Une réquisition peut être définie comme le pouvoir de l’autorité publique de mettre à sa disposition des personnes, des biens ou des services. À l'origine limité aux périodes de guerre (réquisition de voitures, par exemple) et aux besoins militaires, ce droit a beaucoup évolué.
Il existe différents régimes juridiques de réquisitions. Ils ne doivent pas être confondus dans leurs conditions et leurs objectifs. On distingue les réquisitions :
- basées sur le code de la Défense et prévues en cas de menace (sans forcément faire référence à une période de guerre) "sur les activités essentielles à la vie de la Nation, la protection de la population, l’intégrité du territoire, la permanence des institutions de la République" (articles L2211-1 à L2236-7 et R2211-1 à R2236-3) ;
- liées au pouvoir de police dans le code général des collectivités territoriales (CGCT) et décidées par le préfet en cas d'urgence et "d'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques" (article L2215-1). Cela fut par exemple le cas lors des réquisitions décidées par les préfets pendant les grèves contre la réforme des retraites au printemps 2023 ;
- les régimes spéciaux de réquisition civile en matière de logement ou en matière sanitaire notamment : le code de la santé publique prévoit la réquisition de professionnels de santé "si la situation sanitaire le justifie", comme ce fut le cas lors de la crise du Covid-19 en 2020.
L'ordre de réquisition doit être notifié individuellement et donne lieu à rémunération. Le droit de recourir à des réquisitions comporte toutefois des limites. Les réquisitions doivent être :
- strictement proportionnées aux objectifs poursuivis ;
- utilisées si aucun autre moyen ne peut être mis en œuvre et arrêtées lorsqu'elles ne sont plus nécessaires.
L'État peut réquisitionner des entreprises, des personnes, des services et des biens quand une "menace" pèse "sur les activités essentielles à la vie de la Nation, la protection de la population, l’intégrité du territoire, la permanence des institutions de la République ou de nature à justifier la mise en œuvre des engagements internationaux de l’État en matière de défense" (article L2212-1 du code de la Défense).
Le régime des réquisitions a été rénové dans la loi de programmation militaire 2024-2030 votée en juillet 2023. Il prend désormais en compte les nouveaux risques (cyberattaques et paralysie des réseaux, par exemple), l'ancien cadre juridique de 1959 n'étant plus adapté.
La réquisition des usines d'armement peut concerner des personnels, des stocks ou des outils de production. La loi permet à l'État de fixer des productions prioritaires et notamment d'imposer à certaines entreprises de constituer des stocks stratégiques de matières (le titane, par exemple) ou de composants d’intérêt stratégique pour les armées.
Les réquisitions de personnes ou d'entreprises doivent faire l'objet d'un décret en Conseil des ministres. Le décret du 28 mars 2024 sur la sécurité des approvisionnements des forces armées et des formations rattachées, publié le 29 mars 2024 au Journal officiel fixe les conditions des réquisitions et de priorisation. Le ministre des armées peut ordonner :
- la constitution d’un stock minimal de matières, de composants, de pièces de rechange ou de produits semi-finis stratégiques par des entreprises titulaires d’une autorisation de fabrication et de commerce de matériels de guerre, d’armes, de munitions et de leurs éléments des catégories A et B ;
- la réalisation en priorité sur d'autre contrat ou marché de défense, de certaines prestations ou obligations par des entreprises ayant conclu avec elle un marché de défense et de sécurité, par celles ayant passé un contrat avec une organisation internationale ou avec un État tiers ou par leurs sous-contractants de tous niveaux.
L'accélération de la production d'armements demandée par le ministre des armées s'inscrit dans la volonté de l'exécutif, exprimée en juin 2022, d'entrer en "économie de guerre".
Un rapport d’information de la commission des finances de l’Assemblée nationale, du 29 mars 2023 publiait dix recommandations de "mise en œuvre de l’économie de guerre", notamment :
- sécuriser l’approvisionnement et stocker les composants indispensables à l’industrie de défense ;
- simplifier les équipements, en allégeant les cahiers des charges dès l’expression des besoins ;
- mobiliser des ressources humaines.
La loi de programmation militaire a fixé un budget de 413 milliards d'euros d'investissement pour 2024-2030, soit une augmentation de 40%. Le texte a également prévu la possibilité pour l'État de réquisitionner les usines d'armement et ce cadre est aujourd'hui évoqué pour accélérer la production des industries d'armement.
Toutefois, certains économistes considèrent que la France n'est pas entrée en "économie de guerre". La formule est utilisée pour "générer du consensus par la sidération", estime le chercheur Renaud Bellais spécialiste en économie de la défense (Le Monde du 10 janvier 2024). "L'économie de guerre, c'est la mobilisation radicale de toutes les ressources économiques d'une nation en faveur d'un effort de guerre", rappelle Olivier Kempf, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (France Info - 7 mars 2024). Cela suppose "une transformation de l'appareil de production" à la fois agricole, industriel, humain ou logistique "vers la production de ressources pour la guerre". Ce qui n'est pas aujourd'hui le cas, affirment-ils.