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La suppression de la taxe d'habitation : quelle réforme pour quels enjeux ?

Temps de lecture  7 minutes

Par : Brice Fabre - Directeur du pôle Fiscalité des ménages à l'Institut des politiques publiques (IPP)

La loi de finances pour 2020 instaure la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales. Quelles sont les conséquences de cette réforme sur les prélèvements obligatoires des ménages, ainsi que sur la structure des finances publiques locales ?

L'article 16 de la loi de finances pour 2020 (LF 2020) instaure la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales. Cette suppression, amorcée par la loi de finances pour 2018, s'étale progressivement, jusqu'à 2023. Pour les 80% des foyers les plus modestes (au sens de leurs revenus fiscaux), la baisse de la taxe d'habitation a été portée à 30% en 2018, 65% en 2019 pour une suppression complète en 2020. Pour les 20% des foyers restants, les mêmes baisses successives s'étalent de 2021 à 2023.

Cette mesure représente une baisse de prélèvements obligatoires de l'ordre de 18,5 milliards d'euros pour les ménages, mais aussi une baisse de recettes pour les collectivités locales ("Rapport économique, social et financier", annexe au projet de loi de finances pour 2022, octobre 2021). Ainsi, la LF 2020 prévoit un mécanisme visant à compenser cette perte de recettes publiques pour les collectivités. Cet article présente les enjeux de ces mesures et plus précisément les implications de cette réforme pour les finances publiques locales, outre leur implication directe sur les prélèvements obligatoires des ménages.

Le mécanisme de "coefficient correcteur" visant à compenser les collectivités locales

La taxe d'habitation était perçue à hauteur de 14,8 milliards d'euros annuels par les communes, et de 6,8 milliards d'euros annuels par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Ces recettes comptabilisent également les compensations versées par l'État aux collectivités au titre d'exonérations ou de dégrèvement de la taxe d'habitation de certains ménages, d'où le fait que la somme de ces deux montants soit supérieure aux 18,5 milliards d'euros précédemment évoqués (Brice Fabre, "Suppression de la taxe d'habitation et réallocation de la fiscalité locale", rapport IPP, n° 27, octobre 2020).

En guise de compensation en faveur des communes, la LF 2020 instaure, à compter de 2021, le transfert de la part de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) perçue par les départements vers les municipalités. Autrement dit, chaque commune perçoit désormais les recettes de TFPB que son département prélevait sur les locaux du territoire communal. Quant aux EPCI qui perdent aussi leur taxe d'habitation, mais aussi aux départements qui perdent leurs recettes de TFPB, une fraction de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) leur est allouée. Pour chaque EPCI et chaque département, cette fraction est déterminée de sorte qu'elle corresponde aux recettes fiscales perdues. Cette part est amenée à être pérenne : les EPCI et départements reçoivent désormais chaque année cette fraction appliquée aux recettes nationales de TVA.

Concernant la compensation des communes, un simple transfert de la TFPB des départements vers les municipalités engendre des effets redistributifs importants : dans certaines communes, la TFPB perçue par le département sur le territoire communal était supérieure à la perte municipale de recettes correspondant à la taxe d'habitation, alors qu'elle était inférieure pour d'autres. Ainsi, la LF 2020 instaure un mécanisme de "coefficient correcteur" visant à corriger ces déséquilibres : les communes "excédentaires" versent ces excédents à un fonds, afin de combler les déficits des autres communes. En cas d'excédents inférieurs aux déficits, l'État compense la différence. Ce mécanisme vise à être pérenne. Les contributions versées par les communes excédentaires, tout comme les transferts reçus par les communes déficitaires, seront chaque année revalorisées au même rythme que l'évolution de la base fiscale de TFPB de chaque commune.

Quels enjeux pour les finances publiques locales et les ménages ?

La suppression de la taxe d'habitation est souvent présentée du point de vue des revenus des ménages, dans le sens où elle représenterait une hausse de leur revenu après impôts (Paul Dutronc-Postel, Brice Fabre, Chloé Lallemand, Nolwenn Loisel et Lukas Puschnig, "Effets redistributifs des mesures socio-fiscales du quinquennat 2017-2022 à destination des ménages", Notes IPP, n° 81, mars 2022). Néanmoins, les véritables effets redistributifs sont difficiles à évaluer. La suppression de la taxe d'habitation est in fine compensée par une allocation des recettes de TVA aux collectivités locales, recettes qui étaient jusqu'alors allouées à d'autres dépenses publiques. Ainsi, il est important de préciser que les véritables effets de cette réforme dépendent des ajustements finaux qui accompagnent toute suppression de taxe : hausse d'un autre prélèvement, baisse des dépenses publiques, ou augmentation du déficit public.

Cette réforme a également d'importantes implications sur la structure des finances publiques locales françaises:

  • premièrement, elle implique qu'un ménage résidant dans une commune en tant que locataire ne paie plus de taxe locale pour le financement des biens et des services publics locaux, alors qu'il bénéficie de ces derniers ;
  • deuxièmement, le mécanisme de coefficient correcteur précédemment expliqué engendre une perte de "territorialité" importante des impôts locaux : à la suite de la réforme, 9% du produit total de TFPB ne seraient pas alloués au territoire sur lequel la recette a été prélevée, du fait des contributions versées et des transferts reçus par les communes au titre de ce mécanisme (Brice Fabre, op. cit.).
  • troisièmement, ce mécanisme correcteur présente un risque important de non-acceptation, notamment dans la durée. À titre d'exemple, si, dans plusieurs années, la base fiscale d'une commune augmentait, cette même commune se verrait prélever une partie des recettes supplémentaires associée à cette hausse, du simple fait qu'elle était "excédentaire" en 2021 au sens de ce mécanisme correcteur. De la même manière, une commune qui aura été "déficitaire" au titre de ce mécanisme recevra chaque année un transfert supplémentaire pour toute hausse de sa base fiscale.

Ceci soulève une limite importante de cette réforme : la mise en place d'un mécanisme de compensation s'inscrivant dans la durée, mais dépendant de la situation des communes au moment de la réforme. Les transferts de TVA à destination des EPCI et des départements présentent le même risque de non-acceptation. Le fait qu'un EPCI reçoive par exemple un taux de TVA plus élevé que d'autres du fait d'une perte de recettes de taxe d'habitation plus importante au moment de la réforme se justifie à court terme, mais risque de perdre en légitimité plusieurs années après la réforme.

Ainsi, il aurait été préférable de distinguer deux choses : d'une part le transfert "structurel" de fiscalité locale, par exemple ici le transfert de la TFPB départementale vers les communes, et par ailleurs un mécanisme de compensation, dépendant de la situation des communes au moment de la réforme, mais ne pouvant être que transitoire. Un transfert structurel ne peut qu'être décidé pour des considérations concernant la structure souhaitée pour notre système de finances locales (quel type de taxe pour quelles collectivités locales, au regard par exemple des compétences exercées par chaque échelon, ou bien des incitations locales que l'on souhaite mettre en place). Dans le cas où la TFPB serait considérée comme une recette plus adaptée à l'échelon communal, il serait préférable que ce transfert soit réellement appliqué à terme, et non pas "annulé" par un système de compensation visant à reproduire dans la durée le système précédent.

Quant aux mécanismes de compensation, ils sont nécessaires dans la mesure où les collectivités locales ne peuvent s'adapter à très court terme à une réforme d'ampleur de la fiscalité locale. Néanmoins, ils ne peuvent qu'être temporaires pour laisser pleine place au nouveau système décidé par les pouvoirs publics, afin que cette décision soit réellement appliquée et confrontée en toute transparence à l'opinion publique.

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