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© Charles Platiau/Reuters - stock.adobe.com

Questions à Robert Badinter

Temps de lecture  5 minutes

Par : Robert Badinter - Avocat, ministre de la justice de juin 1981 à février 1986

Robert Badinter, militant abolitionniste, s’est illustré comme avocat, de 1972 à 1980, dans des affaires criminelles où se posait la question de la peine de mort. Nommé en 1981 garde des Sceaux, après la victoire de François Mitterrand à l’élection présidentielle, il a soutenu devant le Parlement le projet de loi abolissant la peine de mort.

Entretien réalisé en septembre 2001

L’abolition de la peine de mort en France est l’aboutissement d’un combat deux fois centenaire, marqué par de nombreuses tentatives d’abolition depuis la Révolution. Comment expliquer le vote de l’abolition, malgré une opinion publique plutôt réservée ?

Par le courage politique.

Lors de la campagne présidentielle de 1981, François Mitterrand avait fait publiquement savoir qu’il était favorable à l’abolition de la peine de mort. Tous les partis de gauche, à l’élection législative de 1981, avaient inscrit l’abolition à leur programme. En élisant François Mitterrand, et une majorité de gauche au Parlement, les Français avaient choisi l’abolition. Celle-ci a donc été adoptée dans des conditions aussi démocratiques que possible.

Pouvez-vous rappeler les arguments qui se sont opposés au moment du débat sur l’abolition de la peine de mort en 1981 ?

Le débat était ouvert depuis deux siècles et tous les arguments avaient été échangés. Le seul argument nouveau était d’ordre européen. Tous les pays de l’Europe occidentale, à l’exception de la France, avaient choisi l’abolition. Si elle avait présenté quelque danger que ce soit face à la criminalité sanglante, les responsables de ces pays n’auraient jamais voté ni maintenu l’abolition.

Comment s’est passé le débat de 1981, dans quel esprit, dans quel climat ?

Le débat a été vif. Il y eut des orateurs éloquents parmi les abolitionnistes : Raymond Forni (Parti socialiste - PS), Guy Ducoloné (Parti communiste - PC), Philippe Seguin (Rassemblement pour la République - RPR), parmi d’autres. L’abolition a été votée par la totalité des députés de gauche, par un tiers des députés de l’Union pour la démocratie française (UDF) et un quart du RPR, dont Jacques Chirac.

La vraie surprise et la vraie victoire parlementaire, à mes yeux, ont été le vote de la loi par le Sénat, très hostile au gouvernement de la gauche, dans les mêmes termes que l’Assemblée nationale.

Le débat n’a pas été complètement clos par la loi de 1981 et il est réapparu en France dans les années 1980-1990, avec un courant favorable au rétablissement de la peine capitale. Comment l’expliquez-vous ? Aurait-il pu aboutir à un rétablissement de la peine capitale ?

Depuis 1985, il est impossible de rétablir la peine de mort en France. En effet, la France a ratifié, en 1985, un traité international de 1983, le 6e Protocole à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Cette convention interdit aux États qui l’ont ratifiée de recourir à la peine de mort. Les traités internationaux ayant une valeur supérieure à la loi, le Parlement français ne pourrait rétablir la peine de mort que si le président de la République française dénonçait cette convention. Pareille dénonciation mettrait la France au ban moral des droits de l’homme en Europe. Un tel acte, de la part du président de la République française, apparaît impossible au regard de l’affirmation constante de la France, la patrie des droits de l’homme.

(de 1984 à 1995, 27 propositions de loi visant à rétablir la peine de mort ont été déposées au Parlement)

Aujourd’hui le débat semble s’intéresser davantage à la question de la peine de mort dans le monde, en particulier aux États-Unis, plutôt qu’en France. Comment expliquez-vous cette évolution du débat ainsi que cette focalisation, sur les États-Unis alors que d’autres grandes puissances, telles que le Japon, continuent d’appliquer la peine de mort ?

Aujourd’hui la peine de mort est bannie de toute l’Europe. La quasi-totalité des États européens, y compris à l’Est, ont ratifié le 6e Protocole à la CEDH.

En ce qui concerne le reste du monde, la cause de l’abolition a grandement progressé depuis 20 ans. En 1981, la France était le 36e État à abolir la peine de mort. Aujourd’hui, 108 États sont abolitionnistes sur 189 que comptent les Nations unies. L’abolition est devenue majoritaire dans le monde.

Aujourd’hui, 90% des exécutions dans le monde sont le fait de quatre États : la Chine, les États-Unis, l’Arabie saoudite et l’Iran. L’alliance entre totalitarisme, fanatisme et peine de mort est historique. La première question, dans la marche à l’abolition universelle, est celle de la situation aux États-Unis, seule grande démocratie à recourir à la peine de mort. En dépit de l’attachement de l’opinion publique américaine à la peine de mort, des signes encourageants se manifestent : moratoires des exécutions dans certains États, diminution du nombre des exécutions et des condamnations à mort depuis le début de l’année, ralliement de grands médias à l’abolition.