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Comment désengorger les prisons ?

Temps de lecture  20 minutes

Par : Dominique Simonnot - Contrôleure générale des lieux de privation de liberté et Jean-Paul Céré - Directeur du Centre de recherche sur la justice pénale et pénitentiaire à l'université de Pau et des Pays de l'Adour, président honoraire de l'association française de droit pénal

Le taux d'occupation des prisons françaises reste, depuis plusieurs années, supérieur à 100%. Alors que de nombreux États dans l'Union européenne parviennent à maintenir le nombre de prisonniers inférieur à celui de places disponibles, comment expliquer la situation en France  ? Réponses croisées de Dominique Simonnot et Jean-Paul Céré.

En France, la hausse du nombre de condamnations à de la prison ferme est parallèle à la moyenne du taux d'occupation dans les établissements pénitentiaires, qui reste supérieure à 100%. Comment expliquer cette situation ?

Réponse de Dominique Simonnot :

Malheureusement c'est pire que cela, puisque, dans les maisons d'arrêt (où sont incarcérés les prévenus – présumés innocents, en attente de jugement – et les condamnés à de courtes peines), il n'est pas rare de voir des taux d'occupation de 150, 180, voire 200%. Cette situation est épouvantable et lamentable. En 2000, les parlementaires, sénateurs en tête, étaient revenus tellement choqués de leurs visites d'établissements pénitentiaires qu'ils avaient rédigé un rapport dirigé par Guy-Pierre Cabanel, intitulé "Prisons, une humiliation pour la République" (Sénat, 2000). Il n'était alors question que de grande réforme humaniste, afin de rétablir la dignité en détention.

Vingt ans ont passé et tout a empiré dans des proportions effarantes. Début 2001, on comptait 47 800 détenus, ils sont près de 70 000 aujourd'hui ("Statistiques de la population détenue et écrouée », ministère de la Justice, 2010 et 2021). L'administration pénitentiaire, elle-même, appelle à l'aide et réclame une "régulation carcérale", tant la surpopulation rend tout ingérable. Insupportable pour les prisonniers, les surveillants, les familles.

J'y vois la marque d'un pays, qui par la voix de ses dirigeants, de ses élus, de ses aspirants au pouvoir, réclame toujours plus de peines. Avec pour seule référence la prison. Démagogique et populiste, cette approche très électoraliste flatte les côtés sombres de notre société, et l'entraîne dans une aspiration vengeresse. Mais il n'y a, en parallèle, nulle réflexion de fond, ni sur l'enfermement, ni sur le fait que les condamnés sortiront un jour, pas plus que sur l'utilité du temps passé enfermé. Or ces questions sont cruciales, ne serait ce que parce que le traitement infligé aux captifs a forcément une influence sur leur comportement et sur leur capacité à vivre avec nous à la sortie.

Réponse de Jean-Paul Céré :

La situation de surpopulation carcérale en France est en effet constante depuis de nombreuses années, si l'on excepte la période liée à la pandémie de Covid-19. Le premier confinement en 2020 s'est traduit par une baisse sensible et très rapide de la population carcérale. Toutefois, cette diminution s'est avérée conjoncturelle. La multiplicité des rappels à l'ordre ces dernières années du Conseil de l'Europe (Cour européenne des droits de l'homme, CEDH ; Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; Comité européen pour les problèmes criminels ; Commissaire aux droits de l'homme pour le Conseil de l'Europe…) témoigne de l'impuissance, pour l'heure, à juguler ce fléau carcéral.

L'accroissement du nombre de détenus est le résultat soit d'une hausse du nombre d'entrées en prison, soit de l'allongement de la durée de la détention, soit des deux facteurs combinés. Sur ces vingt dernières années, nonobstant quelques différences, le nombre annuel d'entrées en prison ne varie guère sur la durée et la tendance est même plutôt à la baisse (par exemple, on comptait 74 851 entrées en prison en 1999, 82 725 en 2010 et 68 060 en 2020), selon les "Chiffres clés de la justice" publiés en ligne par le ministère de la Justice (éditions 2000 à 2021). Le nombre d'entrants en prison ne peut donc expliquer la récurrence de la situation de surpopulation carcérale. En revanche, force est de constater un accroissement sensible de la durée moyenne de détention pour l'ensemble de la population détenue (4,6 mois en 1980 ; 7,6 mois en 1995 ; 8,6 mois en 2001 ; 8,3 mois en 2005 ; 10 mois en 2015 ; 9,7 en 2019, selon les "Chiffres clés de la justice »). Cette durée moyenne a plus que doublé en trente-cinq ans. Cela signifie donc que lorsqu'on entre en prison, on y reste plus longtemps.

Quelles sont les conséquences de cette situation pour les détenus et les conditions de vie en prison ?

Réponse de Dominique Simonnot :

Je veux vous dire mon choc, dans une prison du Sud de la France, lorsque les portes des cellules se sont ouvertes, toutes dévoilant trois hommes vivant 22 heures sur 24 dans un espace de 4,30 m2 (nous l'avons mesuré), une fois que l'on a retiré l'emprise des meubles : un matelas au sol, deux lits superposés, une petite table, deux chaises et le coin toilettes. Ils nous ont raconté monter le son de la télévision lorsque l'un va aux toilettes, nous ont montré comment ils s'enroulaient dans un drap très serré pour éviter que les cafards ne cavalent sur leur peau, et s'obstruaient narines et oreilles avec du papier toilette pour empêcher les vermines d'y entrer. Récemment, un détenu a souffert d'une infection du conduit auditif, causée par une bestiole coincée au fond. Un autre ayant ramassé des mégots dans la cour de promenade a contracté la leptospirose (maladie causée par l'urine des rats). Sans parler des punaises de lit. Trois autres nous ont montré le seau où ils faisaient leurs besoins, leurs toilettes étant bouchées depuis trois semaines.

D'une autre prison, un homme nous écrit sa "panique" devant des cafards sortant des plaques chauffantes. D'autres nous parlent de l'état "immonde" de leur cellule – murs couverts d'excréments, vieilles glaires collées dans le lavabo – et de leurs vains efforts à réclamer des produits pour la nettoyer.

Cette surpopulation vicie absolument tout. Les détenus qui voudraient apprendre, étudier, travailler ne sont que très peu à le pouvoir, ce qui dénature totalement le sens que l'on voudrait donner à la peine. Elle submerge les services pénitentiaires d'insertion et de probation et les rend impuissants à préparer les sorties. En entraînant violences et tensions, elle nuit aux rapports avec les surveillants débordés.

Quant à l'accès aux soins, il faut des mois pour voir un psychiatre, pour être opéré ou pour soigner un abcès dentaire que certains finissent par percer eux-mêmes.
Cette situation scandaleuse bafoue totalement le droit et notamment la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 ainsi que toutes les règles européennes en la matière.

Réponse de Jean-Paul Céré :

Il convient de préciser en préalable que la surpopulation carcérale ne concerne pas l'ensemble des établissements pénitentiaires. En effet, les établissements pour peines, pour des raisons de sécurité principalement, n'accueillent pas de détenus en surnombre. L'accueil de détenus en nombre supérieur aux places disponibles se concentre sur quelques établissements qui, dès lors, pour certains, peuvent dépasser les 150%, voire parfois les 200%. C'est au sein des maisons d'arrêt et des quartiers maison d'arrêt que les situations les plus critiques se rencontrent. En application de la loi (article 717 du code de procédure pénale, CPP), ceux-ci accueillent les détenus, les prévenus et les personnes condamnées à des peines ne dépassant pas deux ans ou dont le reliquat de peine est inférieur à un an.

Mais en pratique, le numerus clausus de fait pratiqué par les établissements pour peines se traduit par le maintien en maison d'arrêt de personnes condamnées à des peines d'emprisonnement supérieures à deux ans. Ainsi, face aux flux d'entrées en détention, et notamment aux condamnations à de courtes peines d'emprisonnement, l'administration pénitentiaire n'a eu d'autre choix que d'installer des lits supplémentaires et/ou des matelas au sol dans des cellules qui sont rapidement devenues sous-dimensionnées, y compris dans les établissements récemment ouverts ou rénovés.

Les effets néfastes de la surpopulation carcérale sont patents. D'abord, sur un plan strictement juridique, elle est un obstacle au respect de la loi. Elle ne permet pas de mettre en œuvre le principe d'encellulement individuel et n'autorise pas une répartition adéquate des détenus en cellule au regard de leur statut. Ensuite, la sur-occupation des cellules entraîne inévitablement une perte d'intimité, à l'origine de tensions et de frustrations. Dans les anciennes maisons d'arrêt, qui connaissent un état d'insalubrité avancé, les toilettes ne sont pas véritablement séparées du reste de la cellule, ce qui est de nature à générer, chez de nombreuses personnes détenues, un sentiment d'humiliation. Dans toutes les maisons d'arrêt, y compris les plus récentes, la sur-utilisation des locaux et des équipements collectifs entraîne leur vieillissement prématuré.

La surpopulation carcérale rend les conditions de détention extrêmement difficiles et a des conséquences délétères sur la santé. Elle est source de violences et avive les tensions entre détenus et surveillants, ainsi qu'entre détenus. Elle entrave le maintien des liens familiaux dans la mesure où elle exacerbe les difficultés à assurer le quota minimum de parloirs hebdomadaires et à proposer des durées satisfaisantes. La surpopulation limite également le nombre de places disponibles pour les activités proposées dans l'établissement pénitentiaire car la demande est supérieure aux capacités en termes de personnel et de locaux disponibles et réduit la possibilité d'exercer un travail. Elle favorise donc une oisiveté totale qui éloigne un peu plus les perspectives de réinsertion. Sur le long terme, elle présente un risque d'augmentation de la récidive. Enfin, la surpopulation carcérale affecte le travail des personnels pénitentiaires, qui sont dans l'incapacité d'exercer leur mission, et accroît la pénibilité de leur travail.

Quels effets ont eu les politiques des derniers gouvernements pour pallier ce problème ?

Réponse de Dominique Simonnot :

Depuis des années, les injonctions contradictoires se succèdent. Un exemple avec les peines plancher instaurées par le président de la République, Nicolas Sarkozy, et Rachida Dati, garde des Sceaux pendant une partie de son mandat, entre 2007 et 2009. Conscient du risque de faire exploser le nombre de détenus, ils avaient, d'un côté doublé le quantum des peines applicables et, de l'autre, glissé dans la loi la possibilité d'aménager ab initio les peines pour les condamnations inférieures à deux ans d'emprisonnement.

Les peines plancher ont été abrogées lors du quinquennat du président François Hollande, et une nouvelle réforme a été menée en 2019, avec le "bloc peine" imaginé par Nicole Belloubet, garde des Sceaux (loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice). Un système certes compliqué, mais ayant l'avantage d'interdire les peines de prison inférieures à un mois ferme et de rendre obligatoire l'aménagement des peines de six mois. Mais, nouvelle contradiction, la même loi restreint celle de Rachida Dati, en réduisant de deux à un an les peines susceptibles d'être aménagées sans incarcération.

Le bloc peine n'a pour l'heure que peu de succès, et, sans que soit démontrée une explosion parallèle de la délinquance, les prisons françaises comptaient, en mars 2020, 72 575 détenus. Un record.

Heureusement, si j'ose dire, advint le Covid. Alarmée devant le danger de propagation du virus dans pareille promiscuité, la ministre de la justice a pris des ordonnances de libération des prisonniers proches de leur fin de peine et après examen de leur cas par les juges d'application des peines. Le ralentissement de l'activité judiciaire et celui de la délinquance ont fait le reste, et en juillet 2020, on en était à 58 700 prisonniers… Court répit. Les discours sécuritaires enflammés ont repris de plus belle et, bien que très peu lyriques, ils ont forcément une influence sur les juges. Malgré les alertes et recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), les ordonnances Belloubet n'ont pas été reprises, ce qui aurait permis de maintenir des taux d'occupation raisonnables. Voilà une occasion manquée de lutter contre la surpopulation carcérale. C'est d'autant plus dommage que l'opinion publique avait parfaitement compris ces mesures.

Réponse de Jean-Paul Céré :

L'un des problèmes dirimants est l'oscillation des politiques pénales corrélé à une frénésie législative depuis plusieurs décennies. Celle-ci est plus souvent guidée par une volonté d'apporter une réponse immédiate à des faits divers plutôt que par une démarche analytique, qui chercherait des solutions pérennes pour endiguer le phénomène structurel de la surpopulation carcérale. Depuis une vingtaine d'années, le législateur n'a eu de cesse d'opérer un mouvement de balancier entre mesures sécuritaires ou, au contraire, mesures favorisant la recherche d'alternatives à l'emprisonnement et d'aménagement de la peine en milieu libre. Les réformes successives et contradictoires débouchent aujourd'hui sur un millefeuille législatif extrêmement technique et peu lisible.

Récemment deux lois portent les germes d'une volonté de lutte contre la surpopulation carcérale. D'abord, la loi du 23 mars 2019 mentionnée par Dominique Simonnot marque la suppression des peines d'emprisonnement ferme inférieures à un mois et l'affirmation du principe de l'aménagement obligatoire des peines inférieures à six mois d'emprisonnement ferme. La loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 ouvre, quant à elle, plusieurs voies pour endiguer les conditions de détention contraires à la dignité humaine, avec l'ouverture novatrice d'un recours devant le juge judiciaire. La remise en liberté de la personne détenue dans des conditions indignes apparaît donc comme l'ultima ratio dans la palette des mesures disponibles.

À vrai dire, cette loi est la conséquence directe d'une condamnation de la France par la CEDH dans l'arrêt J.M.B et autres contre France du 30 janvier 2020 à raison des conditions de détention indignes subies par des détenus. Alors même qu'il est encore trop tôt pour s'assurer de l'impact de ces toutes dernières réformes sur la surpopulation carcérale, la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire supprime l'octroi d'un crédit de réduction de peine automatique dont bénéficiaient les détenus, qu'ils perdaient en cas de mauvais comportement en détention, au profit d'un mécanisme privilégiant les efforts du détenu en matière de bonne conduite et de réinsertion. Cette disposition, entre autres, présente le risque d'amplifier la surpopulation carcérale en allongeant la durée d'exécution des peines, d'autant que certaines personnes condamnées ne pourront plus bénéficier de l'intégralité du quantum de réduction de peines prévu (article n° 721-1-2 du CPP). Une certitude perdure, cette inflation législative visant à réformer la matière pénale ne semble pas près de s'arrêter, d'autant que le budget de la justice pour 2022 fait la part belle aux dépenses d'investissement immobilier au détriment des alternatives à l'emprisonnement et de la prévention de la récidive et de la réinsertion…

Que peut le droit, dans cette situation ? Les peines alternatives et les aménagements de peine peuvent-ils permettre de réduire la surpopulation carcérale ?

Réponse de Dominique Simonnot :

La première idée avancée par les gouvernements successifs est de construire de nouvelles prisons. Cela peut sembler logique. Mais il s'agit d'une fausse bonne idée. D'abord, il a été prouvé par les faits que plus on construit, plus on incarcère, ensuite parce que la France ne parvient pas à maintenir les prisons existantes dans un état acceptable. Enfin, parce qu'il faut absolument sortir de la prophétie érigeant la prison en "reine des peines".

De plus, il faut près de dix ans pour faire sortir une prison de terre. Le meilleur exemple est celui de la prison de Lutterbach, inaugurée en novembre 2021, et qui avait été annoncée par Michèle Alliot-Marie, garde des Sceaux, en 2009…

Bien d'autres peines existent, telles que le travail d'intérêt général, le sursis probatoire, la libération sous contrainte, ou encore les jours-amende (contribution quotidienne au Trésor pendant un nombre de jours déterminé en fonction des ressources et charges du prévenu), pour ne citer qu'elles. Des aménagements sont également possibles, comme les placements extérieurs, la semi-liberté, le placement sous bracelet électronique, la libération conditionnelle… Et, j'insiste, il s'agit de véritables contraintes, soumises au contrôle des services pénitentiaires d'insertion et de probation. C'est pourquoi il faut résolument "mettre le paquet" sur les moyens qui leur sont attribués.

Sans quoi, la France continuera d'être condamnée pour ses conditions indignes de détention. La condamnation de l'État par la CEDH en janvier 2020 (arrêt J.M.B et autres contre France du 30 janvier 2020) est un sévère rappel à l'ordre. Elle a été suivie par les décisions de la Cour de cassation (arrêt du 8 juillet 2020) et du Conseil constitutionnel (décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020). Enfin, en 2021, le Conseil de l'Europe a appelé la France à prendre des mesures pour en finir avec cette surpopulation "structurelle" (déclaration du Comité des ministres du Conseil de l'Europe, Surveillance de l'exécution des arrêts de la Cour européenne, 14-16 septembre 2021). Grâce à ces injonctions, un recours accessible aux détenus contre leurs conditions indignes de vie a été instauré par la loi du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention. Il y a donc de l'espoir. J'attends vraiment que les détenus et leurs avocats se saisissent de cette opportunité et participent à bâtir, avec les magistrats, une jurisprudence ferme et éclairée en la matière afin d'éviter la honte de prisonniers entassés dans moins d'1,30 m2 d'espace vital.

Réponse de Jean-Paul Céré :

Il ne saurait y avoir une réponse unique à la surpopulation carcérale systémique. Des remèdes existent. L'augmentation du parc pénitentiaire est une voie envisageable mais elle ne peut résoudre seule toutes les difficultés. C'est la politique principale opérée en France depuis 1987 et le tout premier programme massif de construction de nouveaux établissements pénitentiaires (dit "programme 13 000"). Depuis, les plans immobiliers pénitentiaires se succèdent les uns aux autres. Le dernier en date comprend deux tranches : la livraison de 7 000 places à la fin de l'année 2022 et la construction de 8 000 places supplémentaires à l'horizon 2027. On voit bien que cette politique est insuffisante à résoudre le problème de la surpopulation sur le long terme. Elle mène à un usage plus fréquent de la peine de prison, ce qui a pour effet d'absorber les nouvelles capacités et peut s'avérer incitative à recourir plus fréquemment à la détention provisoire.

La mise en place d'un numerus clausus – une place pour un détenu – ne saurait non plus pleinement satisfaire, ne serait-ce que parce que cette mesure ne vise pas les causes de la surpopulation. Seule une politique globale et cohérente de lutte contre la surpopulation sur la durée peut produire des résultats convaincants. Elle nécessite en effet de déjouer le recours aux courtes peines privatives de liberté et de leur substituer des mesures alternatives (semi-liberté, placement sous surveillance électronique, travail d'intérêt général…), de relancer les mesures d'aménagement des longues peines (notamment la libération conditionnelle) et de contenir l'utilisation significative de la détention provisoire, qui tend à augmenter depuis quelques années.

Qu'en est-il des prisons à l'étranger ? Existe-t-il des États dont la France devrait prendre exemple ?

Réponse de Dominique Simonnot :

Selon les règles pénitentiaires européennes du Conseil de l'Europe (règles n° 102-1 et 102-2), "le régime des détenus condamnés doit être conçu pour leur permettre de mener une vie responsable et exempte de crime" et "la privation de liberté constituant une punition en soi, le régime des détenus condamnés ne doit pas aggraver les souffrances inhérentes à l'emprisonnement ». Enfin, tout doit être fait pour que les détenus sortent de prison "meilleurs" qu'ils n'y sont entrés, ne serait ce qu'en pensant à la récidive et aux victimes dont notre société prétend s'occuper. C'est presque risible, lorsque l'on connaît la réalité.

Des pays d'Europe du Nord ou encore les Pays-Bas ont réussi à fortement diminuer leur population carcérale, sans que la délinquance n'augmente, grâce à une politique volontariste. Mais c'est surtout l'Allemagne, plus proche de nous, qui m'intéresse, puisqu'elle a aussi réussi ce "prodige ». Nous avons donc programmé une visite dans certains Länder, afin de voir si nous pouvons nous en servir d'exemple.

Je voudrais finir sur l'espoir que chacun revienne à la raison. Des mécanismes existent, et ils ne sont ni utopiques, ni naïfs. Au contraire. Je veux parler de la régulation carcérale qui verrait, au-dessus de 100 % d'occupation, à chaque entrée de nouveau détenu, la sortie d'un autre, sous le contrôle du juge d'application des peines.

Cette solution est déjà expérimentée dans quelques prisons où, dès qu'un certain taux d'occupation est atteint, des sorties sont programmées et des alternatives trouvées. C'est ce que réclame le CGLPL, ainsi que des organisations non gouvernementales ou professionnelles (l'Observatoire international des prisons, la Fédération des associations Réflexion-Action, Prison et Justice, l'Association nationale des juges de l'application des peines, le Syndicat national des directeurs pénitentiaires par exemple). Même la direction de l'administration pénitentiaire y est très favorable. C'est aussi ce qu'avait prôné le président de la République Emmanuel Macron dans un discours marquant, prononcé en 2018. Resté sans suite.

Réponse de Jean-Paul Céré :

L'augmentation régulière du nombre de détenus et la récurrence du phénomène de la surpopulation pourrait laisser entendre qu'aucune échappatoire n'existe. En réalité, la dernière étude européenne (Conseil de l'Europe, SPACE I, "Prison populations », PC-CP (2020) 12) montre que le taux français de 115,7 détenus pour 100 places situe la France parmi les quatorze pays dont la densité carcérale est supérieure à 100 places (sur 47 pays). Seuls quatre États (la Belgique, l'Italie, Chypre et la Turquie) connaissent une densité carcérale supérieure à la France. Sur l'ensemble des pays membres du Conseil de l'Europe, la densité carcérale médiane est de 90,3 détenus pour 100 places disponibles dans les établissements pénitentiaires, avec même une légère tendance à la baisse ces dernières années (91,4 en 2018 ; 91,6 en 2015). Il est donc notable que la surpopulation carcérale concerne une minorité de pays en Europe.

Par ailleurs, des pays ont connu une baisse parfois significative du nombre de détenus, par exemple entre 2004 et 2013 en Allemagne, aux Pays-Bas et en Estonie (Conseil de l'Europe, SPACE I, "Prison populations », PC-CP (2014) 11). La France, elle-même, a connu une diminution de la population carcérale entre 1996 et 2001. Si on s'arrête aux cas de l'Allemagne, des Pays-Bas et de l'Estonie, la baisse significative de la population carcérale constatée s'est poursuivie. En 2020, la densité carcérale est de 86,8 % en Allemagne, de 79,1 % en Estonie et de 93,6 % aux Pays-Bas, ce dernier pays s'étant même distingué par la fermeture de prisons (Conseil de l'Europe, op. cit.).

 

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