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Rôle du président de la République, cohabitations : un historique

Temps de lecture  7 minutes

Par : La Rédaction

Jusqu'à la Constitution de 1958, le président de la République a un rôle effacé, ce qui n'empêche pas les conflits avec le président du Conseil.

Sous la IIIe République : l'effacement du rôle du président de la République

Peu après la mise en place de la IIIe République, alors que la nature du régime, monarchie ou république, vient d'être tranchée (loi du 25 février 1875), un conflit éclate entre le président de la République, le maréchal de Mac-Mahon, et la majorité républicaine de la Chambre des députés. En mai 1877, les députés refusent leur confiance au gouvernement conservateur que le président de la République a appelé. Celui-ci dissout la Chambre, mais la nouvelle assemblée élue est de la même tendance que la précédente. Mac-Mahon "se soumet" et appelle un gouvernement conforme aux vœux de la nouvelle Chambre. L'irresponsabilité du Président et la responsabilité solidaire et individuelle des ministres sont ainsi confirmées.

Deux ans plus tard, le 30 mai 1879, du fait de la progression des idées républicaines, Mac-Mahon préfère démissionner ("il se démet"). Son successeur, Jules Grévy, élu par les députés et les sénateurs, fixe dans un message aux Chambres la règle qu'il entend suivre : "Soumis avec sincérité à la grande loi du régime parlementaire, je n'entrerai jamais en lutte contre la volonté nationale, exprimée par ses organes constitutionnels". Le nouveau président abdique ainsi une partie des pouvoirs qui lui sont reconnus par la loi constitutionnelle. L'habitude sera poursuivie par la plupart de ses successeurs et paralysera l'action de ceux des Présidents qui voudront affirmer leur autorité.

En 1924, lors des élections législatives, les partis de gauche (socialistes et radicaux-socialistes) victorieux refusent de former le gouvernement comme les y invite le président de la République, Alexandre Millerand. Ils lui reprochent d'avoir, en octobre 1923, prononcé un discours dans lequel il réclamait une révision de la Constitution afin de renforcer les pouvoirs du Président. La gauche "refusant d'entrer en relation" avec le gouvernement appelé par Millerand, ce dernier démissionne.

Mac-Mahon, Millerand : deux épisodes qui seront rappelés à François Mitterrand à la veille des élections législatives de 1986. Mais les institutions ne sont plus les mêmes.

Sous la Ve République

Après 1958 et surtout après 1962, avec l'instauration de l'élection du président de la République au suffrage universel direct et la bipolarisation progressive de la vie politique française, l'hypothèse d'une possible "cohabitation" ne peut plus être exclue.

L'hypothèse d'une possible "cohabitation" se pose une première fois en 1967 tant les résultats attendus des partisans du général De Gaulle aux élections législatives du mois de mars paraissent incertains. Qu'envisage le président de la République si à cette occasion l'opposition parlementaire devient majorité ? Plusieurs témoignages concordent, notamment celui d'Alain Peyrefitte. Le général De Gaulle refuse de mettre son mandat en jeu : 487 élections locales "ne peuvent prévaloir" contre la seule élection nationale. Alain Peyrefitte, comme Edgar Faure, racontent qu'à l'issue du scrutin, où les partisans du général ne conservèrent la majorité absolue que d'une voix, De Gaulle leur aurait confié qu'il "aurait été amusant de voir comment on peut gouverner avec la Constitution".

La même hypothèse est envisagée aux élections législatives de mars 1973, les premières où la gauche se présente unie sur la base d'un programme de gouvernement. Georges Pompidou refuse alors de dire qu'elle sera son attitude en cas de victoire de l'opposition (conférence de presse du 9 janvier 1973) ; quant à François Mitterrand, il ne remet pas en cause le mandat du Président. Position du chef de file de la gauche qui sera identique en 1978 à l'égard de Valéry Giscard d'Estaing.

Les élections législatives de 1978 sont l'occasion de débattre de l'éventualité de ce qui ne s'appelle pas encore la cohabitation. Majoritaire dans le pays depuis les élections municipales du printemps 1977, la gauche semble sérieusement pouvoir emporter les législatives. La coexistence entre une assemblée de gauche et Valéry Giscard d'Estaing est un des sujets soulevés pendant la campagne électorale. Le thème de l'éventuelle démission du Président ne se posera pas puisque la gauche n'émet aucune exigence en ce sens. Quant au président de la République, il prévient qu'il laissera la nouvelle majorité gouverner. Ainsi, le 27 janvier 1978 à Verdun-sur-le-Doubs, il déclare : "Vous pouvez choisir l'application du programme commun. C'est votre droit. Mais si vous le choisissez, il sera appliqué. Ne croyez pas que le président de la République ait, dans la Constitution, les moyens de s'y opposer".

Trois ans plus tard la gauche devient majoritaire, mais pas de la façon prévue jusque là : elle accède au pouvoir par l'élection présidentielle. En 1986, c'est un scénario inverse de celui envisagé entre 1967 et 1978 qui installe la cohabitation : un président de gauche et une assemblée nationale de droite. Ironie de l'histoire "une gauche génétiquement parlementaire s'est trouvée en situation de défendre la présidence face à une droite génétiquement présidentielle devenue parlementaire par nécessité" (Ph. Ardant et O. Duhamel, "La dyarchie", Pouvoirs n° 91, 1999).

Cette première phase de cohabitation va durer deux ans. L'expérience se renouvellera en 1993 dans un cas de figure identique, un Président de la République de gauche et une Assemblée nationale de droite, puis en 1997 avec une autre configuration : un président de la République de droite, une Assemblée nationale de gauche.

Vraies et fausses cohabitations

Lors d'une émission de télévision ("Ma cohabitation", TF1, 7 décembre 1990), à la question : "Vous avez été Premier ministre de Valéry Giscard d'Estaing et de François Mitterrand. Avec lequel de ces deux Présidents avez-vous pu le mieux exercer vos fonctions ?", Jacques Chirac répond : "Pour des raisons tenant des circonstances, naturellement avec François Mitterrand".

Cette réponse a le mérite de rappeler qu'en période de cohabitation l'article 20 de la Constitution ("Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation") s'applique à la lettre, le gouvernement n'étant responsable que devant le Parlement.

Hors cohabitation, quand majorité présidentielle et majorité parlementaire concordent, l'application de l'article 20 diffère quelque peu dans la mesure où le Premier ministre peut difficilement ne pas tenir compte d'éventuelles observations, voire de directives précises, formulées par le chef de l'État tendant à définir ou à infléchir la politique suivie.

Le centre du pouvoir se trouve alors à l'Élysée et non à Matignon.

Cette lecture particulière de l'article 20 suppose que les deux hommes en charge des affaires de l'État soient, en toutes circonstances, dans une unité de pensée. Ce qui n'a pas toujours été le cas depuis 1958. Des désaccords peuvent intervenir ; quand ils sont insurmontables alors que les deux responsables appartiennent à la même famille idéologique ils ne peuvent que se traduire par la démission du chef du gouvernement.

L'épisode le plus retentissant de cette nature reste la démission de Jacques Chirac le 25 août 1976, précédent inédit à ce jour dans la forme, l'hôte de Matignon exprimant publiquement les raisons de son départ.

Mais d'autres exemples de mésentente, plus ou moins affichées, entre le Président et le Premier ministre peuvent être cités :

  • la dégradation des rapports entre le général de Gaulle et Georges Pompidou au lendemain des événements de mai 1968 ; 
  • le désaccord politique sur l'avenir de la société française entre Georges Pompidou et Jacques Chaban-Delmas en 1972 ; 
  • l'impossible harmonie entre François Mitterrand et Michel Rocard (1988-1991).