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Menuiserie du Centre éducatif fermé (CEF) de Mulhouse (68), où un mineur effectue un apprentissage encadré par un agent technique. © Sébastien Bozon/AFP

Quelle justice pénale des mineurs face à la délinquance juvénile ?

Temps de lecture  13 minutes

Par : La Rédaction

Face à la délinquance des plus jeunes, l'ordonnance de 1945 reposait sur trois principes : excuse de minorité, primauté de l'éducatif et spécialisation des juridictions. Toutefois, depuis 1945, comment cette justice a-t-elle évolué ? Et, dans quel contexte le code de la justice pénale des mineurs est-il entré en vigueur le 30 septembre 2021 ?

"Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l'enfance, et, parmi eux, ceux qui concernent l'enfance traduite en justice. La France n'est pas assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. La guerre et les bouleversements d'ordre matériel et moral qu'elle a provoqués ont accru dans des proportions inquiétantes la délinquance juvénile. La question de l'enfance coupable est une des plus urgentes de l'époque présente."

Au lendemain de la guerre, l'ordonnance de 1945 exprime, dans l'exposé des motifs, son intention protectrice, préalablement à sa nature pénale.

La justice pénale des mineurs en France trouve ainsi ses principes dans l'ordonnance du 2 février 1945.

Néanmoins, le 30 septembre 2021, le code de la justice pénale des mineurs (CJPM) l'a remplacée, ainsi que les nombreux textes qui la complètent, non sans rappeler ces principes dans son article préliminaire.

 

Protéger l'enfance traduite en justice

La nature même du texte qui aborde "l'enfance délinquante" en 1945, une ordonnance élaborée par le Gouvernement provisoire, témoigne du caractère inquiétant de son accroissement. L'ordonnance, devant l'urgence du problème, a précédé la loi ou une nouvelle Constitution.

Le texte pose les grands principes de la justice pénale des mineurs :

  • l'excuse de minorité ;
  • la primauté de l'éducatif ;
  • la spécialisation des juridictions et des procédures.

Depuis 1945, l'ordonnance a été modifiée à 39 reprises. Les textes modificateurs ou complémentaires se sont agrégés. Les renvois multiples au code pénal et au code de procédure pénale ont rendu le droit pénal des mineurs particulièrement complexe.

Les intentions réformatrices du législateur sur l'ordonnance de 1945 ne sont pas nouvelles. L'élaboration d'un code de la justice pénale des mineurs a connu plusieurs tentatives qui n'ont longtemps pas abouti.

Quant au terme "enfance délinquante", il a disparu du code de la justice pénale des mineurs et, dès son titre, le texte exprime son contenu et sa nature. L'article préliminaire expose l'objet du texte : régir "les conditions dans lesquelles la responsabilité pénale des mineurs est mise en œuvre". Pour ce faire, le code donne une durée à la procédure pénale, la scinde en séquences dont le temps est mesuré :

  • une audience afin de déterminer la culpabilité (10 jours à 3 mois) ;
  • une mise à l'épreuve éducative (6 à 9 mois) ;
  • une audience afin de prononcer la sanction (dès la fin de la mise à l'épreuve).

L'attention se reporte d'un sujet, le mineur délinquant, sur un procès mesuré et découpé, dans lequel la détermination de la culpabilité est non plus l'aboutissement d'un processus pénal mais la condition de son déroulement. Le ton très particulier de l'exposé des motifs de l'ordonnance de 1945, justifié par la priorité donnée à la protection et au redressement des mineurs délinquants, a disparu au profit d'un encadrement mesuré de la procédure.

Le législateur le justifie par l'évolution rapide des mineurs, mais les détracteurs du nouveau code expliquent que le temps de l'enfance ne peut être contraint et que des délais de procédure ne doivent pas conduire à une certaine "précipitation".

Quelles évolutions des textes depuis 1945 ?

Chaque texte de loi élaboré depuis l'ordonnance de 1945 se positionne par rapport à la nécessité de protéger "l'enfance traduite en justice", souvent dans le contexte des débats d'une époque sur la délinquance juvénile (insécurité, "tolérance zéro", etc.).

Le temps de la protection

Entre 1945 et 1994, des dispositifs sont mis en place afin d'éviter l'incarcération des mineurs et de renforcer leur protection :

  • il est possible d'adjoindre une mesure de liberté surveillée à une peine (1951) ;
  • le juge des enfants peut intervenir au civil. Ses pouvoirs sont étendus aux mineurs en danger (1958) ;
  • la détention provisoire est interdite pour les mineurs de 13 ans dans un premier temps, puis pour ceux de moins de 16 ans (1970 puis 1989) ;
  • les mineurs ne peuvent plus être placés en maison d'arrêt (1989) ;
  • le casier judiciaire aménagé est instauré (certaines peines sont "effacées" à la majorité) (1992) ;
  • la présence d'un avocat à toutes les étapes de la procédure concernant un mineur devient obligatoire (1993) ;
  • la réparation pénale est instaurée (1993).

Le temps du durcissement

À partir des années 1990, la justice pénale des mineurs se durcit, entre autres en réaction à l'actualité et suite à l'émergence de doctrines sécuritaires ("tolérance zéro", expérimentée à New York). Dès 1994, la justice pénale des mineurs se recentre sur la responsabilité pénale et les mesures d'enfermement (lois Perben et Dati) :

  • rétention judiciaire pour les moins de 13 ans mise en place (1994) ;
  • création des centres éducatifs renforcés (1996), des centres éducatifs fermés et des établissements pénitentiaires pour mineurs (2002) ;
  • possibilité de comparution devant le juge des enfants sans instruction préalable (1996) ;
  • majorité pénale abaissée de 13 à 10 ans (2002) ;
  • reformulation par la loi du principe de responsabilité du mineur en le fondant sur le discernement et non plus sur l'âge (2002) ;
  • création de sanctions éducatives pour mineurs de plus de 10 ans (2002) ;
  • élargissement des exceptions à l'excuse de minorité pour les mineurs de 16 à 18 ans (2007) ;
  • non application du principe de l'atténuation de la peine pour les mineurs entre 16 et 18 ans en cas de deuxième récidive pour certains délits (2007) ;
  • établissement du tribunal correctionnel pour mineur (2011).

Le temps de la réécriture

À partir de 2012, la loi revient sur certaines dispositions des textes qui ont le plus profondément modifié les principes de l'ordonnance de 1945. La rédaction d'un code de la justice pénale des mineurs est engagée :

  • l'excuse de minorité est rétablie par l'abrogation des dispositions des lois qui l'avaient limitée (2014) ;
  • les tribunaux correctionnels pour mineurs sont supprimés (2016) ;
  • le jugement se fait désormais en deux audiences sur la culpabilité du mineur puis sur la sanction, entrecoupées d'une période de mise à l'épreuve (CJPM 2021) ;
  • des mesures de justice restaurative peuvent être mises en œuvre (2014 puis CJPM 2021) ;
  • le travail d'intérêt général (TIG) a une place accrue (CJPM 2021).

Les textes qui l'ont modifiée ou complétée ont dans un premier temps renforcé l'esprit de l'ordonnance de 1945. Par la suite, ils ont atténué la portée de ses principes (excuse de minorité et primauté de l'éducatif). Le texte des lois s'est alors recentré sur le délit et la réponse – c'est-à-dire la sanction – à y apporter.

Par la suite, plusieurs lois portées par la ministre de la justice Christiane Taubira ont rétabli la portée de l'excuse de minorité et l'importance de l'éducatif.

Depuis le 30 septembre 2021, le code de la justice pénale des mineurs réaffirme les principes de l'ordonnance de 1945 mais fait de la procédure en trois étapes le temps de leur application. L'audience unique, instaurée par le nouveau code, devra ne rester qu'une exception afin de respecter l'esprit de la loi.

 

Décisions du Conseil constitutionnel et Convention internationale des droits de l'enfant

Le bloc de constitutionnalité aborde peu la question de l'enfance et pas du tout celle de la délinquance juvénile. La justice pénale des mineurs n'en doit pas moins être en conformité avec la Constitution.

Par ailleurs, la France a ratifié la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE), qui impose aux États signataires de se doter d'une justice qui protège les mineurs, quoi qu'ils aient fait. Le droit interne français doit s'y conformer.

Les décisions du Conseil constitutionnel

Trois décisions du Conseil constitutionnel ont conduit à conforter les principes de l'ordonnance de 1945 mais aussi à la modification de la justice pénale des mineurs.

La décision du 29 août 2002 énonce les principes de cette justice :

  • la responsabilité pénale doit être atténuée par l'âge ;
  • le relèvement du mineur délinquant doit être recherché au travers de mesures éducatives prononcées par une juridiction spécialisée.

Le Conseil constitutionnel a toutefois explicitement reconnu que les principes et les règles qui encadrent le droit pénal sont applicables aux mineurs.

Cette décision donne néanmoins au particularisme de la justice pénale des mineurs une assise constitutionnelle.

La décision du 8 juillet 2011 apporte une réponse à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Les fonctions du juge des enfants ne respectaient pas le principe d'impartialité des juridictions, puisqu'il pouvait à la fois instruire une affaire et présider le tribunal.

La loi du 26 décembre 2011 permet l'application de cette décision : "Le juge des enfants qui a renvoyé l'affaire devant le tribunal pour enfants ne peut présider cette juridiction."

En 2021, une nouvelle QPC conteste ces mêmes dispositions. Selon la décision du 26 mars 2021, "en permettant au juge des enfants qui a été chargé d’accomplir les diligences utiles à la manifestation de la vérité de présider une juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines, les dispositions contestées méconnaissent le principe d’impartialité des juridictions".

L'article 40 de la Convention internationale des droits de l'enfant

Par ailleurs, le 7 août 1990, la France a ratifié la CIDE. Son article 40 requiert des États parties "d’établir un âge minimum au-dessous duquel les enfants seront présumés n’avoir pas la capacité d’enfreindre la loi pénale".

C'est pour répondre cette exigence que le CJPM introduit la présomption de non-discernement pour les mineurs de moins de 13 ans. Le critère de discernement, mis en lumière par l'arrêt "Laboube" de la Cour de cassation, permettait auparavant à la justice de déterminer si un mineur pouvait rendre compte de ses actes. Toutefois, le discernement du mineur doit toujours être apprécié par le juge. Les dispositions de la CIDE sont donc respectées à la lettre, mais cette présomption n'est pas absolue.

L'avis de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH)

Pour sa part, la CNCDH est une autorité administrative nationale indépendante ayant un rôle de conseil et de rapporteur, entre autres auprès du gouvernement et du Parlement. Ses avis ne sont pas contraignants.

Dans un avis du 9 juillet 2019 sur la réforme de la justice pénale des mineurs qui a produit le nouveau code, la CNCDH souligne :

  • la nécessité d’une réforme de la justice des enfants plus globale ;
  • qu'au regard de l’état actuel de la délinquance des mineurs, globalement stable, le durcissement de l’arsenal pénal ne se justifie pas ;
  • la nécessaire allocation de moyens éducatifs et financiers conséquents, sans lesquels il est impossible de mettre en œuvre les textes législatifs et les mesures proposés.

La CNCDH rappelle que la réforme de la justice pénale des mineurs doit se faire autour de quatre grands principes :

  • la prévention (en aidant les familles précaires) ;
  • la primauté de l'éducatif sur le répressif (l'accélération des procédures ne va pas dans ce sens) ;
  • une justice spécialisée (la protection judiciaire de la jeunesse doit retrouver ses compétences dans les matières pénale, civile et d'investigation) ;
  • si la présomption de non-discernement pour les mineurs de moins de 13 ans est une avancée, la CNCDH souligne "qu’un mineur peut faire preuve de discernement sans pour autant avoir conscience de la gravité de ses actes".

Il convient par ailleurs, selon elle, d'instaurer l’atténuation obligatoire de responsabilité de 16 à 18 ans.

Enfin, la CNCDH regrette que la procédure de l'ordonnance ait privé le Parlement d'un débat nécessaire sur une question importante.

Délinquance des mineurs : entre statistiques et sentiment d'insécurité

Depuis 1945, la justice pénale des mineurs a donc évolué entre deux positions qui ont établi des principes ou imposé des tournants répressifs : protéger ou réagir, face à une réalité, celle de la délinquance juvénile, qui évolue.

La seule lecture du sommaire du rapport de 2002 sur la délinquance des mineurs, déposé au Sénat, permet de le replacer dans le contexte du début des années 2000, entre débats sur l'insécurité et tournant répressif de la justice pénale des mineurs : "Des mineurs délinquants plus jeunes et plus violents", "Une évolution préoccupante", "Un phénomène éternel ?", "L'oppression quotidienne", etc.

Le rapport s'appuie sur les statistiques des services de police et de gendarmerie. Le pourcentage de mineurs mis en cause a augmenté de 20,4% entre 1972 et 1992 et de 79% entre 1992 et 2001. Entre 1993 et 1994, ce chiffre augmente de 17,7%.

Toutefois, selon un rapport de la Direction centrale de la police judiciaire de 2007, entre 1972 et 2001, le nombre de crimes et délits constatés, sans faire de distinction d'âge, passe de 1 675 507 à 4 061 792 (+142,5%). Les chiffres de la délinquance juvénile sont à replacer dans le contexte d'une augmentation générale des faits de délinquance tous âges confondus. Selon ce même rapport, si la part des mineurs mis en cause augmente entre 1996 et 1998, elle connaît une baisse quasi continue entre 1999 et 2006. Or, 2007 est l'année de la loi Dati sur la prévention de la délinquance, qui instaure des peines-planchers et des exceptions à l'excuse de minorité.

Par ailleurs, selon le rapport de 2019 sur la justice des mineurs, la délinquance juvénile est relativement stable à l'échelle nationale. Elle connaît même une baisse entre 2016 et 2017 (-7,4%). La baisse globale de la délinquance durant la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 reste cependant encore à analyser.

Malgré cette stabilité, le rapport souligne un accroissement du taux de réponse pénale accompagné d'une plus grande sévérité des décisions. Le nombre de mineurs placés en détention a augmenté de 10,3% entre 2016 et 2017. Toutefois, le taux de récidive est faible.

Les rapporteurs expliquent la situation par "une transformation de la nature de la délinquance juvénile". L'aggravation des infractions commises et le rajeunissement de leurs auteurs sont soulignés.

La délinquance juvénile tend à une double concentration :

  • concentration spatiale dans les quartiers défavorisés ;
  • concentration de la commission des actes par un nombre restreint de mineurs.

Enfin, la délinquance juvénile est perçue via "la surmédiatisation des faits graves commis par les mineurs" et son "impact en termes de troubles à l'ordre public".

Cette évolution de la délinquance juvénile engendre un accroissement des audiences devant le tribunal pour enfants. Les délais de jugement ont donc été considérablement allongés. C'est ce problème que le CJPM tente de régler en fixant des délais de procédure. Néanmoins, certains professionnels de la justice sont inquiets devant le manque de moyens. Accélérer la procédure dans ces conditions risquerait, selon eux, de conduire à une justice potentiellement expéditive, qui perdrait de vue la nécessité de protéger les mineurs.