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Décentralisation dans l'éducation : quelle répartition des compétences ?

Temps de lecture  11 minutes

Par : La Rédaction

Selon le Préambule de la Constitution de 1946, "l'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'État." Cependant, avec la décentralisation, les collectivités viennent en appui de l'Éducation nationale dans l'exercice de cette mission. Cette territorialisation s'est approfondie en 40 ans.

Avec les différentes vagues de décentralisation, les transferts de compétences de l'État aux collectivités locales se sont succédé.

C'est le cas notamment dans le domaine éducatif : si le monopole étatique demeure entier, avec des politiques éducatives impulsées au niveau national, un partage des rôles s'est mis en place au niveau local, particulièrement avec les départements et les régions.

Au fil des lois de décentralisation de 1982-1983, jusqu'à la loi "3DS" de 2022, la collaboration s'est précisée et approfondie entre :

  • l'administration du ministère de l'Éducation nationale, au niveau central et dans ses services déconcentrés ;
  • les établissements publics locaux d'enseignement (EPLE), principalement les collèges et lycées (art. R 421-2 du code de l'éducation) ;
  • les collectivités territoriales, qui "s''administrent librement" (principe de libre administration), "ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon" (art. 72 de la Constitution).

En 2022, dans un rapport thématique sur L'articulation des relations entre l'État et les collectivités dans la mise en œuvre des politiques nationales et territoriales d'éducation, l'Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) souligne que la répartition des rôles entre ces acteurs est devenue fort complexe. 

La situation actuelle, de fait, pose plusieurs questions :

  • celle du périmètre des compétences des différents acteurs, qui a fait l'objet d'évolutions constantes, et parfois, contradictoires ;
  • celle du financement du système éducatif, dont les collectivités assument une part croissante ;
  • celle de la gouvernance d'un système où les acteurs locaux revendiquent que l'État leur délègue de nouvelles compétences.

La commune et l'école publique : une longue histoire

Au XIXe siècle déjà, la politique éducative voit l’État s'appuyer sur les collectivités locales :

  • la loi Guizot du 28 juin 1833 impose aux communes de plus de 500 habitants de financer une école primaire de garçons ;
  • les lois Ferry de 1881-1882 instituent l'enseignement primaire gratuit, laïque et obligatoire : l'école publique, pilier de l'identité républicaine du régime, repose au premier chef sur les communes.

Aujourd'hui, selon les articles L. 212-1 à L. 212-15 du code de l’éducation :

  • la commune est propriétaire des locaux des écoles publiques établies sur son territoire ;
  • ses responsabilités sont étendues : construction, équipement, grosses réparations, fonctionnement, entretien des bâtiments… ;
  • elle peut organiser des activités complémentaires (éducatives, sportives et culturelles) au sein de l'école ;
  • dans les écoles maternelles et élémentaires, elle a la responsabilité de la restauration scolaire.

Si plusieurs écoles publiques se trouvent sur son territoire, la sectorisation relève de la commune.

Le rôle de l'État demeure central

Le ministère de l’Éducation nationale, qui conserve la responsabilité pleine et entière des politiques éducatives, s'appuie sur ses services déconcentrés pour les appliquer sur l’ensemble du territoire. Son organisation territoriale repose sur l'existence de circonscriptions spécifiques : les académies.

Comme suite à la nouvelle carte régionale, issue de la loi du 16 janvier 2015, 18 régions académiques (13 en métropole, 5 outre-mer) voient le jour à partir du 1er janvier 2016. Leur délimitation coïncide désormais avec celle des régions administratives ; les recteurs de région académique sont l'interlocuteur unique du préfet de région et du conseil régional.

Au sein de ces régions académiques, les 30 académies demeurent la circonscription de référence de l’Éducation nationale, avec à leur tête un recteur d’académie. C'est l'un des adjoints du recteur, l’inspecteur d’académie - directeur académique des services de l’Éducation nationale (IA-DSDEN), qui le représente à l'échelon départemental.

Au niveau local, les EPLE ont pour interlocuteurs les autorités académiques. C'est selon des règles uniformes, fixées au niveau central, que s'organisent :

  • les concours de recrutement des enseignants, leur affectation, leur gestion de carrière ;
  • les programmes enseignés ;
  • l'évaluation des EPLE ;
  • les dotations horaires qui leur sont allouées ;
  • les examens nationaux du secondaire : diplôme national du brevet (DNB), baccalauréat...

Autant de compétences qui ne sauraient être déléguées : la décentralisation ne remet nullement en cause le primat de l'État en matière éducative. C'est donc à la périphérie de ce système centralisé et déconcentré qu'au fil des transferts de compétences s'est établi un partenariat entre l’Éducation nationale et les collectivités territoriales.

L'impact des lois "Defferre" dans l'éducation (1982-1983)

De 1982 à 1986, les premières lois de décentralisation comportent notamment :

  • la loi du 2 mars 1982, par laquelle départements et régions deviennent des "collectivités de plein exercice", dont l'exécutif est élu au suffrage universel ;
  • les lois des 7 janvier et 22 juillet 1983, qui modifient la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État.

Dans le domaine éducatif, la réalisation emblématique de la décentralisation est le transfert à chaque niveau de collectivité de compétences délimitées sur l’équipement scolaire :

  • les locaux de l’enseignement élémentaire et préélémentaire relèvent de la commune ;
  • les collèges des départements ;
  • les lycées, et certains établissements spécialisés, de la région.

Concrètement, au 1er janvier 1986 :

  • les collectivités de rattachement prennent en charge les dépenses d’équipement et de fonctionnement des bâtiments du second degré, ainsi que les dépenses de construction, de reconstruction, d'extension, ou liées à des grosses réparations ;
  • les dépenses de fonctionnement pédagogique sont en principe à la charge des collectivités de rattachement, à l'exception de certaines dépenses assumées par l'État (manuels scolaires, financement de projets d'action éducative...) ;
  • les dépenses pédagogiques stricto sensu (rémunération des enseignants, des personnels administratifs principalement) restent à la charge de l’État.

Ainsi, avec la décentralisation, les collectivités deviennent des partenaires incontournables dans la mise en œuvre des politiques décidées par l’État ; des structures de concertation sont créées. Les responsabilités des acteurs locaux ne feront que s'accroître dans les décennies suivantes.

Les exécutifs locaux établissent le programme prévisionnel des établissements du second degré ; ils en arrêtent la localisation, la capacité d’accueil, le secteur de recrutement en tenant compte des critères d’équilibre démographique, économique et social, et en veillant à la mixité sociale et le mode d’hébergement des élèves.

Acte II (2003-2004) : un rôle accru des collectivités dans l'éducation

L'"acte II" de la décentralisation vient transformer les institutions elles-mêmes. La révision de la Constitution du 28 mars 2003 modifie l'article Ier de la Constitution de 1958, désormais rédigé comme suit : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale [...] Son organisation est décentralisée."

Dans le domaine éducatif, le rôle des collectivités est étendu et approfondi.

Le constat que l'entretien des établissements scolaires est une réussite ne fait guère débat. Les collectivités y consacrent une part substantielle de leurs budgets, preuve de l'importance qu'elles accordent à cette mission. Du fait de ce bilan positif, elles souhaitent exercer des responsabilités plus importantes, en intervenant dans le champ des politiques éducatives elles-mêmes.

L'acte II entraîne une hausse notable des dépenses des collectivités pour l'éducation, en raison d'une mesure en particulier : le transfert des agents techniques du ministère de l'Éducation nationale, les techniciens, ouvriers et de service (dits "TOS").

Dans une logique de prestation de services, après celle de l'immobilier, les collectivités se voient confier la gestion des personnels qui mettent en œuvre, sur le terrain, les politiques qu'elles financent.

Plus de 75000 agents sont transférés, ce qui donne lieu, de 2006 à 2007, à une hausse considérable des effectifs : +15% pour les agents départementaux, +126% pour les régions.

Ce transfert massif a nécessité la création d'un mode de gestion original : la double tutelle. Les modalités sont les suivantes : l'autorité hiérarchique revient à la collectivité de rattachement qui gère le recrutement, l'affectation, la carrière et la rémunération des personnels ; le chef d'établissent exerce l’autorité fonctionnelle sur ces agents et organise leur travail.

Dans un rapport de 2010, le Sénat dresse un bilan nuancé du transfert des TOS. Évoquant "un pari réussi, des perspectives financières tendues", il souligne que, face à "une véritable gageure", les collectivités ont démontré leur "savoir-faire" et leur "réactivité." Il se préoccupe cependant d'"un bilan financier sous-évalué."

Les politiques éducatives dans les budgets locaux

Concrètement, 20 ans après l'acte II, l'investissement financier des départements se traduit ainsi :

  • le département de Seine-et-Marne alloue 14% de son budget à l'éducation, en 2023 ;
  • l'Isère s'est engagée à rénover l'ensemble de ses 97 collèges d'ici la fin de la mandature, en 2028 ;
  • la Vienne consacre environ 16% de son budget 2023 à l'éducation (32 millions d'euros sur un total de 511) et, pour mettre aux normes les établissements, a établi un "Plan collèges" de 185 M€ pour la période 2015-2025.

En 2020, selon Régions de France, l'éducation représente "16,6% des dépenses des régions, lesquelles gèrent plus de 2800 établissements accueillant 2,1 millions d’élèves et d’étudiants." Preuve de leur investissement, nombre de régions financent l'acquisition des manuels scolaires des lycéens.

En 2019 les communes, responsables des écoles maternelles et élémentaires, financent à elles seules 12,5% de la dépense intérieure d'éducation. Quant aux régions et départements, en charge de 2800 lycées et 5300 collèges, leur part est respectivement de 7,1% et 3,7%.

Comme la part des collectivités dans le financement de la DIE s'accroît, celle de l'État, en retour, diminue (- 1,2% de 1980 à 2018) en matière d'investissement et de fonctionnement des établissements.

La loi 3DS

La loi 3DS donne suite à une demande récurrente des collectivités, exprimée dès 2004 : avoir autorité sur les adjoints gestionnaires (autrefois "intendants") des EPLE.

Entre autres missions, ces personnels sont chargés de "la gestion matérielle, financière et administrative" des bâtiments et des services de restauration scolaires, lesquelles dépendent du financement des conseils départementaux et régionaux.

Avec la loi 3DS (art. 145), les collectivités se voient conférer une autorité fonctionnelle sur les adjoints gestionnaires des collèges et lycées, "au titre des compétences qui lui incombent en matière de restauration, d'entretien général et de maintenance des infrastructures et des équipements."

Cette autorité s'exerce dans le cadre des missions dévolues aux collectivités. D'autres responsabilités des gestionnaires telles que, par exemple, la fonction financière et comptable des EPLE, ou leur évaluation, ne sont pas du ressort de la collectivité de rattachement.

La loi 3DS dispose que l'instauration de cette double tutelle doit se faire "dans le respect de l'autonomie de l'établissement définie à l'article L. 421-4" du code de l'éducation. La garantie de cette autonomie des EPLE doit se faire dans le respect du principe de libre administration des collectivités.

La mise en place de cette double tutelle doit faire l'objet d'une convention entre les parties prenantes.

Par ailleurs, lors de l’élaboration de la loi 3DS, la question d'un éventuel transfert de la santé scolaire a été évoquée.

La Cour des comptes, dans un rapport de 2020 sur "Les médecins et les personnels de santé scolaire" a fait le constat d'"une performance très inférieure aux objectifs." La Cour recommandait la mise en place d'un service social et de santé scolaire au niveau déconcentré.

Or, les départements revendiquent de longue date que la médecine scolaire leur soit transférée, dans la mesure où la décentralisation leur a déjà confié l'aide sociale à l'enfance (ASE) et la protection maternelle et infantile (PMI).

Cependant, sans amélioration de la situation de la médecine scolaire, un transfert semble délicat. Après de longs débats, la loi 3DS (art. 144) prévoit que, "dans un délai de six mois", le Gouvernement remettra au Parlement "un rapport retraçant les perspectives du transfert de la médecine scolaire aux départements."