Comment l’Europe a-t-elle répondu aux crises qu’elle a affrontées depuis cinq ans ?
Alors l'Europe, effectivement, a été traversée par un nombre de crises assez intense, à tel point qu'on a pu parler depuis cinq ans de polycrise.
Et les trois crises qui se sont succédé sont de natures tout à fait différentes.
La première, ça été la crise du Brexit, puisque c'est la première fois dans l'histoire de l'Union européenne que l'on négocie la sortie d'un État membre à la demande de la Grande-Bretagne.
On avait beaucoup de craintes sur le fait qu'il pourrait y avoir un effet de contagion.
Mais je dois dire qu'il y a eu une solidarité européenne importante et cette crise avec les Britanniques a plutôt renforcé l'idée qu'il ne fallait pas sortir, y compris chez les eurosceptiques.
Les eurosceptiques, qui sont nombreux en Europe, ont plutôt un discours aujourd'hui qui consiste à dire il faut changer l'Europe de l'intérieur, mais il ne faut pas sortir.
La deuxième crise, c'est bien sûr la crise de la pandémie qui nous est arrivée du dehors de l'Europe.
Alors au début, il y a eu pas mal de cafouillage.
Il a fallu faire face à la concurrence pour les masques, les vaccins, etc.
Puis finalement l'Europe s'est reprise en main et grâce à cette reprise en main, on a pu par exemple avoir une politique d'achat en commun des vaccins sur le marché européen et international.
Et ça a permis quand même très largement de vacciner les populations.
Il y a eu des conséquences économiques bien entendu, puisque pendant la crise du Covid, il y a eu arrêt des activités économiques et commerciales.
On a pu lancer un plan de relance financé par un emprunt, qui est le fameux plan de 750 milliards.
Là aussi, il y a eu une coordination des Européens.
Et enfin, la dernière crise, c'est le retour de la guerre sur le continent européen avec l'agression militaire de la Russie en Ukraine, le 22 février 2022.
Et les Européens, qui pensaient que la guerre était devenue impossible, se sont rendu compte que ce n'était pas le cas.
Donc, à l'égard de la Russie, il y a eu d'abord une réaction très cohérente.
Douze paquets de sanctions qui ont été adoptés malgré le principe de l'unanimité.
Parce que les sanctions ça s’adopte à l'unanimité. Donc ça c'est quand même un achèvement assez extraordinaire.
Il y a eu l'utilisation pour la première fois dans l'histoire de l'Union européenne, des facilités européennes pour la paix, c'est-à-dire une ligne budgétaire dans le budget de l'Union européenne pour acheter des armements et une coordination qui parfois pourrait être meilleure entre les États membres, justement pour essayer de procurer des armes et un soutien financier à l'Ukraine.
Quelles sont les lois et les décisions les plus marquantes de la dernière législature ?
Alors, il y a deux volets qu’il faut retenir.
Le premier volet, ce sont des réformes vraiment internes, des réformes des politiques internes de l'Union européenne qui n'ont pas toujours été très visibles, mais qui sont fondamentales pour la vie quotidienne des Européens.
Je pense en particulier à l'adoption du Pacte vert, c'est-à-dire cet ensemble de textes mettant en œuvre l'ensemble des prescriptions des COP, des conférences internationales sur l'environnement, de façon à pouvoir évoluer davantage vers une économie verte.
Je pense aussi à la régulation du marché Internet.
C'est très, très important parce que nous savons très bien aujourd'hui que les grandes plateformes, justement, ont besoin d'une forme de régulation pour ne pas autoriser tout un tas de choses qui sont des effets pervers comme la délivrance de fausses nouvelles.
Il faut protéger les mineurs, etc.
Et là, on a fait passer deux textes qui sont très importants.
On les nomme en anglais le Digital Services Act et le Digital Markets Act.
Troisièmement, on a réussi à faire passer aussi une loi sur l'intelligence artificielle qui, là aussi, nous amène à réguler et à faire en sorte que l'utilisation de l'intelligence artificielle soit conforme à l'éthique, à un certain nombre de règles de déontologie.
Et le deuxième grand volet, c'est le volet plutôt extérieur.
C'est l'élargissement dans ce contexte de guerre en Ukraine.
La Commission von der Leyen a réussi, avec les États membres à ouvrir des négociations d'adhésion avec l'Ukraine et la Moldavie, donc deux pays directement menacés par la Russie, et à accorder le statut de candidat à la Géorgie, un troisième pays qui est dans l'environnement russe incertain.
Et évidemment, on l'a fait pour des raisons géopolitiques, pour protéger ces pays, leur envoyer un signal politique, qu'ils faisaient partie de la famille européenne et qu'on ne les abandonnerait pas.
Quelles sont les principales menaces qui pèsent sur l’avenir de l’Europe ?
Alors, je vois un certain nombre de menaces qui sont de natures différentes.
La première, c'est l'état des forces politiques.
Il y a quand même un retour du nationalisme en Europe avec partout une montée des partis d'extrême droite qui sont très sceptiques, pour ne pas dire anti-Europe.
Ça c'est quand même un vrai problème si on veut construire l'Europe, puisque l'ensemble de ces partis développe un discours sur le retour à la souveraineté nationale, le retour aux protections des frontières nationales, donc il y a une véritable contradiction.
Ça, c'est le premier point.
Le deuxième point sur les politiques publiques, on voit bien que, par exemple, l'adoption du Pacte vert ne signifie pas pour autant que tout le monde souscrit, je pense aux responsables politiques, aux prescriptions des COP.
Et on n'est pas à l'abri aussi de gouvernements plutôt situés aux extrêmes climatosceptiques qui reviennent totalement sur les prescriptions du Pacte vert.
Troisièmement, je pense qu'il faut trouver des solutions à la question migratoire, parce qu'on voit que effectivement, les flux se sont réduits par rapport à 2015.
On n’a plus 1 million, 1 200 000 personnes qui arrivent via la Turquie et la Grèce.
Mais on a tous les jours des arrivées quand même par d'autres routes.
Et tout ça crée, si vous voulez, sur les États de première arrivée une responsabilité extrêmement lourde, qu'il faudrait réussir à partager davantage en Europe.
De même qu'il faudrait réussir à répartir mieux les migrants et les réfugiés.
Et je dirais qu'il y a un quatrième point, c'est la défense.
L'Ukraine nous a montré que, voilà, il y avait une vulnérabilité militaire qui demeurait en Europe.
La question de la sécurité, nous l'avons très largement depuis 70 ans, déléguée à l'OTAN et donc au soutien des États-Unis d’Amérique.
Mais si les États-Unis d’Amérique, avec Monsieur Biden aujourd'hui sont très mobilisés pour le soutien à l'Europe, on peut se poser la question de savoir ce qu'il en serait d'autres présidents américains.
Et bien sûr, nous pensons tous à l'échéance de novembre 2024 et à la possible élection de Monsieur Trump.
Donc c'est une incitation aussi à réfléchir davantage à une vraie politique européenne de défense pour pouvoir développer ce qu'on appelle parfois notre propre autonomie stratégique européenne.
Moi, je préfère dire notre propre responsabilité stratégique européenne.