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Asile et immigration : les changements apportés par la loi du 10 septembre 2018

Temps de lecture  12 minutes

Par : La Rédaction

La loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, présentée par le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, a été promulguée le 10 septembre 2018. Depuis 1980, c’est la 28e loi sur l’immigration et l’asile.

La loi asile et immigration du 10 septembre 2018 a été mise en œuvre par étapes. Certaines dispositions sont entrées en vigueur dès le lendemain de la publication de la loi au Journal officiel. D'autres, principalement celles sur l'asile et la lutte contre l'immigration irrégulière, sont entrées en vigueur le 1er janvier 2019. Celles qui concernent le séjour, la nationalité et l'intégration sont entrées en vigueur le 1er mars 2019.

Des délais raccourcis pour le dépôt et le traitement des demandes d'asile

Réduire de onze à six mois la durée moyenne de traitement des demandes d’asile est un objectif de la loi. Pour l’atteindre, le texte réduit différents délais de la procédure administrative.

L’étranger ne dispose plus que de 90 jours (60 jours en Guyane), au lieu des 120 jours fixés par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, pour déposer sa demande d’asile une fois arrivé en France.

Passé ce délai, la situation du demandeur est examinée en procédure accélérée, une procédure dérogatoire dont les délais sont plus serrés. Elle se déroule avec un juge unique et n’ouvre pas un droit automatique à l’hébergement et à une allocation. Le Conseil constitutionnel a validé ces dispositions, considérant que la procédure accélérée "ne dispense pas l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) de procéder à un examen individuel de chaque demande dans le respect des garanties procédurales prévues par le législateur, le demandeur ayant le droit de se maintenir en France pendant l’examen de sa demande".

Le délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) contre les décisions de l’Ofpra qui instruit les demandes d’asile en première instance est maintenu à un mois (le projet de loi initial prévoyait un délai réduit à 15 jours). Mais les demandes d’aide juridictionnelle doivent être déposées dans un délai de quinze jours après notification de la décision de l’Ofpra sous peine de rejet et d’absence d’effet suspensif du recours (cela signifie que la personne pourra être expulsée du territoire français).

Lorsque la demande d’asile est présentée par un étranger qui se trouve en France accompagné de ses enfants mineurs, la demande est regardée comme présentée en son nom et en celui de ses enfants. Lorsqu'il est statué sur la demande de chacun des parents, la décision accordant la protection la plus étendue bénéficie aux enfants.

D'autres mesures concernent la procédure d’instruction. La langue d’échange peut être choisie par l’administration et la notification des décisions peut se faire sur tout support y compris par SMS ou par courriel. Dans le cadre des audiences devant le juge administratif relatives aux refus d’entrée au titre de l’asile, ou devant le juge judiciaire en cas de maintien en zone d’attente, la vidéo-audience devient le principe sans possibilité pour l’étranger de s’y opposer.

S’agissant des conditions d’accueil des demandeurs d’asile, la loi est modifiée pour que le schéma national d’accueil précise la part des demandeurs d’asile accueillis dans chaque région ainsi que la répartition des lieux d’hébergement qui leur sont destinés. Le schéma national est décliné en schémas régionaux d’accueil. À compter du 1er janvier 2019, les demandeurs d’asile ne sont plus libres de fixer leur domicile ou de circuler sans l’autorisation de l’Office de l’immigration et de l’intégration (OFII). En cas de non-respect de cette obligation, les conditions matérielles d’accueil sont automatiquement interrompues et l’instruction de la demande d’asile peut être close.

Durcissement des mesures d’éloignement, allongement de la rétention administrative

L’éloignement constitue, au titre de la lutte contre l’immigration irrégulière, un autre axe majeur de la réforme. La loi vise à sécuriser les obligations de quitter le territoire français (OQTF) après le rejet d’une demande d’asile et accentue le contrôle sur les personnes visées par une OQTF.

La durée de la rétention, un dispositif qui a vocation à permettre à l’administration d’organiser l’éloignement d’un étranger, est doublée et passe de 45 jours maximum à 90 jours.

Le texte entend faire de l’assignation à résidence, plutôt que de la rétention, la procédure de droit commun après une OQTF. Mais elle réduit en même temps le délai de départ volontaire de trente à sept jours.

S’agissant de la rétention des enfants, elle n’est pas interdite. La loi précise que le placement d’un enfant en rétention est possible s’il "accompagne un étranger placé en rétention".

Mineurs en détention

En 2012, 99 enfants avaient été placés en rétention en métropole, le nombre a notablement chuté en 2013 (41 enfants) et 2014 (45 enfants), pour remonter à partir de 2015 (105 enfants) et atteindre en 2016 le nombre de 182 enfants. En 2017, le nombre d’enfants placés en rétention administrative, en métropole, a atteint le chiffre record de 275 (source : Défenseur des droits – février 2018).

Le 22 juillet 2021, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la France, pour la huitième fois depuis 2012, pour non-respect de la Convention européenne des droits de l’homme en raison du placement en centre de rétention administrative, 11 jours durant, d’une mère et de sa fille, âgée de 4 mois, au mépris de l’intérêt supérieur de l’enfant.

À la suite de cette affaire, la Défenseure des droits, "très préoccupée par les atteintes aux droits fondamentaux des enfants causées par leur enfermement, réitère son opposition au placement des enfants étrangers en centre de rétention administrative et appelle une nouvelle fois le gouvernement et le Parlement à faire évoluer la législation pour proscrire, en toutes circonstances, cette mesure".

Le Conseil constitutionnel a validé le principe du placement en rétention des mineurs étrangers, "justifié par la volonté de ne pas le séparer de l’étranger majeur qu’il accompagne".

En vertu des accords de Schengen, le contrôle de l’entrée des étrangers sans papiers s’opère aux frontières extérieures de l’Union européenne (UE). La loi autorise cependant une pratique déjà mise en œuvre à la frontière franco-italienne, consistant à refuser l’entrée sur le territoire national à des étrangers sans papiers. Les personnes ainsi interceptées sont refoulées immédiatement, sans pouvoir bénéficier du délai de rigueur d’un jour franc.

La loi du 10 septembre 2018 sur le droit d'asile donne aussi à l’autorité administrative la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d’y mettre un terme en cas de condamnation pour des faits graves dans un autre pays de l’UE. Elle permet également d’assigner à résidence ou de placer en rétention des demandeurs d’asile présentant une menace pour l’ordre public.

Elle renforce la sanction du refus de relevé d’empreintes et de photographie, déjà passible d’une peine d’emprisonnement et d’amende, en permettant au juge pénal de prononcer une peine d’interdiction du territoire d’une durée n’excédant pas trois ans.

Le délit de solidarité subsiste avec quelques aménagements pour prendre en compte la décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2018 qui élève la fraternité au rang de valeur constitutionnelle. L’exemption des poursuites judiciaires était déjà prévue en cas de lien de parenté ou de lien conjugal. Il n’y avait pas non plus poursuites lorsque l’acte de solidarité (conseils juridiques, prestations de restauration, d’hébergement ou de soins médicaux) "n’avait donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte". Le nouveau texte étend l’exemption à l’aide à la circulation (transport des étrangers en situation irrégulière par les bénévoles et les associatifs).

Accueil des talents et des compétences, amélioration du droit au séjour des personnes vulnérables

Le texte porte le projet d’une immigration choisie qui attire les plus diplômés. Le passeport talent est étendu aux "salariés d’entreprises innovantes" ainsi qu’à toute personne "susceptible de participer au rayonnement de la France". Il favorise la mobilité des étudiants et chercheurs entre leur pays d’origine et la France.

La loi étend la carte de séjour pluriannuelle (4 ans) "passeport talent" mise en place par la loi du 7 mars 2016. Elle est désormais délivrée notamment aux membres de la famille (conjoint et enfants) du titulaire de la carte qui n’ont plus à passer par la procédure du regroupement familial. Le visa de long séjour est toutefois exigé pour la première délivrance de ces cartes.

Transposant deux directives de mai 2016, la loi crée de nouveaux titres de séjour temporaire pour certaines catégories d’étudiants et de chercheurs (carte recherche d’emploi ou création d’entreprise, carte de séjour étudiant, etc.). Elle crée aussi une carte de séjour jeune au pair. Une convention conclue entre le titulaire de cette carte et la famille d’accueil définit les droits et obligations des deux parties (modalités de subsistance, de logement, d’assurance, permettant au jeune de suivre des cours, etc.).

La loi comprend des dispositions visant à améliorer la situation des victimes de violences conjugales ou familiales. En cas de condamnation définitive du conjoint, concubin ou pacsé pour violences, l’étranger titulaire d’une carte de séjour temporaire vie privée et familiale se voit délivrer de plein droit une carte de résident. De même, les personnes victimes de la traite ayant déposé plainte ou témoigné contre les auteurs d’infractions de proxénétisme ou de traite d’êtres humains pourront bénéficier d’une carte de résident après cinq années de présence en France sous couvert d’une carte de séjour temporaire "vie privée et familiale".

Les bénéficiaires de la protection subsidiaire (une protection complémentaire au statut de réfugié qui représente 42% des décisions d’accord Ofpra et CNDA en 2017) et les apatrides se voient accorder une carte de séjour pluriannuelle de quatre ans et non plus un titre d’un an renouvelable par périodes de deux ans.

Les enfants mineurs non accompagnés ayant obtenu une protection pouvaient déjà demander la "réunification familiale" en faisant venir leurs parents. La loi étend cette possibilité aux frères et sœurs. En 2017, 381 mineurs non accompagnés ont obtenu une protection.

La loi permet l’octroi de plein droit d’une autorisation de travail aux mineurs non accompagnés pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, dès lors qu’ils présentent un contrat d’apprentissage ou un contrat de professionnalisation.

Parallèlement, la loi durcit les conditions d’attribution de certaines cartes de séjour, notamment celles destinées aux visiteurs et aux parents d’enfant français en précisant le niveau de ressources requis (au moins égal au SMIC net annuel hors prestations sociales et familiales). Par exemple, ces nouvelles dispositions excluent du bénéfice de titre de séjour les parents étrangers de ressortissants français qui ne remplissent pas les conditions pour obtenir une carte de résident.

S’appuyant sur le rapport du député Aurélien Taché remis au gouvernement en février 2018, la loi renforce le contrat d’intégration républicaine en précisant les objectifs du parcours d’intégration. Elle y ajoute une composante orientation et insertion professionnelle et augmente le volume de formation linguistique (de 200 à 400 heures).

Les demandeurs d’asile peuvent travailler à partir de six mois après leur entrée sur le territoire, contre neuf mois avant la loi. C’était l’une des recommandations phares du rapport Taché. En pratique, l’autorisation de travail reste soumise à un régime restrictif.

Le cas particulier de Mayotte

À Mayotte est instaurée une dérogation au principe du droit du sol : un enfant né de parents étrangers ne peut acquérir la nationalité française à la majorité qu’à condition expresse que l’un de ses parents ait résidé en France de manière régulière et ininterrompue pendant plus de trois mois avant sa naissance. Un visa est rendu obligatoire pour les mineurs étrangers résidant régulièrement à Mayotte et souhaitant être admis sur le territoire métropolitain. Ce visa était jusque-là obligatoire pour les seuls majeurs.

Ces dispositions, spécifiques à Mayotte, visent à faire face à une forte immigration clandestine en provenance des autres îles de l’archipel des Comores. Le Conseil constitutionnel a validé ces dispositions, dérogatoires au droit commun, en s’appuyant sur l’article 73 de la Constitution selon lequel, dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements "peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités".