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La politique de défense au travers des lois de programmation militaire

Temps de lecture  16 minutes

Par : La Rédaction

L’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que les lois de programmation militaire déterminent les objectifs de la politique de défense et les moyens financiers qui lui sont consacrés. Depuis 1958, les lois de programmation militaire se succèdent, s’inscrivant dans une logique de planification financière.

Les lois de programmation militaire (LPM) ont pour objet d’établir une programmation pluriannuelle des dépenses de l’État en matière militaire, à un horizon compris entre quatre et sept ans.

Elles sont précédées par la publication d’un Livre blanc qui pose les grandes orientations stratégiques de la défense française. De 1972 à 2013, quatre Livres blancs ont été publiés. La loi de programmation militaire 2019-2025 s’appuie sur la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale remise au président de la République le 13 octobre 2017. À la suite de la pandémie de Covid-19 et face à la complexité de la situation géostratégique, il est apparu opportun d'effectuer une actualisation en 2021 de la revue stratégique.

Les enjeux liés aux lois de programmation militaire de 1994 à 2017

La politique de défense de la France exprime une stratégie d’engagement des forces et celle de son industrie d’armement. Les lois de programmation militaire doivent concilier l’impératif constitutionnel de voter un budget annuel et la nécessité d’un engagement sur le long terme (investissements, mise au point et acquisition de systèmes d’armes).

La première loi de programme de la Vᵉ République, du 8 décembre 1960, accompagne la mise en œuvre de la dissuasion nucléaire.

À partir de 1976, les lois portent “approbation de la programmation militaire” ou sont désignées comme “lois de programmation” (1987, 1990). Par la suite, la dénomination couramment utilisée sera celle de loi de programmation militaire (LPM).

La réévaluation des grands choix stratégiques de 1994

Les choix stratégiques posés par le Livre blanc de la défense de 1994 découlent d’une situation inédite. Depuis la disparition du pacte de Varsovie en 1991, les frontières de la France ne semblent plus directement menacées par quelque ennemi que ce soit.

Ce deuxième Livre blanc sur la défense (après celui de 1972) vise à adapter les capacités de la dissuasion et à définir le rôle des forces conventionnelles face à ce nouveau contexte international. Il définit la notion d'autonomie stratégique et conduit à la professionnalisation des armées en 1996.

Partant des priorités définies dans le Livre blanc sur la défense, le projet de LPM 1995-2000 présenté en conseil des ministres le 20 avril 1994 prévoit d’augmenter annuellement les crédits d’équipement de 0,5%, tandis que les effectifs passent de 606 000 à 579 500. L’application de ce texte est suspendue en 1995 par le Premier ministre Alain Juppé, qui annonce la préparation d’un nouveau projet de programmation militaire.

La loi de programmation militaire 1997-2002 : vers le “modèle d'armée 2015”

La loi du 2 juillet 1996 relative à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002 se fixe pour ambition la professionnalisation des armées, la restructuration des industries de défense, la modernisation des équipements, une politique de défense fondée sur l’Union européenne et l’OTAN. Elle est la première des trois lois de programmation devant conduire au modèle d’armée 2015.

Dans ses conclusions, le rapport du Sénat sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002 soulignait les difficultés de mise en œuvre de la réforme envisagée : politique de recrutement des engagés, réduction des crédits d’équipement et des coûts de réduction des programmes, ainsi que l’impact des restructurations industrielles.

La loi de programmation militaire 2003-2008 : la mise en place de l’armée de métier

La loi de programmation militaire 2003-2008 adoptée le 27 janvier 2003 prévoit un accroissement de l’effort de défense de la France et la modernisation des équipements des forces armées.

La LPM 2003-2008 s’inscrit dans le cadre de la mise en place du “nouveau modèle d’armée 2015” marqué par la professionnalisation des armées entamée en 1996.

Les effectifs des armées, directions et services sont fixés à 446 600 en 2008. Pour atteindre cet objectif, un fonds de consolidation de la professionnalisation est constitué afin d’assurer l’attractivité des métiers militaires et la fidélisation du personnel à forte qualification.
Dans son bilan de l’exécution de la LPM 2003-2008, la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale porte un jugement “sévère” sur son exécution. Elle plaide notamment en faveur d’un contrôle parlementaire accru de l’exécution de la future LPM, compte tenu notamment des engagements croissants en opérations extérieures (OPEX).

La loi de programmation militaire 2009-2014 et sa réactualisation

Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, publié le 17 juin 2008 tire les enseignements des attentats du 11 septembre 2001. Il met l’accent sur l’effacement de la frontière entre les notions de défense et de sécurité nationale. Il définit une stratégie de défense destinée à apporter des réponses à “l’ensemble des risques et menaces susceptibles de porter atteinte à la Nation”.

La loi de programmation militaire 2009-2014 s’appuie sur ces conclusions. Elle prévoit la suppression de 54 000 postes (dont 46 500 postes de militaires) malgré le maintien d’une priorité budgétaire qui conduit à prévoir 185 milliards d’euros de dépenses en six ans pour la défense. Les économies budgétaires résultant des suppressions de postes doivent être réaffectées aux crédits d’équipements, notamment aux dépenses d’armement.

La LPM 2014-2019, nouveau contexte stratégique et attentats terroristes en France

La trajectoire initiale de la loi de programmation militaire 2014-2019

Prenant acte du changement de contexte stratégique, le président François Hollande demande, au lendemain de son élection en mai 2012, qu’un nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale soit rédigé.

Parmi les priorités de défense, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale publié le 29 avril 2013 met pour la première fois l’accent sur l’extension de la protection face aux cybermenaces. Il débouche sur la LPM du 18 décembre 2013.

Malgré un contexte budgétaire marqué par l’impératif de redressement des finances publiques, la LPM initiale prévoyait de maintenir le budget de la défense à son niveau d’alors durant trois ans, celui-ci augmentant en deuxième période, afin de donner à la France les moyens de mettre en œuvre le modèle d’armées retenu dans le Livre blanc.

Les travaux d’actualisation de la loi de programmation militaire sont avancés début 2015 en raison de la nette dégradation de l’environnement stratégique et opérationnel constatée depuis 2013.

L’atténuation de la distinction entre sécurité intérieure et défense nationale

Prenant en compte la nette dégradation de l’environnement stratégique et opérationnel, la loi d’actualisation de la LPM du 28 juillet 2015 traduit les décisions prises suites aux attaques de janvier 2015 : renforcement de la posture de protection nationale et garantie de la capacité des forces armées à faire face dans la durée à l’ensemble de leurs engagements opérationnels.

À la suite des attentats du 13 novembre 2015, de nouvelles orientations sont proposées pour permettre une adaptation des dispositifs de défense à l’existence de menaces se matérialisant par des actes de guerre perpétrés sur le sol national.

Dans le cadre de l’opération Sentinelle lancée en janvier 2015, 10 000 soldats (dont 3 000 en réserve) sont engagés sur le territoire national pour défendre et protéger les Français.

La situation implique, en même temps, d’accélérer les actions offensives sur les théâtres d’affrontements avec Daech et Al Qaïda en Irak puis en Syrie. Ces orientations sont traduites à l’occasion du conseil de défense du 6 avril 2016.

Cette actualisation s’élève à 162,4 milliards d’euros courants sur 2015-2019, soit une hausse de 3,8 milliards d’euros par rapport à la trajectoire initiale de la LPM 2014-2019.

Ce budget se caractérise par une “sécurisation des ressources”, désormais constituées de crédits budgétaires et des seules recettes extra-budgétaires issues des cessions immobilières et de matériels militaires - et non plus de ressources exceptionnelles.

Les travaux d’actualisation de la loi de programmation militaire conduits en 2015 marquent également un effort substantiel en faveur des équipements et des effectifs avec la préservation de 18 500 postes qui marque un coup d’arrêt à la “déflation” des effectifs.

La Revue stratégique de défense 2017 et la préparation de la loi de programmation militaire 2019-2025

Le projet de loi de programmation militaire 2019-2025 est présenté en conseil des ministres le 8 février 2018. Il s’inscrit dans le cadre fixé par la Revue stratégique, lancée par le président de la République le 29 juin 2017.

La Revue stratégique de défense et de sécurité nationale (2017)

En comparaison des deux derniers Livres blancs sur la défense et la sécurité nationale, celui de 2008 et celui de 2013, l’exercice 2019-2025 peut également paraître moins ambitieux, même si la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale s’apparente, de fait, à la catégorie des Livres blancs.

La Revue stratégique est destinée à fixer le cadre stratégique de l’élaboration de la prochaine loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025.

Confiée à la ministre des armées, Florence Parly, et issue des travaux du comité de rédaction composé d’une quinzaine d’experts, notamment issus des institutions civiles et militaires, la Revue stratégique est remise au président de la République le 13 octobre 2017.

Face à un contexte stratégique “en dégradation rapide et durable” et à de nouvelles formes de guerre et de conflictualité, le continent européen est exposé aux conséquences directes des crises, même les plus éloignées.

Pour la France, “la réponse à l’ensemble de ces défis sécuritaires passe prioritairement par une consolidation de son autonomie stratégique” reposant notamment sur le “maintien d’une base industrielle et technologique de défense performante”. Cette consolidation est par ailleurs “indissociable d’un soutien à la construction d’une autonomie stratégique européenne”.

Les objectifs de la LPM 2019-2025

Publiée le 14 juillet 2018, la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense trace une trajectoire de programmation des moyens militaires pour la période 2019-2025.

À Toulon le 19 janvier 2018, le président de la République prend l’engagement de porter la trajectoire des ressources de la LPM à 2% du produit intérieur brut en 2025, “avec des marches d’ores et déjà garanties de 1,7 milliard d’euros chaque année jusqu’en 2022, de 3 milliards d’euros en 2023”.

Le budget de la loi de programmation militaire pour 2019-2025

La France prévoit de consacrer 295 milliards d'euros à sa défense entre 2019 et 2025. Pour l’heure, 198 milliards d’euros de crédits sont “couverts de manière ferme” sur la période 2019-2023.

L'actualisation de la LPM

Une actualisation de la LPM était prévue en 2021 par son article 7, en fonction des chiffres de la croissance afin de confirmer les montants des années suivantes. Un rapport de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale déplore le refus du gouvernement d'actualiser la LPM et un dialogue de plus en plus difficile entre Parlement et gouvernement.

Selon un rapport de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, le contexte de pandémie de Covid-19 (baisse du PIB de 8,2% en 2020) et l'évolution du contexte géostratégique rendaient cette actualisation d'autant plus nécessaire. Le rapport souligne des "fragilités structurelles" de la LPM :

  • seules les cinq premières annuités (2019 à 2023) ont été votées ;
  • une incertitude programmatique pèse sur 97 milliards d'euros (2024 et 2025) ;
  • le rythme de progression des crédits est déséquilibré (+1,7 milliard d'euros par an jusqu'en 2022, +3 milliards d'euros par an de 2023 à 2025).

En 2022, les dépenses urgentes liées à la guerre en Ukraine (accueil des réfugiés et hausse des prix de l'énergie) sont dans un premier financées par une annulation de 0,8% des crédits de la mission "Défense". Ces crédits sont par la suite rétablis par la loi de finances rectificative du 16 août 2022. Si la loi de finances rectificative du 1er décembre 2022 annule de nouveau 92 millions d'euros de crédits sur la mission "Équipement des forces", un fonds spécial de 200 millions d'euros est créé pour l'équipement militaire de l'Ukraine.

La Revue stratégique, en revanche, a été actualisée en 2021 afin de tenir compte de la pandémie de Covid-19 et des évolutions géostratégiques.

La prise en charge des OPEX par le ministère des armées

Il est prévu une prise en charge progressive de l’intégralité du coût des opérations extérieures, jusqu’ici partiellement financé par les autres ministères. Le coût estimé de cette prise en charge est estimé à 1,1 milliard d’euros par an à partir de 2020. En 2019, les surcoûts non provisionnés des OPEX ont été couverts part une ouverture de crédits de 214 millions d'euros en loi de finances rectificative. Une rapport déposé au Sénat en novembre 2021 souligne que les provisions OPEX sont "chroniquement insuffisantes".

Les effectifs en légère croissance et l’amélioration de la condition militaire

Les effectifs du ministère des armées vont être portés à 275 000 à l’horizon 2025 avec la création de 6 000 postes, notamment dans les domaines de la cyberdéfense et du numérique (1 500), du renseignement (1 500), de la sécurité des sites sensibles (750) et du soutien à l’exportation (400).

Les dépenses liées aux conditions de travail et de vie des militaires doivent augmenter de 14% entre 2019 et 2023, avec la priorité donnée au petit équipement.

Le renouvellement des matériels des trois armes

173 milliards d’euros doivent être engagés pour les équipements et leur entretien :

  • programme Scorpion pour l’armée de terre (véhicules blindés) ;
  • 4 pétroliers ravitailleurs nouvelle génération et 19 patrouilleurs pour la marine nationale ;
  • renouvellement de la flotte d’avions ravitailleurs KC-135 par 15 A330 (dont 12 doivent être livrés en 2023).

La dissuasion nucléaire, le renseignement et la cyberdéfense, la recherche-développement

Avec l’inauguration par le président de la République du premier sous-marin nucléaire de dernière génération, baptisé Suffren, le 12 juillet 2019, le renouvellement des composantes (navale et aérienne) de la dissuasion est entreprise pour un budget estimé à 37 milliards d’euros entre 2019 et 2025.

Dans le domaine du renseignement et pour contribuer à l’autonomie stratégique européenne, un commandement de l'espace est créé par un arrêté du 3 septembre 2019. La défense et le renseignement spatial viennent compléter l’arsenal de satellites et de drones.

Le budget pluriannuel de la cyberdéfense, hors masse salariale, sera de 1,6 milliard d’euros entre 2019 et 2025. Le budget de recherche-développement des armées est porté à 1 milliard d’euros annuels.

Les scénarios de la Cour des comptes

La Cour des comptes a remis le 11 mai 2022 un rapport qui dresse le bilan des trois premières années de la LPM 2019-2025.

Les évolutions majeures intervenues depuis 2019 sont de nature à remettre en cause les ambitions de la LPM. Les ressources de la LPM n'ont pas été fixées au-delà de 2023 faute d'une actualisation à mi-parcours.

La Cour des comptes présente trois scénarios afin de respecter le Programme de stabilité 2021-2027, qui consiste à réduire le déficit public à moins de 3% du PIB à l'horizon 2027 :

  1. Confirmation de l'Ambition 2030. Poursuite de l'augmentation du budget de la défense ;
  2. Réduction homothétique des capacités des armées et des ambitions. Choix retenu par défaut en 2008 et en 2013, non sans dommage pour les capacités des armées. Risque de mise à mal de la cohérence du modèle ;
  3. Choix capacitaires. Comporte des renoncements probablement irréversibles.

Afin que ces choix fondamentaux soient effectués dans les meilleures conditions, le processus de décision du ministère des armées pourrait être amélioré par :

  • un renforcement des capacités d'anticipation à long terme ;
  • des revues stratégiques plus fréquentes ;
  • une meilleure information des décideurs politiques (Parlement) à mi-parcours des LPM ;
  • la poursuite de l'amélioration de la conduite des programmes d'armement.

La Revue nationale stratégique 2022, la préparation de la LPM 2024-2030 et le retour de la guerre de haute intensité

Dès 2017, la France choisit de réinvestir dans ses armées et de porter le budget de la défense à 2% du PIB d'ici à 2025.

Entre-temps, la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine ont confirmé les orientations et les projections de la Revue stratégique de 2017 : nécessité d'une souveraineté nationale et retour de la guerre de haute intensité sur le sol européen, en Ukraine.

Emmanuel Macron, dans une déclaration sur la politique de défense du 13 juillet 2022 annonce une nouvelle LPM 2024-2030 dans ce contexte géopolitique considérablement dégradé.

La Revue nationale stratégique 2022 qui précède la LPM apporte des éléments sur ses orientations. Dix objectifs stratégiques sont énoncés :

  1. Une dissuasion nucléaire robuste et crédible ;
  2. Une France unie et résiliente ;
  3. Une économie concourant à l'esprit de défense ;
  4. Une résilience cyber de premier plan ;
  5. La France, allié exemplaire dans l'espace euro-atlantique ;
  6. La France, un des moteurs de l'autonomie stratégique européenne ;
  7. La France, partenaire de souveraineté fiable et pourvoyeuse de sécurité crédible ;
  8. Une autonomie d'appréciation et une souveraineté décisionnelle garanties ;
  9. Une capacité à se défendre et à agir dans les champs hybrides ;
  10. Une liberté d’action et une capacité à conduire des opérations militaires y compris de haute intensité dans tous les champs (multimilieux et multichamps).