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États-Unis : en quoi consiste la procédure de destitution (impeachment) ?

Temps de lecture  8 minutes

Par : La Rédaction

Donald Trump a été le quatrième président des États-Unis à faire l’objet d’un procès en destitution (impeachment). En quoi consiste cette procédure juridique exceptionnelle, qui n’a pas jamais abouti, et dont l’objet est d’empêcher l’émergence d’un despotisme ?

Une particularité anglo-saxonne… mais pas seulement

Depuis la Magna Carta, ou Grande Charte, et ses prolongements en 1354, le droit anglo-saxon a intégré le principe d’égalité devant la loi et de contrôle des actions du souverain. Selon les principes constitutionnels britanniques, une procédure de destitution, l’impeachment, permet depuis de destituer pour trahison ou faute grave tout serviteur de l’État ou ministre, à l’exception notable du roi.

Lors de la proclamation des États-Unis d’Amérique, les pères fondateurs étendent, dans la Constitution, la procédure de destitution (impeachment) au chef de l’État. L’article II, section 4 dispose ainsi que "le président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils des États-Unis seront destitués de leurs fonctions en cas de mise en accusation et de condamnation pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs". Sans autre précision sur les motifs d’accusation, la Constitution américaine adopte une interprétation volontairement large dont l’objectif est essentiellement de parer à tout despotisme.

Attribut du droit anglo-saxon, au premier chef de la Grande-Bretagne et des États-Unis, la procédure de destitution a par la suite été inscrite dans d’autres constitutions comme celles du Pérou, du Venezuela, de la Lituanie, de la Corée du Sud et du Brésil – les chefs d’État brésilienne Dilma Roussef et sud-coréenne Park Geun-Hye ont récemment été destituées de leur fonction, respectivement en 2016 et 2017.

En France, absente du droit sous les IIIe et IVe Républiques, la procédure de destitution du président de la République a été introduite dans la Constitution de la Ve République en cas de haute trahison. La révision constitutionnelle de 2007 en a étendu les termes au cas de "manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat" (Loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la Constitution).

L’impeachment a été utilisé pour la première fois aux États-Unis en 1797. S’il est présent au niveau fédéral, il existe également dans chacun des États américains, hormis l’Oregon. À ce niveau, il peut concerner tout fonctionnaire, y compris le gouverneur.

La procédure entre les deux chambres

L’engagement de la procédure d’impeachment et le vote de la mise en accusation sont du ressort exclusif de la Chambre des représentants. En l’absence de détails sur la procédure, l’acte de mise en accusation est adopté à la majorité simple, comme pour une loi ordinaire.

Le procès se tient devant le Sénat qui a seul le pouvoir de juger un impeachment (article I, section 3). Les sénateurs prêtent serment et sont pour l’occasion – et seulement si c’est le président qui est jugé – présidés par le Chief Justice, le président de la Cour suprême (tribunal en dernier ressort des États-Unis).

Puisque le terme de "procès" (trial) a été employé dans la Constitution par les pères fondateurs, la procédure d’impeachment prend la forme d’un procès classique. Des débats contradictoires se déroulent entre la Chambre des représentants, en tant que procureur – elle est représentée par des impeachment managers – et les sénateurs, en tant que juges. La défense est assurée par des avocats représentant la personne mise en accusation.

L’acte d’accusation et la charge de la preuve incombent donc à la Chambre des représentants. Le Sénat vote à l'issue de la procédure et la destitution est prononcée si la majorité des deux tiers des membres présents est atteinte.

Une procédure constitutionnelle et non politique

En vertu de la conception américaine de séparation des pouvoirs, la procédure de destitution est de nature juridique. Elle n’est en aucun cas une sanction politique. De ce fait, les fonctionnaires destitués ne peuvent par exemple pas être graciés par le président des États-Unis.

En outre, le verdict d’un impeachment peut seulement être la destitution de l’accusé et l’interdiction d'occuper tout poste officiel (article I, section 3). Seuls les tribunaux peuvent, une fois l’accusé déchu, le juger pour ses actes et le condamner aux peines prévues par la loi.

Vers la banalisation d’une procédure exceptionnelle ?

Depuis l’indépendance des États-Unis, une soixantaine de procédures d’impeachments ont été engagées, vingt mises en accusation ont été votées par la Chambre des représentants. Elles concernaient quinze juges fédéraux, un secrétaire du Cabinet d’État, un sénateur ainsi que trois présidents.

Procédure exceptionnelle en soi, l’impeachment l’est plus encore lorsqu’il vise le président des États-Unis. Le premier président concerné a été Andrew Johnson dont la politique d’apaisement avec les anciens États confédérés vaincus lui avait aliéné les républicains radicaux. En 1868, accusé d’avoir violé une loi votée par le Congrès, la Chambre des représentants vote sa mise en accusation pour violation de cette loi. Au Sénat, Andrew Johnson est toutefois acquitté : malgré les 35 voix qui se prononcent pour sa culpabilité contre 19 pour l’acquittement, ses adversaires n’atteignent pas, à une voix près, la majorité des deux tiers.

En 1974, après l’affaire des écoutes du Watergate une procédure d’impeachment vise Richard Nixon. Ses chances d’être acquitté au Sénat paraissant très faibles, le président préfère alors démissionner avant la saisine du Sénat.

En 1998, Bill Clinton est également mis en accusation pour mensonges sous serment devant un grand jury fédéral et entrave à la justice après l’affaire  Monica Lewinsky, une collaboratrice avec laquelle il aurait eu des relations sexuelles durant son mandat au sujet desquelles il aurait menti. La Chambre à majorité républicaine engage la procédure de destitution devant le Sénat qui, à majorité démocrate, écarte largement l’accusation.

En décembre 2019, Donald Trump a été mis en accusation (impeached) après un vote favorable de 230 voix pour et 198 voix contre. Un double motif a été retenu : "abus de pouvoir", en référence à l’affaire ukrainienne, et "entrave aux travaux du Congrès" après son refus de collaborer à l’enquête le visant. Rappelons que les démocrates accusaient Donald Trump d'avoir fait pression sur son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky afin qu'il lance une enquête sur son rival Joe Biden, candidat à l'investiture démocrate pour l'élection présidentielle de 2020, et sur son fils.

Le 5 février 2020, le président a été acquitté par les sénateurs au terme d’un procès conduit rapidement. Lors d’un vote solennel, le Sénat a estimé, par 52 voix sur 100, que Donald Trump ne s’était pas rendu coupable d’abus de pouvoir. Par 53 voix sur 100, il a également estimé qu’il ne s’était pas rendu coupable d’entrave à la bonne marche du Congrès.

La fin du XXe siècle et le début du XIXe siècle sont donc marqués par la résurgence de l’impeachment. Divers enseignements peuvent en être tirés. L’affaire Clinton montre que la nature des faits compte : pour preuve son rapide acquittement pour un scandale qui n’est pas politique mais bien une affaire de mœurs. En outre, bien que l’impeachment ne soit pas censé être une arme politique, les présidents sont le plus souvent soutenus au Sénat par leur parti et, en l’espèce, Donald Trump n’a pas échapper pas à la règle.

Le procès en destitution de Donald Trump détourne-t-il cet outil constitutionnel de son objectif premier, à savoir éviter l’émergence d’une tyrannie au sommet de la démocratie américaine ? Dans le contexte de radicalisation des partisans comme des adversaires de Donald Trump – certains représentants démocrates ont appelé à sa destitution dès son élection –, la récente procédure a créé un précédent qui pourrait transformer la disposition de l’impeachment en une sorte d’habitude. Et, dans quelques années, les parlementaires républicains à leur tour pourraient trouver une occasion d’engager une procédure de destitution contre un prochain président démocrate.