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La mission de garde, première mission de l'administration pénitentiaire

Temps de lecture  15 minutes

Par : La Rédaction

Prendre en charge les personnes condamnées ou en attente de jugement, exécuter les peines, assurer la sécurité des détenus et du personnel pénitentiaire... La mission de garde de l'administration pénitentiaire confère à la sécurité un rôle central. Elle doit composer avec la surpopulation carcérale.

Le parc pénitentiaire

Au 1er janvier 2022, le parc pénitentiaire compte 187 établissements : 81 maisons d’arrêt, 99 établissements pour peine, six établissements pénitentiaires pour mineurs et un établissement public de santé national à Fresnes. le parc pénitentiaire a connu un changement majeur à la fin des années 1980, avec l’arrivée de prisons d’un type nouveau.

En 1986, Albin Chalandon, garde des Sceaux, souhaite lancer rapidement un important programme de construction de prisons pour répondre à la situation préoccupante de la surpopulation carcérale et à la vétusté de nombreux établissements. Pour ce faire et compte tenu des contraintes budgétaires, il propose, dans le cadre du projet de loi sur le service public pénitentiaire, de confier entièrement ces nouvelles prisons au secteur privé. À l’issue du débat parlementaire, le projet aboutit à une solution médiane : la "gestion déléguée". La construction et une partie de la gestion des prisons peuvent être déléguées au secteur privé, les fonctions de direction, de greffe et de surveillance restent assurées par l’administration pénitentiaire.

En 1988, le programme "13 000" pour la construction de nouvelles places de prison est lancé. Il conduit à la construction, en moins de quatre ans, de 25 établissements, dont 21 sont à gestion déléguée (portant sur les prestations d’hôtellerie, de restauration, de maintenance et de nettoyage des locaux, du travail des détenus, etc.).

À la suite de ce programme, d’autres, qui font tous appel à la gestion déléguée, vont suivre :

  • en 1995, le programme "4 000" (achevé fin 2004) ;
  • en 2002, le programme "13 200" avec l’introduction de partenariats public-privé (révisé depuis et achevé en 2017) ;
  • en 2004, le dispositif d’accroissement des capacités de près de 3 000 places ;
  • en 2011, le "nouveau programme immobilier" de 7 500 places qui prévoit de doter le parc pénitentiaire de plus de 70 000 places en 2018, revu en 2012 à environ 63 500 places d’ici 2022 ;
  • en 2014, le programme "3 200" dont la livraison est prévue en 2023.

Lors de la campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron s‘est engagé à mettre en œuvre un nouveau programme immobilier pénitentiaire de "15 000 places" sur 10 ans. Il s'agit de créations nettes (construction de 18 000 places et fermeture d'établissements qui ne sont plus adaptés). Pour accélérer la réalisation de ce programme, la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit un investissement de 1,7 milliard d'euros et facilite certaines procédures, notamment d’urbanisme.

Ces programmes n’ont cependant pas permis de résoudre le problème chronique de la surpopulation carcérale. Si 33 300 places ont bien été inaugurées sur la période 1988-2016, les établissements pénitentiaires ont vu leur capacité croître de seulement 28 000 places, du fait des fermetures concomitantes des établissements les plus dégradés. En outre, la réalisation de ces programmes immobiliers au coût élevé s’est faite au détriment de la maintenance et de la rénovation du parc pénitentiaire existant encore largement vétuste.

Les différents établissements pénitentiaires

  • Maison d'arrêt : reçoit les personnes en détention provisoire et les condamnés à une peine inférieure à deux ans
  • Centre de détention : accueille les détenus condamnés à une peine supérieure à deux ans
  • Maison centrale : accueille les détenus condamnés à de longues peines avec un régime de détention axé essentiellement sur la sécurité
  • Centre pénitentiaire : établissements mixte comprenant au moins deux quartiers de détention à régimes différents (maison d'arrêt, centre de détention et/ou maison centrale)
  • Centre de semi-liberté : reçoit les condamnés admis en semi-liberté ou de placement à l'extérieur
  • Etablissement pénitentiaire pour mineurs: accueille les jeunes détenus (13 à 18 ans) et place l'éducation au centre de la prise en charge

Au 1er décembre 2021, l’administration pénitentiaire dénombre 69 992 détenus pour 60 775 places (contre 63 189 détenus pour 53 182 places en 2009). Après des années de hausse constante, le nombre de détenus semble avoir atteint un palier autour de 70 000. La crise sanitaire 2019-2021 a fortement influencé l'évolution du nombre de détenus : de 70 739 détenus au 1er janvier 2020, leur nombre est passé à 58 109 six mois plus tard pour ensuite remonter constamment pour atteindre de nouveau 69 992 détenus le 1er décembre 2021.Cette fluctuation s'explique notamment par une baisse de la délinquance pendant le premier confinement et un ralentissement de l'activité judiciaire, ainsi que par des libérations anticipées pour les fins de peine afin de limiter la propagation du Covid-19.

Dans son rapport annuel 2021 publié le 2 juin 2022, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) met en évidence "l'inacceptable retour de la surpopulation carcérale à son niveau d'avant la crise sanitaire". La CGLPL Dominique Simonnot écrit que 1600 détenus dorment sur des matelas au sol. Le taux d'occupation des maisons d'arrêt atteint 139% au 1er avril 2021. Pour la CGLPL, il faut mettre en place un système de régulation carcérale dans chaque juridiction. L'objet de ce dispositif serait d'examiner périodiquement la situation de la population pénale afin de veiller à ce que le taux d'occupation d'un établissement ne dépasse jamais 100%. La CGLPL demande aussi d'inscrire dans la loi l'interdiction générale d'héberger des personnes détenues sur des matelas au sol.

    Depuis 2009, la population carcérale a augmenté de plus de 10%.

    Plusieurs facteurs sont avancés pour expliquer l’inflation carcérale :

    • le recours fréquent à la détention provisoire (près d'un tiers de la population incarcérée au 1er juillet 2019) ;
    • l’augmentation du nombre de condamnations à de la prison ferme pour les courtes peines (et ce malgré la consécration par la loi pénitentiaire de 2009 du principe de subsidiarité de la peine d’emprisonnement en matière correctionnelle) ;
    • la fin des lois d’amnistie et des grâces présidentielles collectives en 2007 ;
    • l’allongement des peines prononcées, conséquence de lois toujours plus répressives (par exemple les peines planchers en 2007). La durée moyenne en détention a ainsi plus que doublé en 35 ans : elle est passée de 4,6 mois en 1980 à 10,3 mois en 2014 ;
    • la politique même de construction de nouveaux établissement peut aussi conduire à un recours plus fréquent à des peines de prison.

    Le principe de l’encellulement individuel

    L’état de surpopulation du parc pénitentiaire pose inévitablement la question de l’encellulement individuel. Moins de la moitié des détenus en bénéficient. Au 1er juillet 2021, le taux d’encellulement individuel tout établissement pénitentiaire confondu était de 44,1%.

    Ce principe, institué en 1875, n’a jamais réussi à être pleinement mis en œuvre. Il est réapparu dans le débat public en 2000 à la suite du livre de Véronique Vasseur "Médecin-chef à la prison de la santé" et des rapports des deux assemblées qui ont suivi la même année sur les prisons. Depuis, plusieurs lois l’ont réaffirmé mais ont, à chaque fois, différé son application :

    Dans un rapport du 20 septembre 2016 relatif à l’encellulement individuel, Jean-Jacques Urvoas,  garde des Sceaux, avait proposé de renforcer le parc pénitentiaire en soulignant "l’immensité du chemin à parcourir" pour parvenir à l’encellulement individuel. Les établissements pour peine respectent très souvent le principe de l’encellulement individuel mais, dans les maisons d’arrêt, moins de 20% des détenus sont affectés en cellule individuelle.

    Pour Adeline Hazan, Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) entre 2014 et 2020, les programmes immobiliers pénitentiaires sont "une fuite en avant". Elle considère que "la résorption de la surpopulation pénale et l’atteinte de l’objectif de l’encellulement individuel ne sauraient résulter de mesures immobilières". Elle propose d'inscrire dans la loi "un mécanisme national de régulation carcérale" (rapport thématique relatif à la surpopulation carcérale publié en février 2018).

    D'autres considèrent, comme le chercheur, Pierre-Victor Tournier, que l’encellulement individuel ne saurait à lui seul résoudre toutes les difficultés de la prison et qu'il convient d'investir dans l'enseignement, la formation professionnelle, le travail, les activités culturelles, etc. des détenus afin de faciliter leur réinsertion sociale.

    La sécurité en prison

    La mission de sécurité de l’administration pénitentiaire consiste à assurer une sécurité optimale dans les établissements pénitentiaires, en prévenant les évasions, les mutineries, les violences et les dégradations mais aussi les suicides. Elle repose sur la sécurité passive (comme l’architecture des bâtiments et les équipements matériels) et la sécurité active (gestes et formation des personnels, suivi des détenus dangereux, etc.).

    De nombreuses réformes ont marqué l’ordre carcéral, suivant l’évolution de la délinquance, des mentalités et des progrès technologiques.

    Quelques dispositifs importants méritent d’être mentionnés. Ainsi, en 1967, la catégorie des détenus particulièrement signalés (DPS), destinée à l’origine aux condamnés pour grand banditisme, est apparue. En 1972, la procédure disciplinaire est réformée et certaines sanctions avilissantes supprimées. En 1975, les quartiers de haute sécurité (QHS) voient le jour avant d’être fermés en 1982. En 2002, le brouillage des téléphones portables dans les prisons est autorisé. En 2003, les équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS) ainsi que le renseignement pénitentiaire sont mis en place. En outre, la construction des prisons s’appuie depuis 1987 sur des règles de sécurité maximale, reposant sur une technologique omniprésente (multiplication des caméras, des sas, etc.).

    En 2009, la loi pénitentiaire consacre plusieurs articles à la sécurité en définissant les droits des prisonniers et les pouvoirs de l’administration : droit du détenu à sa sécurité, règlements intérieurs types des établissements, régimes disciplinaires, de l’isolement, des fouilles, caméras de surveillance dans les espaces collectifs, etc.

    En juin 2013, à la suite d'une évasion à la maison d’arrêt de Sequedin (Nord), un plan de renforcement de la sécurité en prison, doté de 33 millions d’euros de crédits, est lancé. En complément, une note sur les détenus particulièrement signalés vient repréciser les modalités de leur prise en charge.

    À la suite des attentats de 2015, l’exigence de sécurité en prison s’accentue encore. Les plans d’action de lutte contre le terrorisme (PLAT) de janvier et de novembre 2015 prévoient un volet pénitentiaire : généralisation des brouilleurs de haute technologie des téléphones portables en prison, création de cinq unités dédiées aux détenus radicalisés dénommées unités de prévention de la radicalisation (UPRA), renforcement des effectifs et des crédits pénitentiaires, professionnalisation et augmentation du nombre d’aumôniers musulmans dans les prisons, mise en place d’un fichier recensant les prévenus ou condamnés pour terrorisme. Ce fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT) est instauré par la loi relative au renseignement du 24 juillet 2015.

    Le 9 mai 2016, le plan d’action contre la radicalisation et le terrorisme (PART) évoque également les mesures sur la radicalisation en milieu pénitentiaire. Ce plan a précédé la publication de la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement. Cette loi renforce le renseignement pénitentiaire qui est désormais rattaché au "2e cercle" de la communauté du renseignement, donne une assise légale aux unités dédiées aux détenus radicalisés et durcit le régime des fouilles intégrales défini en dernier lieu par la loi pénitentiaire de 2009.

    La loi sur l’état d’urgence et de lutte antiterroriste du 21 juillet 2016 donne une base légale à la vidéosurveillance dans les cellules des prévenus pour crimes "dont l’évasion ou le suicide pourrait avoir un impact important sur l’ordre public". La loi reprend et complète l’arrêté du 9 juin 2016 qui a permis l’installation de caméras dans la cellule de Salah Abdeslam, seul survivant présumé du commando terroriste du 13 novembre 2015.

    Le plan de sécurisation des prisons, présenté par le garde des Sceaux, Jean-Jacques Urvoas, le 25 octobre 2016, aboutit à la création début 2017 d’une sous-direction de la sécurité pénitentiaire à la direction de l’administration pénitentiaire et d’un bureau central du renseignement pénitentiaire en son sein (devenu en juin 2019 le service national du renseignement pénitentiaire -SNRP-, un service à compétence nationale). 58,6 millions d’euros sont prévus pour poursuive la sécurisation des prisons. Le plan contient par ailleurs plusieurs mesures sur les détenus radicalisés comme la fermeture des unités dédiées aux détenus radicalisés et leur remplacement par des quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER).

    Des UPRA aux QER

    Les quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER) ont remplacé les unités de prévention de la radicalisation (UPRA) qui visaient à regrouper les détenus radicalisés. Après l'agression de deux surveillants à la prison d'Osny (Val-d'Oise) en septembre 2016, on a reproché aux UPRA de favoriser un climat de violence. L'administration pénitentiaire a conclu qu'avant de prendre en charge les détenus considérés comme radicalisés, il était d'abord nécessaire d'évaluer le degré de leur radicalisation. C'est la vocation des QER, dont le premier a ouvert en février 2017 à la prison d'Osny ; il en existe désormais sept.
    À l'issue du séjour en QER, les détenus sont placés soit en détention ordinaire, soit à l'isolement, soit dans des quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR).

    Dans le cadre du plan national de prévention de la radicalisation présenté par le Premier ministre le 23 février 2018, de nouvelles mesures ont été annoncées ("quartiers étanches" pour les détenus les plus dangereux, programmes de prévention de la radicalisation violente en prison).

    Un bilan de ce plan a été dressé le 11 avril 2019, lors du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Sept quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER) sont en fonctionnement en 2021 (chacun disposant de 12 places), dont un réservé aux femmes radicalisées (à Fresnes, 8 places). Six quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR) pour les détenus les plus prosélytes ou potentiellement violents sont opérationnels (à Lille-Annoeullin, Condé-sur-Sarthe, Paris - La Santé, Aix-Luynes, Nancy et, le plus récent, Bourg-en-Bresse, ouvert en juin 2021), soit 189 places au total.

    79 établissements développent des programmes de prévention de la radicalisation violente (PPRV). Sur le court terme, 450 "places étanches" sont réservées pour les détenus les plus dangereux, l'objectif est de porter ce nombre à 1 500 places. En outre, quatre centres de prise en charge en milieu ouvert des personnes radicalisées ou en voie de radicalisation ont ouvert ou vont ouvrir. 

    Depuis 2017, le nombre de personnes incarcérées pour des faits de terrorisme islamiste oscille autour de 500, quelque 1 100 détenus de droit commun sont identifiés comme radicalisés (ils étaient 700 en 2015).
    Au 6 janvier 2020, la situation était la suivante :

    • 525 personnes incarcérées pour des faits en lien avec le terrorisme islamiste :  454  hommes,  71  femmes.  223  étaient condamnées, 272 prévenues.; parmi ces personnes, une était mineure ;
    • 904 personnes incarcérées pour des faits dits "de droit commun" étaient suivies par l'administration pénitentiaire au titre de leur ancrage dans un mouvement de radicalisation  islamiste  violente : 893 hommes, 11 femmes. 662 étaient condamnées, 187 prévenues. 5 étaient mineures ;
    • 52 personnes classées "terroriste islamiste" étaient placées en quartier d'évaluation de la radicalisation (QER) (soit 9% de ce public) ; 55 en quartier de prise en charge de la radicalisation (QPR) (10,5%), 80 en quartier d'isolement (15%).

    Quant  aux mesures pour renforcer la sécurité dans les prisons, le budget 2019 de la justice et à la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018 - 2022 et de réforme pour la justice prévoient 150 millions d’euros (lutte anti-drones, etc.). 159 nouveaux emplois sont aussi programmés pour consolider le renseignement pénitentiaire, déployer les équipes locales de sécurité et mettre en place les extractions judiciaires de proximité. 

    Le 25 février 2022, Laurent Ridel, directeur de l'administration pénitentiaire, a présenté un vaste plan de sécurisation des établissements pénitentiaires, déployé sur une quarantaine d'établissements. En 2022, le budget du ministère de la justice consacre 135,6 millions d'euros à la protection des domaines pénitentiaires et des personnels des intrusions et dégradations. Le plan comprend aussi la lutte contre les drones malveillants, le brouillage des communications illicites et l'installation de nouvelles clôtures, portails et protections contre les projections.