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© Laure Boyer - Hans Lucas/AFP

Les JOP Paris 2024 : levier de transformation pour la France ?

Temps de lecture  16 minutes

Par : Emmanuel Bayle - Professeur à l'université de Lausanne

Qualité de l'organisation, nombre de médailles, fête populaire, impact et héritage de l'événement... La réussite et l'acceptabilité des Jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) de Paris 2024 reposent sur des éléments variés. Comment les JOP peuvent-ils devenir un catalyseur d'un projet global de transformation politique, économique et sociale ?

En tant que première destination touristique mondiale, la France, berceau du sport international et olympique, a renforcé, depuis les années 1990, sa politique d'accueil des plus grands événements sportifs internationaux (JO d'hiver 1992, coupe du monde de football masculine 1998 et féminine 2019 de football et Euro masculin 2016 ; coupes du monde de rugby 2007 et 2023, championnats du monde d'athlétisme 2003, championnats du monde masculin de hand-ball et de hockey sur glace 2017, Ryder Cup 2018…) organisés avec l'accompagnement de la délégation interministérielle aux grands évènements sportifs créée en 2004. Ces grands évènements ponctuels s'ajoutent aux rendez-vous traditionnels internationaux récurrents (Roland Garros, Tour de France, Tournoi des Six nations, etc.) ou plus récents (Ultra-Trail du Mont-Blanc, Festival international des sports extrêmes, etc.) soutenus par les communes et les régions.

L'organisation des JOP Paris 2024 marque le point d'orgue de cette stratégie d'ensemble. La question de la bonne délivrance opérationnelle des jeux tout comme la place de la France au classement des médailles sont bien sûr une base nécessaire de la réussite, mais la question de l'héritage des JOP est devenue clé en tant que "condition majeure d'acceptabilité", selon le rapport de la Cour des comptes 2023. Au-delà, les JOP 2024 pourraient aussi avoir vocation à être un levier de transformation politique, économique et sociale pour la France à un horizon de long terme. Est-ce le cas ?

Les principes d'organisation et de financement des JOP

Le Comité international olympique (CIO) est le propriétaire des JO mais pas l'organisateur. L'attribution des JO entraîne la création d'un comité d'organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques (COJOP) à la suite de la signature du contrat hôte entre le CIO, le Comité national olympique et la ville concernée. Depuis 2012, les COJO d'été et d'hiver sont aussi chargés d'organiser les jeux paralympiques sous l'égide du Comité international paralympique (CIP). Depuis 2021, les partenaires olympiques mondiaux "TOP" du CIO sont aussi les sponsors des jeux paralympiques dont une partie des revenus est reversée au CIP.

L'organisation des JO implique un partenariat public-privé avec un contrôle public plus ou moins important selon le régime politique et les choix du pays d'accueil. Le COJOP est généralement un organisme privé sous statut associatif (cas pour Paris 2024) dirigé par un conseil d'administration composé des représentants du Comité national olympique du pays concerné (CNOSF) et des représentants de l'État et des collectivités territoriales concernées (ville et région). Il est financé par des ressources commerciales (dotation du CIO, sponsoring domestique et billetterie). Il doit collaborer efficacement avec la ville et l'État accueillant l'évènement et souhaitant maximiser les retombées de son accueil au regard des fonds publics investis autour des JOP. 

Tous les pays hôtes des Jeux depuis 2000 ont adopté des lois nationales dites loi olympique pour l'organisation des JO et définir des régimes d'exemption en matière fiscale, d'affichage ou d'urbanisme. Depuis cette date, une agence publique a été créée pour construire ou rénover les installations olympiques nécessaires et parfois aussi pour s'occuper des transports. Un ministre des Jeux est désigné et parfois un organisme ad hoc est créé pour coordonner les diverses parties prenantes olympiques du pays.

Les spécificités de Paris 2024

Pour Paris 2024, dans la tradition précédente, une ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques a été nommée en mai 2022. De même, un délégué interministériel aux JOP (DIJOP) représente le gouvernement français avec des délégués dans plusieurs ministères (culture, éducation et santé). Le DIJOP coordonne le travail de l'État avec le COJOP. La société de livraison des équipements olympiques et paralympiques (SOLIDEO) est un établissement public industriel et commercial présidée par la maire de Paris. Elle est chargée de représenter les intérêts des collectivités territoriales qui la financent avec l'État pour la moitié de son budget (4,4 milliards d'euros).

La Cour des comptes contrôle annuellement les comptes du COJOP et de la SOLIDEO conformément à la loi olympique votée par le parlement le 26 mars 2018. Cette séparation des rôles et des budgets permet une meilleure lisibilité des coûts et des prises en charge en montrant symboliquement que le COJOP dispose d'un financement privé et que les autres structures investissent au mieux l'argent public pour le futur et l'héritage des JOP. Le coût des JOP ainsi partagé et présenté permet aussi une meilleure acceptabilité par les médias et l'opinion publique. Le CIO supervise l'ensemble, notamment via sa commission de coordination des JOP présidée par un membre du CIO. Il peut intervenir en fonction des problèmes (retard de livraison, dispositif de sécurité…) ou encore suggérer et accompagner des ajustements et des arbitrages (budget, lieux des compétitions, transports …).

La gouvernance et la coordination de l'ensemble des acteurs au regard des intérêts et des jeux politiques en présence est complexe, comme la maîtrise des éléments budgétaires du COJOP et de la SOLIDEO. Avec la présidence d'un conseil olympique le 25 juillet 2023, à un an des JOP, le président de la République et son gouvernement ont clairement voulu montrer leur reprise en main des grands sujets clés et notamment les questions de budget (en affirmant qu'il n'y aurait pas "d'impôt JOP"), de sécurité (celle des personnes sont assurées par l'État alors que le COJO assure celle sur les lieux de compétition) et de transports perçus comme les plus à risques par le premier rapport de la Cour des comptes au sujet des JO en début d'année 2023. En effet, pour la première fois une cérémonie d'ouverture des JO ne sera pas organisée dans un stade mais le long de la Seine avec l'accueil de 600 000 personnes.

Mais même sans "impôt JOP", les Jeux sont aussi organisés avec les impôts des Français pour construire et rénover des installations sportives ou soutenir certains projets. La question est plutôt celle de savoir si les finances publiques en lien avec les JOP sont bien utilisées et à quoi elles vont permettre de contribuer. Les seuls fonds publics du COJOP sont destinés très majoritairement au financement des Jeux paralympiques, conformément aux engagements pris lors de la candidature. Le budget pluriannuel du COJOP, établi, en 2018, à 3,8 milliards d'euros a été ajusté à plusieurs reprises, notamment en raison de l'inflation et de la hausse de certaines dépenses (sécurité notamment), pour être porté à 4,38 milliards.
 

Financement des Jeux olympiques de Paris
Entité de financementMontant (en milliards d'euros)
Comité d'Organisation des JOP de Paris 20244,38 (ressources privées)
Budget de la société de livraison des équipements olympiques et paralympiques (SOLIDEO)4,4 (50% État et 50% collectivités territoriales)
Budget total de l'organisation des JOP 20248,78

Source : Adapté de l'étude Financement du sport par les collectivités territoriales, BPCE, 2022 (en milliards d'euros) 

Les contradictions entre exigences commerciales et bien commun

L'essentiel des revenus du COJOP provient de trois sources privées commerciales : le soutien du CIO, la billetterie et les partenariats domestiques. La contribution du CIO au COJOP est constitué d'environ 1,2 milliard d'euros d'apport financier (dont 750 millions de droits médias et 470 millions d'euros de partenariats des quatorze partenaires olympiques mondiaux –"TOP"-) et de prestations en nature qu'il attribue au COJOP conformément au contrat de ville hôte.

Les ressources issues très majoritairement de la billetterie (1,1 milliard), des hospitalités et des produits annexes sont attendues dans le budget prévisionnel à hauteur de 1 561,3 millions d'euros. La commercialisation porte sur 10,5 millions de billets vendus pour les Jeux olympiques et 3,4 millions pour les jeux paralympiques. 97% de billets avaient été vendus à Londres mais il n'y a eu exceptionnellement aucun billet vendu à Tokyo 2020 et Pékin 2022 en raison du Covid-19. Le COJOP obtient aussi des revenus de son programme de licences liés à l'utilisation du logo des jeux notamment pour la mascotte olympique (127 millions). 

Concernant le partenariat domestique, le COJOP a défini trois niveaux de partenariat (Premium, Partenaire officiel et Supporter officiel) correspondant à des niveaux de contribution, d'exposition et de droits différenciés. Au total, l'évènement comptera 62 sponsors dont les 14 partenaires olympiques mondiaux du CIO (Airbnb, Alibaba, Coca Cola … dont une entreprise française ATOS) qui bénéficient des mêmes droits que les six partenaires Premium du COJOP (BPCE, Carrefour, EDF, Orange, Sanofi et LVMH) dont le ticket d'entrée est estimé entre 100 et 150 millions d'euros. Pour Tokyo, en comparaison, le sponsoring domestique avait atteint des records avec 3,24 milliards de dollars soit presque 2,5 fois plus qu'à Rio, Londres et Paris dont l'objectif affiché est 1,2 milliard d'euros.

Cette structure de ressources en fait un évènement organisé sur des bases commerciales alors qu'il est perçu implicitement par la population comme un bien commun avec des engagements et des financements publics importants. Cela peut générer des contradictions et des controverses entre la communication du COJOP autour d'un évènement qui se veut "populaire" et "ouvert à tous", autour du slogan "ouvrons grand les jeux" et la réalité des pratiques parfois très contestées médiatiquement : prix des billets grand public (les plus chers à 2 700 euros pour la cérémonie d'ouverture et des prix des finales de sports populaires comme la natation s'approchant de 1 000 euros ; a contrario, un million de billets à 24 euros ont été proposés et certaines épreuves en extérieur se déroulant sur la Seine pourront être vues gratuitement sans billet) ; interdiction au grand public, en raison de la loi française, de pouvoir boire de l'alcool dans les stades mais pas aux VIP dans le cadre des prestations d'hospitalités ; coût du relais du passage de la torche olympique pour les départements (180 000 euros pour une journée) au regard des retombées générées qui sont souvent modestes. 

De plus, la grande fête populaire attendue pourrait bien être perturbée par des mouvements sociaux, sans oublier les oppositions des activistes du climat et du collectif "Le revers de la médaille" au sujet du "nettoyage social" des sans-abri. Une autre inquiétude majeure tient au contexte géopolitique et au risque de boycotts ou/et encore de sécurité que la participation notamment des athlètes russes, biélorusses et désormais palestiniens et israéliens pourrait entraîner. 

Au-delà de la capacité à organiser un méga-événement planétaire dans de bonnes conditions avec l'ambition d'en faire une fête populaire unique qui relève du rôle du COJOP, la question des impacts et de l'héritage pour la France est posée.

Impacts et héritage : une question controversée

Le terme héritage peut être rattaché aux impacts attendus des JOP, du court au long terme, classés en six domaines :

  • l'accélération de la construction ou rénovation d'équipements et d'aménagements urbains (pour beaucoup dans le département du 93). Le gouvernement a aussi lancé, en 2021, le financement de 5 000 installations sportives de proximité ;
  • le renforcement de la pratique et de la culture sportive ;
  • une plus grande efficacité et efficience du sport français (médailles, nombre de pratiquants et de licenciés) ;
  • les retombées économiques (impact touristique) et psychosociales (fierté et cohésion nationale) ;
  • les liens immatériels à travers les partenariats publics-privés noués par les acteurs des JOP ;
  • le rayonnement international caractérisé par l'image de marque de Paris et de la France et le soft power, instrument de la diplomatie.

Dans le cadre des JOP 2024, des symboles forts seront déjà portés :

  • l'égalité en termes de genre proposée par le CIO : avec une stricte parité entre les femmes et les hommes parmi les 10 500 athlètes qualifiés et la création de huit nouvelles épreuves mixtes ;
  • la promesse des jeux les plus verts de l'histoire par la réduction de moitié des émissions par rapport aux éditions 2012 et 2016 (95% des installations déjà existantes ou temporaires, sobriété énergétique, énergie 100% renouvelable pendant les Jeux…) et une politique d'innovation via une réflexion liée à l'économie circulaire associée et une stratégie de compensation accrue des émissions de CO2 ;
  • un plan héritage et durabilité composé de 170 mesures.

Ce plan, adopté en 2019, comporte des actions portant sur le développement des infrastructures et pratiques sportives, l'emploi et le bénévolat, les transports et l'accessibilité, les enjeux sociétaux (handicap, discriminations, etc.), l'économie de la filière du sport, l'image de la France. 

Dans cette optique d'héritage, le COJOP a mis en place le fonds de dotation "Paris 2024", dont la mission consiste à accompagner et soutenir des projets d'intérêt général qui utilisent le sport pour la santé, le bien-être, le plaisir d'apprendre, l'engagement citoyen, l'inclusion, la solidarité, l'égalité et l'environnement. Il est présenté comme une plateforme d'innovation sociale par le sport. D'autre part, les organisateurs ont lancé l'olympiade culturelle qui est une programmation artistique et culturelle pluridisciplinaire déployée, avec les institutions culturelles, de 2021 à 2024 à travers des milliers de manifestations labellisées impliquant des acteurs sportifs et culturels. 

Pour aller au-delà de nombre d'expérimentations déjà existantes ou envisagées visant plus d'efficacité (retours sociaux sur investissement) et d'efficience (moins de dépenses de sécurité, de santé, d'énergie…), de nouveaux modes de financements sont aussi à développer et à inventer pour financer, en complément des politiques publiques, ce rôle sociétal attendu du sport : finance solidaire/verte/responsable, obligations à impact social, partenariat public-privé, mécénat, micro-crédit d'initiative populaire (…). Une des craintes est souvent la diminution des investissements privés et publics dans le sport après les JO compte tenu de l'hyper-focalisation et la croissance des investissements sportifs publics et privés au moment des JO.

Si certains de ces objectifs et impacts ne sont pas faciles à atteindre et dépendent aussi du contexte (social, économique et géopolitique), les JOP peuvent être le catalyseur et le point pivot d'un projet sportif global plus ambitieux sur une perspective de 20 à 30 ans. 

L'enjeu de long terme : renforcer le rôle des APS au cœur d'un projet global

La communication des JOP (mascottes en forme de bonnet phrygien symbole de "jeux révolutionnaires") s'est longtemps contentée, autour du slogan "Bouger plus", de relayer le discours présidentiel visant à "mettre la France au sport". La communication publique étatique, depuis 2022, a ensuite mis en avant le concept de "Faire nation par le sport" qui signifie utiliser le sport comme un moyen de rassembler les individus, promouvoir l'unité nationale, encourager les valeurs positives et contribuer au développement social et économique du pays. Ces jeux peuvent, en effet, incarner beaucoup plus. Ils pourraient infléchir les lignes politiques de la France en faisant des activités physiques et sportives (APS) un levier clé pour répondre aux défis de la société de demain : digitalisation, durabilité, égalité femmes-hommes, lutte contre la sédentarité des jeunes et le vieillissement, donner confiance en l'avenir à la jeunesse (…).

Pour y parvenir, le sport doit être considéré, pour le futur, comme un outil essentiel au service :

  • de l'éducation : s'assurer d'un minimum d'APS quotidiennes à l'école primaire (30 minutes), des heures hebdomadaires effectives d'EPS dans l'enseignement secondaire (4 heures en 6e à seulement 2 heures au lycée) ; repenser l'organisation et les finalités de l'EPS ainsi que les rythmes scolaires permettrait aussi de dynamiser la pratique périscolaire et de renforcer les dispositifs sport études et les sections sportives au lycée ;
  • de la jeunesse et du lien intergénérationnel : accompagner et valoriser le bénévolat mais aussi renforcer l'engagement des jeunes au service des autres (service civique, volontariat associatif, équipes intergénérationnelles…) ;
  • de la santé globale : repenser le système de santé en articulant les APS comme moyen de prévention et d'accompagnement thérapeutique (programme 500 maisons sport-santé depuis 2019 et prescription de l'activité physique adaptée par les médecins ; repenser les systèmes assurantiels) ;
  • du développement économique : nouveaux emplois, mais aussi une amélioration de la qualité de vie au travail par la pratique des APS ;
  • de l'inclusion sociale : école de vie et de la deuxième chance pour une partie de la population en marge du système scolaire ou de la société, faciliter l'intégration des personnes handicapées ;
  • d'un urbanisme et d'un aménagement du territoire repensés pour favoriser la mobilité active et faire baisser l'impact de nos modes de vie sur l'environnement et la santé.

Si les JOP Paris 2024 ne peuvent certainement pas résoudre toutes les fractures sociales, ils peuvent porter une espérance de vivre et de travailler ensemble autrement. Pour y parvenir, les politiques partenariales et de financement multiniveaux/multisectorielles devraient se coordonner pour faire des APS un des cœurs battant de la nation. 

Le rôle de l'État, pour orchestrer cette ambition, est déterminant pour valoriser, du national au local, les multiples stratégies et initiatives qui peuvent contribuer au bien commun dans et par le sport. Il faut se souvenir que des études post-JOP de Londres 2012 ont montré que cet évènement n'a pas entrainé, sur le long terme, une augmentation de la pratique sportive des Anglais, que le sport scolaire a été moins soutenu par les acteurs publics certes dans un contexte de Brexit et de crise politique et économique.