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Traitement et réutilisation des eaux usées en France : où en sommes-nous ?

Temps de lecture  14 minutes

Par : Julie Mendret - Maître de conférences à l’université de Montpellier

Collecter, traiter, éliminer voire réutiliser de manière sécurisée les eaux usées, produire et valoriser les boues d'épuration... Le traitement des eaux usées est complexe. Il représente un enjeu stratégique pour la France comme l'ont montré les effets de la sécheresse de 2022.

Le fort développement des activités anthropiques a pour conséquence une production importante de rejets polluants pouvant impacter directement la qualité de l'eau des milieux naturels. Le traitement de ces eaux usées avant rejet dans ces milieux constitue donc un enjeu majeur, tant sur le plan environnemental que sur celui de la santé publique. 

L'assainissement désigne ainsi l'ensemble des actions et des infrastructures visant à collecter, traiter, et éliminer de manière sécurisée les eaux usées. Cela englobe la gestion des eaux usées domestiques, industrielles, agricoles et pluviales afin de protéger la santé des individus en prévenant la propagation de maladies d'origine hydrique, tout en préservant la qualité des ressources en eau et en minimisant l'impact environnemental des rejets.

Le cadre légal de l'assainissement en France

Deux grandes lois, respectivement votées en 1964 et en 1992, constituent les fondements de la gestion de l'eau en France :

  • la loi sur l'eau de 1964, à l'origine de la création des agences de l'eau, est à la base de la politique de l'eau et du modèle français de gestion de la ressource, qui fut ensuite largement exporté à l'international. Ce modèle repose sur une organisation décentralisée, associant les principaux acteurs appartenant à un bassin hydrographique et dont le financement pluriannuel est assuré par un système de redevances. La France hexagonale est ainsi divisée en six grands bassins hydrographiques, issus d'un découpage naturel selon les lignes de partage des eaux. À l'intérieur de chaque bassin, l'agence de l'eau assure une mission d'intérêt général visant à gérer et à préserver la ressource en eau et les milieux aquatiques ;
  • la loi du 3 janvier 1992 définit l'eau comme "patrimoine commun de la nation". Cette loi renforce ainsi le principe de protection des écosystèmes aquatiques, de la qualité et de la quantité des ressources en eau énoncés par la loi de 1964. En particulier, elle rend obligatoire la collecte et le traitement des eaux usées domestiques, transcrivant ainsi en droit français les grands principes de la directive européenne n° 91/271/CEE du 21 mai 1991 relative au traitement des eaux résiduaires domestiques (dite DERU). C'est cette loi qui définit l'assainissement comme compétence communale obligatoire. Enfin, elle instaure au sein de chaque bassin versant un nouveau système de planification globale de la ressource en eau : les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE).

La loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) de 2006 représente également un jalon important dans la gestion et la protection des ressources hydriques du pays. Elle vient compléter la loi de 1992 abrogée par ordonnance en 2000. Elle apporte un renouveau par rapport aux deux précédentes lois, notamment en matière de gestion de l'eau et des milieux aquatiques, intégrant des objectifs de préservation de la biodiversité, de lutte contre la pollution. Elle renforce le financement de la politique de l'eau, qui repose sur deux principes :

  • le principe "l'eau paie l'eau" : les coûts de l'eau potable et de l'assainissement sont pris en charge par les consommateurs d'eau potable ;
  • le principe "pollueur-payeur" : les consommateurs (eau potable et assainissement collectif) et les utilisateurs des milieux aquatiques participent financièrement aux actions de préservation et d'amélioration de l'état des milieux aquatiques, en particulier par le biais de redevances. Dans le domaine de l'assainissement, les redevances sont redistribuées par les agences de l'eau sous forme d'aides financières et de primes à l'épuration.

Elle acte la création d'une police de l'eau, ainsi que de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema) chargés de renforcer l'action de l'État. L'Onema a été regroupé avec d'autres structures au sein de l'Agence française pour la biodiversité, en 2017 (devenue en 2020 l'Office français de la biodiversité). Elle élargit également les compétences des collectivités territoriales dans l'exercice de leur politique de gestion de l'eau et de son assainissement.

L'arrêté ministériel du 21 juillet 2015 précise la réglementation en matière d'assainissement pour les systèmes d'assainissement collectif et non collectif (à l'exception des installations de moins de 20 équivalents habitants). Il a été modifié successivement par les arrêtés du 24 août 2017 et 31 juillet 2020. Cet arrêté définit entre autres les niveaux de rejet pour être en conformité avec les exigences minimales fixées par la directive 91/271/CEE, ainsi que les modalités d'autosurveillance, en fonction de la capacité de la station de traitement des eaux usées (STEU).

Le traitement des eaux usées s'accompagne de la production de boues d'épuration considérées réglementairement comme un déchet. Les communes sont responsables de leur valorisation et/ou de leur élimination selon une filière réglementée. La valorisation agricole des boues d'épuration constitue la voie privilégiée par les communes. L'arrêté du 8 janvier 1998 modifié en 2022 fixe les prescriptions techniques applicables aux épandages de boues d'épuration sur les sols agricoles. Elles peuvent également être envoyées en centre de compostage pour produire un compost normalisé ou incinérées pour produire de l'énergie.

Enfin, suite à la promulgation de la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) du 7 août 2015, la compétence assainissement, qui regroupe les services publics d'assainissement collectif et non collectif, devait être transférée obligatoirement de l'échelon communal vers l'échelon intercommunal. Ce transfert aurait dû être effectif au 1er janvier 2020. Cependant, la loi Ferrand-Fesneau du 3 août 2018 a introduit la possibilité d'un report de ce transfert au 1er janvier 2026 dans certains cas. L'échéance du 1er janvier 2026 a été conservé par la loi 3DS du 21 février 2022 pour le transfert de cette compétence aux communautés de communes.

Si le modèle français a longtemps servi d'exemple, il reste parfois décrié, particulièrement après les récents épisodes de sécheresse où un accès durable à tous les usages de l'eau n'a pas pu être garanti et où les prélèvements sont incompatibles avec le taux de renouvellement des ressources. La Cour des comptes, dans son rapport du 19 juillet 2023, a ainsi récemment pointé du doigt la complexité de la gouvernance de la politique de l'eau. L'État et les collectivités territoriales interviennent, dans un mélange de décentralisation historique de la gestion de l'eau et de tentation centralisatrice autour des préfets coordonnateurs de bassin. La Cour note également des actions conduites à "une échelle géographique inadaptée" afin de renforcer le pilotage de la politique de l'eau au plus près des territoires, une absence d'indicateurs de performance des actions envisagées dans les documents de planifications et plus de transparence au sujet du financement public de la politique de l'eau.

Impulser la réutilisation des eaux usées traitées en France

Une fois traitées dans la STEU, les eaux usées traitées sont généralement rejetées dans le milieu naturel (cours d'eau, mer et océan…). Pourtant, ces eaux peuvent présenter une qualité suffisante pour des usages qui ne requièrent pas nécessairement d'eau potable. En particulier, elles ont une valeur fertilisante du fait de la présence de nutriments (principalement l'azote et le phosphore). La pratique de la réutilisation des eaux usées traitées (REUT) s'est ainsi développée à l'échelle internationale, principalement dans le domaine de l'irrigation agricole et souvent dans des régions où le stress hydrique est intense. Plutôt que d'être rejetées dans le milieu naturel, les eaux traitées sont utilisées pour irriguer les cultures à proximité de la STEU.

Les bénéfices de la REUT sont nombreux : réduction de la pression sur la ressource, une possible amélioration de la qualité de l'eau pour des activités sensibles (baignade, conchyliculture) du fait de la réduction des rejets de STEU, apport de nutriments pour l'irrigation agricole…

Malgré ces indéniables atouts, la REUT reste avant tout une solution dépendante du contexte local. Cela implique par conséquent sa prise en compte lors de la planification de la gestion de la ressource en eau par les collectivités. Elle est très pertinente sur les zones littorales, où certaines STEU rejettent leurs effluents directement en mer, ce qui constitue une perte d'eau douce. Dans les zones continentales, en revanche, les rejets de STEU participent parfois de manière significative au soutien d'étiage, c'est-à-dire au maintien du débit minimum nécessaire pour le bon fonctionnement des écosystèmes aquatiques. La REUT présente ici un intérêt limité, voire peut même avoir un impact environnemental négatif en privant les cours d'eau d'un apport nécessaire pour le maintien des écosystèmes.

 

Répartition du financement de la dépense de gestion des eaux usées en 2020 (en millions d'euros et en %)
EntitéSomme
Ménages5 865 (45%)
Administrations publiques4 273 (32%)
Entreprises3 067 (23%)
Total des financements13 205

Source : SDES, compte satellite de l'environnement, 2022

Les eaux usées traitées contiennent entre autres des agents pathogènes, il est donc nécessaire de bien réglementer la REUT afin d'en garantir son innocuité. En France, elle est réglementée par un arrêté depuis 2010 pour l'irrigation agricole et l'arrosage des espaces verts uniquement. En outre, le décret du 29 août 2023, qui abroge celui du 10 mars 2022, permet d'envisager de nouveaux usages pour la REUT que sont les usages urbains : nettoyage de voiries, hydrocurage de réseaux (nettoyage des canalisations à l'aide de jets d'eau sous haute pression), lutte contre les incendies… 

Les eaux usées traitées contiennent également des micropolluants. Si les études concernant l'irrigation agricole se montrent rassurantes et établissent un risque infime pour la santé, ces molécules devront être prises en compte pour des usages plus exigeants comme la production d'eau potable à partir d'eaux usées traitées, usage encore non autorisé pour le moment en France.

Ce décret est paru dans la continuité du Plan Eau annoncé en avril 2023 et dont une des mesures phares concernait notamment la valorisation des eaux dites "non conventionnelles" (les eaux usées traitées, les eaux pluviales, les eaux d'exhaure, les eaux grises…) avec pour objectif de développer 1 000 projets de réutilisation des eaux sur l'ensemble du territoire d'ici 2027 et de multiplier par dix le volume d'eaux usées traitées réutilisées pour d'autres usages d'ici 2030. En effet, la France se classe aux derniers rangs parmi les pays européens avec moins de 1% du volume des eaux usées traitées réutilisées contre respectivement 15% et 8% environ pour nos voisins espagnols et italiens.

Si ce retard est principalement dû à une ressource en eau considérée comme abondante en France jusqu'à la sécheresse de 2022, un des freins identifié relève de la lourdeur des procédures d'autorisation. Encadrer la réutilisation des eaux usées est bien sûr nécessaire pour garantir l'innocuité de la pratique, mais les délais d'obtention des arrêtés préfectoraux d'autorisation (pouvant aller jusqu'à plusieurs années) et les conditions nécessaires à leur obtention ont malheureusement découragé les porteurs de projet. Le décret du 29 août 2023 propose ainsi un allègement des procédures d'autorisation avec notamment deux mesures phares : 

  • la suppression de la limitation des projets à une expérimentation d'une durée maximale de 5 ans ;
  • la simplification de l'instruction des dossiers : un avis simple et non plus conforme des autorités de santé (ARS) sera désormais requis.

Néanmoins, cet allègement des procédures reste relatif car il repose principalement sur le respect d'une qualité d'eau pour un usage donné défini par arrêté. Il faudra donc attendre la publication des arrêtés pour l'irrigation agricole (mise en cohérence avec le règlement européen 2020/741/CE entré en vigueur en juin 2023), puis pour chaque usage identifié…

En outre, un nouveau décret permettant la réutilisation des eaux au sein des industries agroalimentaires est attendu pour le mois d'octobre 2023 et devrait également permettre d'engendrer des économies d'eau non négligeables. Là encore, la mise en œuvre du décret ne sera possible qu'avec la publication des arrêtés d'application. Enfin, un décret et des arrêtés devraient être publiés pour permettre l'utilisation d'eaux non potables, comme les eaux pluviales, pour certains usages domestiques (remplir la chasse d'eau des WC, laver les sols, laver du linge…),

Les insuffisances actuelles et les défis à relever

Si le contexte réglementaire en pleine évolution apparaît favorable à l'amélioration du traitement et de la gestion de l'eau (faciliter la réutilisation des eaux usées traitées, notamment du point de vue des démarches administratives), de nombreux efforts restent à fournir pour préserver en quantité et qualité cette ressource précieuse et limitée. La France métropolitaine compte environ 66 millions d'habitants, ce qui génère un volume considérable d'eaux usées. Les réseaux et infrastructures d'assainissement doivent en premier lieu être modernisés pour faire face aux défis croissants liés à l'urbanisation, aux changements climatiques et à l'augmentation de la population.

Une révision de la directive européenne sur le traitement des eaux urbaines résiduaires est attendue très prochainement. Ses principaux objectifs envisagés à ce jour seraient :

  • une augmentation des performances de traitement de l'azote total et du phosphore ;
  • la mise en œuvre du traitement des micropolluants pour les STEU de grande capacité ;
  • d'utiliser au mieux les eaux usées en tant que ressource ;
  • d'atteindre la neutralité énergétique des stations de traitement des eaux usées de plus de 10 000 habitants d'ici à 2040.

Il s'agirait en particulier d'améliorer la qualité des boues afin d'accroître leur réutilisation. En outre, l'obligation de récupérer les nutriments présents dans les eaux résiduaires et de nouvelles normes pour les microplastiques devrait permettre une meilleure protection des écosystèmes et de la santé humaine. Les obligations en matière de traitement de l'eau seraient étendues aux communes de plus de 1 000 habitants, contre 2 000 habitants actuellement, et des plans de gestion intégrée des eaux résiduaires urbaines dans les agglomérations de plus de 10 000 habitants seraient établis, afin de réduire encore les rejets polluants par temps de pluie. La présence dans les eaux résiduaires de plusieurs virus, dont le SARS-CoV-2, le poliovirus ou le virus de la grippe, et la résistance aux antimicrobiens seraient également surveillées.

La réutilisation des eaux usées traitées devrait donc être fortement encouragée. En France, les professionnels du secteur regrettent toutefois que la réglementation par silo selon les intrants ou les usages (comme pour le décret d'août 2023) empêche l'aboutissement de projets multisources et multi-usages qui sont pourtant garants du bon équilibre financier des projets de réutilisation des eaux non conventionnelles (eaux pluviales, eaux grises, eaux usées traitées, …). Les micropolluants, qui ne sont pas pris en compte dans les filières de traitement des eaux usées, n'apparaissent pas actuellement dans les critères réglementaires de réutilisation. Ils ne doivent cependant pas être oubliés dans les études de dangers associés aux nouveaux projets, au même titre que les paramètres critiques en fonction de l'usage (comme le ratio d'adsorption du sodium, par exemple pour l'irrigation agricole).

Parallèlement, il est nécessaire de déployer des actions et programmes éducatifs pour sensibiliser la population à l'importance de la gestion responsable de l'eau et de la réduction des rejets polluants, afin de garantir un environnement sain et durable pour les générations futures. Il est nécessaire que les collectivités, les agriculteurs et les industriels mettent en œuvre des stratégies des gestions durables de la ressource en eau et de gestion patrimoniale de leurs infrastructures à long terme. L'eau n'a pas de prix, mais elle a un coût.