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Les enjeux de l'économie du sport en France : quel modèle d'organisation pour quelles conséquences sociétales ?

Temps de lecture  16 minutes

Par : Jérémie Bastien - Maître de conférences en sciences économiques, université de Reims Champagne-Ardenne

Pas plus de 3% du PIB français, mais une contribution incontestable à l’amélioration du bien-être des Français. Les fonctions bénéfiques du sport sont la raison d'être des politiques sportives. Comment les préserver dans un contexte économique et organisationnel en forte mutation ?

Les relations entre le sport et l’argent ne sont plus un tabou. Il est dorénavant admis que le sport peut être considéré comme une activité économique à part entière. De ce point de vue, le sport est souvent assimilé à une économie florissante. Cette idée est néanmoins alimentée par un tropisme vers le sport professionnel. Elle nie ainsi d’autres formes de pratiques sportives qui structurent pourtant la vie des individus en société. Celles-ci sont davantage soumises aux aléas conjoncturels. 

Dans le contexte d’une économie malmenée par des épisodes rapprochés de crise – crise financière de 2007, crise des dettes souveraines de 2010 puis crise sanitaire du Covid-19 en 2020 – d’une part, et d’une société soumise à l’instabilité politique internationale – hausse des prix de l’énergie et hausse des dépenses sécuritaires avec les conflits russo-ukrainien et israélo-palestinien – d’autre part, de nombreuses organisations sportives se retrouvent en difficulté en raison d’un assèchement de leurs sources de financement. En particulier, les dépenses publiques à destination du sport deviennent accessoires face à l’élargissement des urgences sociales : chômage, terrorisme, délinquance, racisme, etc

Ces arbitrages compréhensibles oublient cependant que le sport, dans son extrême diversité, porte en son sein les clés d’une résorption de ces déséquilibres sociétaux de par ses fonctions économiques et sociales. Des conditions sont toutefois à respecter, et les pouvoirs publics doivent y veiller dans la construction et la mise en place de leurs politiques sportives.

Un poids économique à stabiliser

Le sport regroupe un ensemble d’activités productives variées :

  • production de spectacles sportifs par des athlètes professionnels ou amateurs qui sont vendus aux ménages et aux entreprises (diffuseurs et sponsors) ;
  • production de services sportifs par des associations ou des entreprises qui sont consommés par des ménages (pratique sportive encadrée ou non) ;
  • production d’articles de sport par des entreprises qui sont achetés par des ménages (équipements sportifs pour la pratique sportive encadrée ou non).

Rendre compte de manière chiffrée de ces activités de production est complexe dans la mesure où il n’existe pas en France (comme dans de nombreux pays) de comptabilité économique nationale du sport. Autrement dit, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), qui élabore le système de comptabilité nationale en France, ne fournit aucune donnée sur le sport à intervalle régulier. Les difficultés relatives à la collecte de l’information et le coût élevé engendré par celle-ci expliquent cette absence de compte satellite du sport. Pour y remédier, des organismes publics et privés fournissent plus ou moins régulièrement des estimations du poids économique du sport ou plus modestement des séries de données permettant de l’esquisser. Trois approches sont proposées :

  • par les dépenses ;
  • par les revenus ;
  • par les emplois.

La première approche est sans doute celle s’approchant au plus près d’un compte satellite du sport. Elle est développée par le ministère des sports depuis 2005, puis en collaboration avec l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) depuis 2017. Cette mesure repose sur trois postes de dépenses sportives :

  • la dépense sportive des ménages, qui a été estimée à 23 milliards d’euros pour l’année 2021, dont 15 milliards d’euros dédiés à l’achat de biens sportifs (articles de sport) et 8 milliards d’euros dédiés à la consommation de services sportifs (cotisations aux associations ainsi qu’aux entreprises et consommation de spectacles sportifs). Au total, les dépenses sportives des ménages représentent 0,8 point de PIB ;
  • la dépense sportive publique, qui a été évaluée à 14,1 milliards d’euros en 2021, répartis à parts égales entre l’État et les collectivités locales. Au total, les dépenses publiques en faveur du sport représentent 0,6 point de PIB ;
  • la dépense sportive des entreprises, principalement appréciée par les droits de retransmission des événements sportifs et par le mécénat, qui se sont respectivement établis à 1,7 milliard d’euros en 2021 et environ 3 milliards d’euros en 2018.

Ainsi évalué, le poids économique du sport en France s’élèverait à plus de 40 milliards d’euros.

La deuxième approche s’appuie sur les revenus des organisations sportives. Il s’agit d’intégrer les recettes des clubs issus du mouvement sportif français d’une part, et le chiffre d’affaires réalisé par les entreprises du secteur privé lucratif d’autre part. À partir d’un ensemble de données hétérogènes recueillies entre 2016 et 2018, le poids économique du sport peut être estimé à près de 23 milliards d’euros conformément à cette approche, décomposés comme suit :

  • 6,25 milliards d’euros de budget pour les fédérations sportives et les clubs amateurs (centre de droit et d’économie du sport) ;
  • 3,03 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour les clubs professionnels (centre de droit et d’économie du sport) ;
  • 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans l’industrie des articles de sport (union sport & cycle) ;
  • 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires concernant les salles de fitness (Deloitte).

Cette estimation est moins satisfaisante que la précédente. En effet, elle n’intègre pas des pans entiers du sport en raison d’un manque de production de données et/ou d’un manque d’accessibilité des données : sur le chiffre d’affaires des événements sportifs, sur les revenus générés par des activités émergentes comme l’escalade indoor, etc.

La troisième et dernière approche vise à caractériser le poids économique du sport par le dénombrement des individus travaillant dans le secteur sport. Trois catégories sont renseignées (INJEP) :

  • le secteur privé du sport, qui emploie 163 000 salariés (année 2022), auxquels s’ajoutent 98 000 individus travaillant dans des activités associées au sport (fabrication et commerce de détail d’articles de sport par exemple) ;
  • le secteur public, qui emploie 87 000 salariés travaillant dans le domaine du sport (année 2021).

Par conséquent, ce serait près de 350 000 personnes qui seraient insérées dans une activité professionnelle en lien avec le sport (environ 1% des actifs français).

En dépit d’un manque d’harmonisation des systèmes de mesure qu’il conviendrait de résoudre en intégrant le sport à la comptabilité nationale, ce dernier apparaît comme une composante indiscutable de l’économie française et il participe ainsi à la création de valeur ajoutée sur le territoire. Le poids économique du sport n’excède toutefois pas les 3% du produit intérieur brut (PIB) en retenant les estimations les plus optimistes.

Un impact social à consolider

L’influence du sport dans la société ne peut s’apprécier uniquement au regard de sa contribution au PIB. En effet, le sport est source de conséquences sociales positives qui dépassent le cadre strictement marchand et qui ne peuvent par conséquent pas toujours être appréhendées par les indicateurs classiques de mesure. Parmi ces conséquences, on note :

  • l’amélioration de la cohésion sociale et le développement de liens sociaux par la pratique sportive et/ou par le spectacle sportif ;
  • la réduction des problèmes de santé publique comme l’obésité et le diabète par l’activité physique et sportive ;
  • la réduction de la délinquance et du racisme, et plus largement des actes de violence, par un renforcement de la prévention ainsi que de la répression de ces actes par le sport, aussi favorisée par les processus d’intégration sociale par le sport ;
  • l’amélioration de l’engagement citoyen et des compétences individuelles de gestion ou d’encadrement par le biais d’une implication des individus dans les structures sportives ;
  • l’amélioration de l’éducation et de la formation des individus (en particulier des jeunes) par la pratique sportive.

Pour documenter ces effets sociaux et ainsi valider le surcroît de bien-être collectif qu’ils entraînent dans la société, il est urgent de construire un dispositif qui permettrait de les évaluer. Le principal problème méthodologique tient à la nature même de ces effets.

Situés en dehors du cadre marchand, ils n’ont pas de valeur monétaire et vouloir leur en attribuer une n’a guère de sens. À titre d’exemple, des estimations de la valeur monétaire du bénévolat sportif existent : sur les bases des chiffres du bénévolat de 2017, celui-ci serait valorisé entre 6,9 et 13,4 milliards d’euros en France selon le salaire de référence retenu et appliqué à l’activité bénévole – respectivement le salaire minimum et le salaire moyen de la branche sport (Bastien, J. "Le bénévolat sportif en France : enjeux et limites d’une quantification", Jurisport, Revue juridique et économique du sport, n°195, mars 2019, pp. 41-45). Mais cette valorisation omet toute la dimension sociale du bénévolat. C’est notamment une activité fortement génératrice de liens sociaux, en particulier pour des personnes en marge de l’emploi (retraités et personnes sans emploi).

Il est donc nécessaire de compléter ces estimations monétaires par des études de terrain (observation, entretiens avec les différents acteurs, etc.) récurrentes et couvrant la totalité du champ des effets sociaux du sport, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. La commande publique doit être au cœur de ce dispositif puisqu’il lui permettrait à terme de construire un outil de pilotage des politiques sportives en fonction des objectifs sociaux poursuivis.

Un système pyramidal à préserver

Attribuer au sport le pouvoir de réduire un certain nombre de déséquilibres socio-économiques dans la société française a néanmoins une implication forte : préserver en France le modèle historique d’organisation du sport qui s’est constitué plus largement en Europe sur les valeurs d’humanisme et d’égalité que Pierre de Coubertin a associées au sport. Ce modèle repose sur un système pyramidal qui se caractérise par trois modalités de fonctionnement principales :

  • l’accès aux compétitions de niveau supérieur est fonction des résultats sportifs (fonctionnement en ligue dite ouverte) ;
  • la gouvernance du sport est organisée selon une hiérarchie descendante, des fédérations internationales aux comités et districts en passant par les fédérations et ligues nationales ;
  • le sport professionnel contribue au financement du sport amateur, notamment via la taxe Buffet (environ 60 millions d’euros par an) qui organise le transfert de 5% des droits de retransmission télévisée perçus par les fédérations nationales aux associations sportives par l’intermédiaire de l’Agence nationale du sport.

La capacité du sport à améliorer le bien-être collectif d’une société dépend grandement de ce modèle d’organisation. D’une part, les effets économiques du sport professionnel sont attachés à la qualité du spectacle sportif proposé. Un équilibre minimum des forces sportives en présence est effectivement requis afin d’attirer les partenaires économiques. Le système de promotion-relégation assure cet équilibre, appelé équilibre compétitif, en reléguant en divisions inférieures les athlètes/clubs les moins performants et en faisant accéder aux plus hautes divisions les athlètes/clubs les plus performants. D’autre part, les effets sociaux du sport, qui émanent en grande partie de la sphère amateur et du sport loisir, sont tributaires du maintien de la structuration financière de ces activités par le sport professionnel à travers le principe de solidarité qui caractérise ce modèle.

Le développement des ligues dites fermées (aucune équipe n'est reléguée ou promue à la fin du championnat ; les clubs sont des entreprises franchisées qui paient un droit d’entrée) sur le sol européen (à l’image de l’Euroleague de basketball par exemple) et la volonté de certains acteurs de les généraliser posent néanmoins question. En effet, ces ligues, inspirées du modèle nord-américain d’organisation du sport collectif, conduisent au démantèlement de deux principes fondamentaux :

  • le principe de solidarité, avec pour conséquence une fragilisation du sport pour tous et une remise en cause des effets sociaux du sport ;
  • le principe de méritocratie sportive, remplacé par un principe d’accès aux compétitions sur critères financiers, ce qui exclut de nombreux clubs des compétitions sportives majeures et ce qui peut conduire à un désintérêt de la demande. En effet, les performances sportives sont primordiales dans la culture européenne du sport et l’intérêt pour les rivalités nationales transcende parfois celui des compétitions européennes. Dans ce contexte, rien ne dit que l’émergence de ligues fermées en Europe aboutira nécessairement à des retombées économiques et sociales supérieures.

En dépit de ces inquiétudes, les velléités de généralisation des ligues fermées semblent s’intensifier. Le processus pourrait même s'accélérer à l'avenir puisque la Cour de justice de l'Union européenne, dans sa décision portant sur l'affaire UEFA VS Super Ligue de football, vient de lever les contraintes juridiques à la mise en place d'une ligue fermée sur le sol européen. Dans ce contexte, et quelles que soient les conséquences organisationnelles dans le sport européen de cette décision de justice, il est indispensable de veiller a minima à la préservation des mécanismes de solidarité existants. Le dynamisme du sport pour tous en dépend, et avec lui les effets sociaux du sport.

Un modèle associatif à perfectionner

Si le schéma d’organisation du sport en France est mis à mal, c’est aussi parce que le modèle associatif sur lequel il repose s’essouffle et peine à se réinventer. Le mouvement sportif français est en effet structuré autour d’une offre de pratiques sportives licenciées fournie par les associations sportives. Celle-ci est de plus en plus concurrencée par le développement d’une offre de pratiques sportives qui émanent d’entreprises du secteur lucratif marchand : salles de fitness, d’escalade, de football, de basketball, etc. L’essor d’une telle offre pose la question de l’accès au sport pour tous compte tenu des prix pratiqués. 

À titre d’exemple, un abonnement en salle de sport privée commerciale s’élève en moyenne à 30 euros par mois, alors qu’adhérer à un club associatif de tennis de table oscille entre 80 et 110 euros par an selon que la pratique soit compétitive ou de loisir, et qu’adhérer à un club associatif d’athlétisme coûte en moyenne 200 euros par an. Autre exemple, l’abonnement annuel à une école de football dans une structure privée commerciale (de type arène de football) s’élève à près de 400 euros alors qu’adhérer à un club associatif de football coûte environ 100 euros par an pour un enfant de moins de 18 ans. L’extension de cette offre provenant du secteur lucratif marchand met dans le même temps en exergue les limites de l’offre associative, ces dernières expliquant aussi le développement de la pratique libre. Trois principaux types de problèmes sont identifiables :

  • de financement, puisque les clubs sont affectés – et ce déjà avant la crise sanitaire, celle-ci ayant amplifié des logiques préexistantes – par la diminution des subventions publiques et par la réduction du nombre de licenciés, ce qui conduit à une baisse de leur budget ou a minima à une précarisation de leur équilibre budgétaire puisque les subventions et les adhésions pèsent en moyenne pour plus de la moitié des revenus des associations sportives (Centre de Droit et d’Economie du Sport, BPCE) ;
  • d’inadéquation de l’offre associative avec la demande de pratiques sportives, pour des raisons infrastructurelles – absence d’équipements sportifs dans certains territoires et vieillissement des équipements existants – et d’émergence de nouveaux besoins – d’abord chez les jeunes qui recherchent une pratique peu contraignante, multisports, de moins en moins compétitive et digitalisée, ensuite chez les seniors qui souhaitent améliorer leur bien-être global en pratiquant une activité sportive ludique source de plaisir (sport loisir) et/ou une activité sportive source d’amélioration ou de maintien de leur état de santé (sport santé) ;
  • d’insuffisance de compétences internes, dans la mesure où la multiplication et l’intensification des tâches administratives et la pluralité des missions au sein des clubs tendent à décourager l’engagement bénévole voire l’engagement salarié, ce dernier étant de surcroît affecté par les conditions d’emploi peu attractives dans le secteur (rémunérations faibles et précarité de l’emploi).

Dans une finalité de préservation du sport pour tous, voire dans le but de le faire accéder à une nouvelle étape de son processus de développement, il est indispensable que les acteurs publics interviennent pour :

  • soutenir les associations sportives au niveau financier ;
  • contribuer à la caractérisation fine des effets sociaux du sport, notamment en soutenant la recherche publique dans ce domaine et en accompagnant le mouvement sportif dans la reconnaissance de son utilité sociale, pour ensuite les promouvoir sur les territoires voire à l’échelle nationale ;
  • créer ou renforcer les dispositifs leur permettant de monter en compétences et ainsi répondre aux nouveaux besoins des individus : consommation "à la carte", pratiques sportives multiples et simultanées, digitalisation, souplesse horaire, etc. ;
  • renforcer la valorisation de l’engagement associatif, en particulier dans les cursus scolaires et universitaires mais aussi au sein du monde de l’entreprise ;
  • améliorer la coopération entre les acteurs publics d’une part (dédiés au sport, à la santé, à l’éducation, à l’insertion sociale, à l’urbanisme, au tourisme, etc.), et entre les acteurs publics et le mouvement sportif d’autre part, par la mise en place de politiques transversales ;
  • soutenir le développement d’une offre diversifiée selon les territoires par le biais d’une coopération entre les acteurs locaux : collectivités territoriales, tissu associatif local, etc.