent un danger potentiel pour les humains et l’environnement. Les effets d’une exposition à certains rayonnements peuvent s'avérer graves. 

La production nucléaire présente des risques spécifiques :

  • au premier chef, les accidents nucléaires dont les plus spectaculaires ont été Three Mile Island (Pennsylvanie, USA) en 1979, Tchernobyl (Ukraine) en 1986 et Fukushima (Japon) en mars 2011. Un "accident nucléaire peut conduire à une dispersion atmosphérique ou à un rejet liquide de produits radioactifs dans l'environnement à la suite de défaillances techniques, d'un incendie de grande ampleur, etc. entraînant la défaillance des barrières de confinement. En découlent une contamination de l'environnement et une exposition à des rayonnements ionisants des travailleurs et de la population autour de l'installation accidentée" (IRSN : Qu'est-ce qu'un accident nucléaire sur un réacteur à eau sous pression ?) ;
  • la sécurité et le coût du transport des produits dangereux que sont les matières premières et les déchets radioactifs ;
  • l'impact direct sur l'environnement, notamment le réchauffement des rivières et des fleuves dont l’eau est utilisée comme liquide de refroidissement par les centrales nucléaires ;
  • les problèmes posés par la gestion des déchets radioactifs ;
  • les difficultés techniques, le coût et la durée du démantèlement des centrales en fin de vie.

S'ajoutent des risques nouveaux tels que les risques aériens (chute d'avion, survol par des drones), le risque interne de sabotage ou le risque externe d'intrusion, ainsi que les cyberattaques qui pourraient pirater les systèmes informatiques des centrales.

Réglementation et contrôle de la sûreté nucléaire

Après l'accident de la centrale de Tchernobyl (Ukraine) en 1986, les pays membres de l'Agence internationale de l'énergie atomique des Nations unies (AIEA) ont adopté en 1994 la Convention sur la sûreté nucléaire (CSN). La CSN est entrée en vigueur en 1996. À la suite de la catastrophe de Fukushima (au Japon) en 2011, ces États se sont de nouveau réunis pour renforcer les dispositions de la CSN mais ne sont pas parvenus à un accord.

Le cadre réglementaire

Le cadre réglementaire français est constitué principalement par la loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (dite loi TSN). La loi pose les bases législatives du système de sûreté nucléaire par la mise en œuvre dans le domaine nucléaire du principe de précaution. Elle met en place en même temps les procédures garantissant l’information du public sur les activités nucléaires et les structures de concertation et de débat sur le sujet. Elle définit l’ensemble des actes juridiques applicables à ces activités, depuis les autorisations de création jusqu'au démantèlement, en passant par les contrôles réalisés par les inspecteurs et les sanctions pénales. C'est la loi de 2006 qui crée l'ASN et qui donne un cadre légal aux commissions locales d'information, créées en 1981. Elle institue également le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, qui anime le débat au niveau national. 

Les organismes de régulation

L'ASN est une autorité administrative indépendante chargée, au nom de l'État, de contrôler les activités nucléaires civiles et la radioprotection. Elle est consultée sur tout projet de texte réglementaire relatif à la sûreté nucléaire. Elle accorde des autorisations individuelles, sauf celles de création et de démantèlement de centrale, qui relèvent du gouvernement. Elle contrôle les installations et les activités nucléaires, la gestion des déchets, le transport des substances radioactives et les centres hospitaliers utilisant des rayonnements. Elle peut prendre des mesures de coercition et de sanction.

L'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), fondé en 2002, est un organisme public exerçant des missions d'expertise et de recherche sur les risques nucléaires et radiologiques. Principal appui technique de l'ASN, il évalue les dispositions proposées par les exploitants dans les dossiers qu'ils transmettent. En tant qu'expert public, il analyse le retour d'expérience du fonctionnement des installations et des transports de matières radioactives, évalue l'exposition des hommes et de l'environnement aux rayonnements, et suggère des mesures visant à protéger les populations en cas d'accident. Son rapport annuel 2018 rend compte de l'éventail de ses actions.

Le Délégué à la sûreté nucléaire et à la radioprotection pour les installations et activités intéressant la Défense, qui dépend du ministère des armées et de celui chargé de l'industrie, contrôle la sûreté nucléaire et la radioprotection des installations nucléaires secrètes.

 

Prévention et gestion des risques

L'objectif de la sûreté nucléaire est de protéger en toutes circonstances l'homme et l'environnement en empêchant la dispersion de la radioactivité. Au début des années 1970 s’est imposé le concept de "défense en profondeur", concrétisé par la mise en place dans les centrales de lignes de défense successives. Celles-ci reposent sur des dispositions matérielles, organisationnelles et humaines destinées à assurer des conditions de sûreté optimales.

La défense en profondeur comporte cinq niveaux qui ont pour but de prévenir l’apparition et de limiter les conséquences de défaillances susceptibles de conduire à des incidents ou accidents. Ces niveaux s’appliquent dans les différents états de l’installation, de son fonctionnement normal (niveau 1) aux accidents de fusion du cœur induisant des rejets dans l’environnement (niveau 5).

Des contrôles stricts et réguliers

En France, seule l'ASN est habilitée à autoriser la mise en service et la poursuite de l'exploitation d'une centrale, sur la base du dossier fourni par l'exploitant, en particulier des documents relatifs à la sûreté.

L'exploitant doit procéder tous les dix ans au réexamen complet de la sûreté de son installation, sous le contrôle de l'ASN. Les centrales françaises les plus anciennes vont réaliser, dans les années à venir, leur quatrième évaluation décennale. Pour autoriser la prolongation de leur exploitation, l'ASN, comme l'atteste son rapport annuel 2018, a demandé à l'exploitant d'améliorer leur sûreté afin qu'elle se rapproche de celle des réacteurs les plus récents. Celui-ci a donc entrepris un chantier, baptisé “grand carénage”, de renforcement des centrales dans le but d’allonger leur durée de vie de 10 ou 20 ans au-delà des 40 initialement prévus.

Les inspecteurs de l'ASN effectuent chaque année de nombreux contrôles, programmés ou inopinés, dans toutes les installations. De même, des experts de l'AIEA les évaluent régulièrement au regard des meilleures pratiques internationales.

Les travailleurs du nucléaire font l'objet d'un suivi médical spécifique et d'évaluations dosimétriques afin de prévenir toute irradiation accidentelle. L’IRSN effectue régulièrement des mesures de radioactivité dans l'environnement sur tout le territoire puis les publie.

La gestion de crise

En cas d'accident, la ligne de défense de niveau 3 est activée. Les pouvoirs publics et les exploitants ont mis au point une organisation complète pour gérer efficacement ces situations et prévenir l'exposition des populations aux rayonnements accidentels. Ils ont conçu :

  • le plan d'urgence interne : sous la responsabilité de l'exploitant, il vise à limiter les répercussions de l'accident et à protéger les travailleurs du site ;
  • le plan particulier d'intervention : si des rejets dans l'environnement sont constatés, il est déclenché par le préfet en concertation avec l'ASN. Il prévoit le déploiement des secours (mise à l'abri ou évacuation des riverains), les mesures à mettre en œuvre en cas de risque de contamination, ainsi que l'information du public et des médias.

Tous les incidents survenant dans une installation nucléaire, même minimes, doivent être déclarés aux autorités de sûreté et rendus publics.

Estimation de la gravité des événements nucléaires

Ils sont classés selon une une échelle de gravité adoptée au niveau international en 1991 : l'échelle INES (International Nuclear Event Scale). Bâtie sur le modèle de l'échelle de Richter, qui indique la puissance des tremblements de terre, elle va de l'anomalie sans conséquence (niveau 0) à l'accident le plus grave (niveau 7). À ce jour, seuls l'accident de Tchernobyl et celui de Fukushima ont atteint le niveau 7.

Chaque incident ou accident au sein d’une installation est analysé pour en tirer des leçons et éviter qu'il ne se répète. Ainsi, la catastrophe de Fukushima en 2011 a déclenché :

  • des évaluations complémentaires de sûreté pour vérifier le bon niveau de protection des centrales contre les agressions naturelles hors norme ;
  • la définition par l'IRSN d'un “noyau dur”, c'est-à-dire d'un ensemble de dispositifs devant assurer les fonctions vitales et la robustesse d'une installation nucléaire en difficulté ou en situation extrême. Il est conçu pour résister aux risques connus, dont certains peuvent se cumuler. Particulièrement robuste et autonome, il doit permettre de stopper la réaction nucléaire, d'assurer le refroidissement, de maîtriser le confinement et de gérer la crise en situation dégradée ;
  • la création en 2011 de la Force d'action rapide du nucléaire. Dotée de moyens humains et matériels exceptionnels, elle est capable d'intervenir en cas d'accident majeur sur tout site nucléaire français en moins de 24 heures. Elle peut notamment réalimenter une installation en eau et en électricité.

La sûreté nucléaire, un dispositif faillible ?

En juin 2018, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires salue la façon dont la question de la sûreté nucléaire a été renouvelée après Fukushima. Cependant, la commission relève la persistance de nombreuses failles dans la filière nucléaire qui pourraient avoir des incidences fortes sur la sûreté :

  • le recours à "la sous-traitance a pris une place considérable dans l'industrie nucléaire", 80% des tâches étant confiées à des entreprises sous-traitantes. Cette pratique entraîne une perte de compétence des exploitants, leur dépendance par rapport à des entreprises prestataires et une dilution des responsabilités. La pression en matière de délais et de coûts peut avoir des conséquences sur la sûreté ;
  • le manque de rigueur technique dans l'exploitation des réacteurs (nombreuses non-conformités des équipements, utilisation extensive du principe dérogatoire de "l'exclusion de rupture", etc.) ;
  • le vieillissement des installations nucléaires françaises interroge sur la pertinence de la prolongation de la durée de certaines centrales ;
  • la faible prise en compte des effets du changement climatique sur la sûreté des centrales (risque sur l'approvisionnement en eau de refroidissement en raison de la baisse du niveau des fleuves et des rivières ainsi que du réchauffement des eaux).