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© Guillaume Souvant/AFP

Qualité de l'eau potable : comment est-elle assurée ?

Temps de lecture  15 minutes

Par : Julie Mendret - Maître de conférences à l’université de Montpellier et Thierry Pichard - Expert procédés traitement des eaux Antea Group France

L’eau potable est l’un des aliments les plus contrôlés. Sa conformité microbiologique et physico-chimique est de l’ordre de plus de 96%. La filière de production et de contrôle de l’eau potable comprend les collectivités, leurs exploitants et les agences régionales de santé. Comment est fait ce contrôle ? Quels en sont les enjeux ?

Qu'est-ce que l'eau potable ?

Une eau est dite potable si elle ne présente aucun risque notable pour la santé d’une personne qui la consommerait sur toute la durée de sa vie, compte tenu des variations de sensibilité éventuelles aux différents stades de la vie.

On distingue aujourd’hui trois risques de contamination de l’eau potable :

  • la contamination microbiologique de l’eau représente le risque majeur pour la qualité et l’innocuité de l’eau potable ;
  • le risque chimique lié à la présence d’arsenic, de fluorures ou de nitrates dans l’eau est aussi un risque préoccupant ;
  • des contaminants tels que les pesticides, les produits pharmaceutiques, les substances alkylées per- et polyfluorées (PFAS) ou les microplastiques sont également une source d’inquiétude croissante.

Un accès adéquat à l'eau potable est crucial pour la prévention des maladies hydriques (comme le choléra, les gastro-entérites, l’hépatite A ou la fièvre typhoïde), la sécurité alimentaire, l'hygiène personnelle et la qualité de vie globale. De plus, l'eau potable joue un rôle central dans le développement socio-économique de nos sociétés. Garantir un approvisionnement en eau potable suffisant et durable demeure un défi mondial, nécessitant une gestion responsable des ressources en eau pour assurer un avenir sain et durable pour les générations à venir. En 2022, un quart de l’humanité (2,2 milliards de personnes) n’avait toujours pas accès à des services d’eau potable gérés en toute sécurité, c’est-à-dire situé sur le lieu d’usage, disponible à tout moment et exempt de contamination.

En France, en 2021, les deux tiers de l’eau potable produite proviennent des eaux souterraines, le tiers restant des eaux superficielles (rivières, fleuves, lacs, barrages), aussi appelées "eaux de surface". Une fois captée, l’eau est ensuite acheminée jusqu’à une usine de potabilisation pour être traitée. Le traitement appliqué dépend de la qualité initiale de l’eau captée. Jusqu’à présent, pour les eaux souterraines, un traitement physique simple (de filtration) et une désinfection suffisaient dans la majorité des cas. Pour les eaux de surface, un processus plus poussé était nécessaire, associant un traitement physico-chimique poussé, dans 25% des cas un traitement d’affinage (avec du charbon actif) permettant d’éliminer les matières organiques résiduelles et d’améliorer les qualités organoleptiques de l’eau (goût, odeur, couleur, turbidité), et une désinfection. La prise en compte des nouvelles pollutions d’origine anthropique (notamment pesticides et PFAS) entraînera une complexification de ces filières de traitement dans les années à venir. 

La consommation moyenne française d’eau potable par habitant est estimée à environ 148 litres par jour, dont 7% pour la boisson et l’alimentation, et 93% pour l’hygiène (comprenant 20% pour les sanitaires) et les usages divers. Cet usage domestique représente 20% de la consommation globale (Centre d'information sur l’eau - CIeau) : 35% de l’eau potable étant utilisée pour l’industrie et l’électricité et 45% pour l’agriculture.

 

Comment l'eau potable est-elle contrôlée ?

La surveillance de la qualité de l’eau potable, en application des dispositions du code de la santé publique, relève de deux acteurs :

  • la personne morale responsable de la production ou de la distribution de l’eau (PRPDE – la collectivité et son exploitant), qui met en œuvre un programme d’analyses et de tests de surveillance, défini sur la base d’une analyse de dangers. Il s'agit de garantir en permanence la qualité de l’eau potable, conformément à l’arrêté du 30 décembre 2022 relatif au programme de tests et d’analyses à réaliser dans le cadre de la surveillance exercée par la personne responsable de la production ou de la distribution d’eau. Les paramètres mesurés et la fréquence des prélèvements et tests sont définis par la PRPDE sur la base de l’analyse de dangers. La surveillance de la PRPDE associe une vérification régulière des mesures prises pour protéger la ressource utilisée, une vérification du fonctionnement des installations, la réalisation d’analyses effectuées en différents points en fonction des dangers identifiés dans le système de production et de distribution de l’eau et la réalisation régulière d’une étude caractérisant la vulnérabilité des installations de production et distribution d’eau vis-à-vis des actes de malveillance pour les unités de distribution les plus importantes. L’ensemble des informations ainsi collectées est consigné dans un fichier sanitaire, qui est le support du suivi de l’exploitation.

  • les agences régionales de santé (ARS), en charge du contrôle sanitaire de l’eau potable. Le contrôle sanitaire comprend la réalisation d’un programme de prélèvements et d’analyses d’eau au niveau de la ressource, à la sortie de l’usine de traitement, ainsi qu’au niveau du point de distribution. Les paramètres mesurés et la fréquence des prélèvements à ces points sont précisés dans l’arrêté du 11 janvier 2007 modifié, relatif au programme de prélèvements et d'analyses du contrôle sanitaire pour les eaux fournies par un réseau de distribution. Les prélèvements et analyses sont réalisés par des laboratoires agréés pour le contrôle sanitaire des eaux par le ministère de la santé. Le contrôle sanitaire comprend également l’expertise sanitaire des résultats d’analyses, l’inspection des installations de production et de distribution d’eau, la prise de décision relative aux mesures de l’administration (autorisations, gestion des non-conformités, etc.), le contrôle de la surveillance exercée par la personne responsable de la production et distribution de l’eau et l’information sur la qualité de l’eau.

Information sur la qualité de l’eau

Une feuille de synthèse de la qualité de l’eau distribuée est jointe annuellement à la facture d’eau. Elle informe sur la conformité globale des paramètres microbiologiques, d’une part et des paramètres physico-chimiques, d’autre part. Elle précise également la qualité pour des paramètres d’intérêt local comme l’équilibre calco-carbonique, les nitrates, ou les pesticides.

Une fois traitée, l’eau distribuée répond à des normes de qualité définies dans l’annexe I de l’arrêté du 11 janvier 2007 modifié relatif aux limites et références de qualité des eaux brutes et des eaux destinées à la consommation humaine. Au total, près de 70 paramètres ou familles de paramètres sont contrôlés, via des limites et références de qualité microbiologiques, physico-chimiques, organoleptiques, et radiologiques, des valeurs indicatives et des valeurs de vigilance. L’annexe II de cet arrêté définit également la qualité à laquelle doit satisfaire l’eau brute destinée à produire de l’eau potable. En effet, toutes les eaux ne peuvent être potabilisées.

Les paramètres de la qualité de l’eau

Il s’agit :

  • des paramètres microbiologiques comme les Escherichia coli, les entérocoques intestinaux ou la numération de germes aérobies revivifiables à 22 °C et 36 °C ;
  • des métaux comme l’aluminium, l’arsenic, le chrome, le fer, le manganèse, le nickel, le plomb, le sélénium ou l’uranium ;
  • des paramètres chimiques comme le bisphénol A, le carbone organique total (COT), les chlorures, la conductivité, l’équilibre calco-carbonique, les nitrates, le pH, les pesticides et métabolites, les sulfates ou les substances alkylées per- et polyfluorées (PFAS) ou la température ;
  • des sous-produits de désinfection comme les acides haloacétiques (AHA), les bromates, les chlorites et chlorates et les trihalométhanes (THM) ;
  • des paramètres organoleptiques comme la turbidité, l’odeur et la saveur ;
  • des paramètres radiologiques comme l’activité alpha globale, le radon ou le tritium.

Les limites de qualité sont fixées pour les paramètres dont la présence dans l’eau induit des risques immédiats, ou à plus ou moins long terme, pour la santé du consommateur. Ces limites de qualité concernent des paramètres microbiologiques (germes témoins de contamination fécale) et une trentaine de substances indésirables ou toxiques (notamment nitrates, arsenic, PFAS, pesticides et métabolites pertinents, sous-produits de désinfection). 

Les références de qualité concernent des paramètres témoins du fonctionnement des installations de production et de distribution. Ces substances, qui n’ont pas d’incidence directe sur la santé aux teneurs normalement présentes dans l’eau, peuvent mettre en évidence un dysfonctionnement des installations de traitement ou être à l’origine d’inconfort ou de désagrément pour le consommateur (notamment pH, température, fer, manganèse, chlore résiduel, équilibre calco-carbonique, corrosivité). Leur contrôle permet de garantir la qualité de l’eau distribuée au robinet du consommateur.

Métabolites de pesticides pertinents et non-pertinents

L’utilisations des pesticides conduit à la formation de produits de dégradation appelés métabolites. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a identifié, dans son avis du 30 janvier 2019, une liste non exhaustive de 99 molécules identifiées comme des métabolites de pesticides. Par effet d’antériorité, l’ensemble des métabolites de l’atrazine, de la simazine et du terbuthylazine a été jugé pertinent. 

L’Anses a élaboré une méthodologie permettant de classer, à partir des données scientifiques disponibles, les métabolites de pesticides comme pertinents ou non pertinents, sur la base notamment de leur activité pesticide, de leur génotoxicité, de leur reprotoxicité ou de leur potentiel de perturbation endocrinienne. À ce jour, l’Anses a classé 20 métabolites de pesticides en deux groupes, huit pertinents et douze non pertinents. Les métabolites pertinents sont gérés comme les pesticides et soumis à des limites de qualité. Les métabolites non pertinents sont soumis à des valeurs indicatives.

Les valeurs de vigilance encadrent la gestion des substances ou composés qui constituent un sujet de préoccupation sanitaire pour les citoyens ou les milieux scientifiques, en raison de leurs propriétés perturbant le système endocrinien et du risque qu’ils présentent pour la santé humaine (notamment 17 béta-estradiol et nonylphénol à ce jour). La liste est fixée par la Commission européenne dans des actes délégués et évoluera dans le temps.

Comment les politiques publiques de l'eau potable pourraient-elles évoluer ?

Jusqu’à présent, bien que la surveillance de la PRPDE ait été prévue par l’article R1321-23 du code de la santé publique, elle n’était que très peu mise en œuvre et bien souvent limitée, dans le meilleur des cas, au niveau de l’usine de potabilisation, et les collectivités se reposaient donc sur les résultats du contrôle sanitaire. L’arrêté du 30 décembre 2022 précité vient donc rappeler et encadrer la surveillance par la PRPDE. Rappelons que la PRPDE est en effet tenue à une obligation de résultats quant à la qualité de l’eau distribuée au robinet des consommateurs. 

Le déploiement des plans de gestion de la sécurité sanitaire de l’eau (arrêté du 3 janvier 2023 relatif au plan de gestion de la sécurité sanitaire de l’eau - PGSSE - réalisé de la zone de captage jusqu’en amont des installations privées de distribution) avant juillet 2027 pour la zone de captage et avant janvier 2029 pour la production et la distribution de l’eau, va permettre de renforcer la surveillance de l’exploitant et la qualité de l’eau distribuée au robinet du consommateur.

"Le PGSSE consiste en une approche globale visant à garantir en permanence la sécurité sanitaire de l’approvisionnement en eau destinée à la consommation humaine (EDCH). Cette démarche de gestion ‘en amont’ concourt à améliorer et pérenniser la sécurité sanitaire des eaux délivrées à la population. Elle relève de la PRPDE. Il s’agit d’une stratégie générale de gestion préventive et d’anticipation, dont le suivi régulier de la qualité de l’eau, l’exploitation technique et l’organisation fonctionnelle du service d’eau potable font partie. Le PGSSE consiste en un ensemble d’actions, dont une étude de dangers, conduisant à la définition d’un plan d’actions adapté se déclinant sur l’ensemble du système de production et de distribution d’eau, de la ressource en eau au robinet du consommateur, et s’inscrivant dans le temps. Il s’agit d’une stratégie générale de gestion préventive et d’anticipation, dont le suivi régulier de la qualité de l’eau, l’exploitation technique et l’organisation fonctionnelle du service d’eau potable font partie. Cette démarche doit faire l’objet d’actualisations en tant que de besoin (à la suite d’incidents, d’événements, etc.) et de révisions régulières afin de s’inscrire dans un cycle vertueux d’amélioration continue." (Guide Astee – Initier, mettre en place, faire vivre un PGSSE, 1ère édition 2021).

Les nouveaux paramètres d’intérêt, notamment les pesticides et métabolites pertinents, les PFAS, le bisphénol A, vont, comme nous l’avons indiqué ci-avant, s’accompagner d’une modification des filières de potabilisation, notamment par la mise en œuvre de traitement d’affinage par charbon actif, pour continuer à distribuer une eau potable au robinet du consommateur. Cette nécessité de traitement va être nécessaire sur la durée (plusieurs dizaines d’années comme le montre le retour d’expérience sur les métabolites de l’atrazine, toujours quantifiés plus de 20 ans après l’interdiction de son utilisation).

Garantir en permanence la qualité de l’eau distribuée au robinet des consommateurs nécessite que la PRPDE possède une bonne connaissance de la qualité de sa ou ses ressources, et surtout de sa variabilité. Cette connaissance passe par la réalisation de programmes d’analyses. Les progrès technologiques permettent aujourd’hui de rechercher des molécules à des concentrations très faibles (de l’ordre du nanogramme par litre). Compte tenu des dizaines de milliers de molécules pouvant être présentes dans l’eau, il est illusoire de vouloir toutes les quantifier. Chaque collectivité doit donc mettre en place le programme analytique le plus pertinent par rapport à son contexte local, en gardant en mémoire que l’on ne peut trouver que ce que l’on cherche.

En parallèle des mesures curatives, des mesures de gestion préventive (notamment réduction des intrants comme les phytosanitaires et les nitrates, modifications des pratiques culturales, aménagements paysagers, lutte contre les dépôts sauvages), à l’échelle des aires d’alimentation de captage (AAC) doivent être mises en œuvre pour limiter au minimum ou supprimer la contamination des ressources en eau et permettre à terme de revenir à des traitements simples pour la potabilisation de l’eau. Ces mesures vont devoir mobiliser dans la durée les acteurs de la gestion de l’eau potable, mais également le monde agricole, les pouvoirs publics, les collectivités, les agences de l’eau, le monde industriel, les producteurs des produits phytosanitaires et les consommateurs. Exemples de mesures qui peuvent être mises en œuvre : 

  • optimiser les pratiques actuelles, accompagner les agriculteurs vers des systèmes plus économes en intrants ;
  • maîtriser l’occupation du sol et les pratiques par la gestion du foncier, suivre et coordonner le plan d’actions ;
  • maintenir les éléments fixes du paysage, prévenir les pollutions ponctuelles autour des infrastructures linéaires (routes, voies ferrées).

Produire de l’eau potable : un défi grandissant

En France, l’eau du robinet est l’un des aliments les plus contrôlés, de la ressource en milieu naturel jusqu’au verre d’eau sur notre table. En 2021, la conformité microbiologique sur le plan national en 2021 était de 98,5% et la conformité physico-chimique de 96,7%. Le renforcement de la surveillance de la PRPDE devrait ainsi permettre d’améliorer encore ces résultats dans les années à venir. Pour un prix moyen inférieur à 0,5 centime par litre, boire l’eau du robinet participe à la lutte contre le changement climatique. 

Les filières de potabilisation vont devoir être adaptées pour traiter de nouveaux paramètres d’intérêt comme les PFAS ou les métabolites de pesticides pertinents et garantir en permanence une eau potable au robinet des consommateurs.

Des mesures de gestion préventive à l’échelle des aires d’alimentation de captage (AAC) doivent être mises en œuvre pour limiter au minimum ou supprimer la contamination des ressources en eau et permettre à terme de revenir à des traitements simples pour la potabilisation de l’eau.

Enfin, dans un cadre territorial cohérent, la gestion intégrée des ressources en eau vise à intégrer les multiples parties prenantes, usages et enjeux concurrents, dont la préservation environnementale, afin d’assurer la pérennité des ressources en eau.

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