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Politiques d'insertion : état des lieux des dispositifs de retour à l'emploi

Temps de lecture  13 minutes

Par : La Rédaction

La loi de décembre 2023 pour l'emploi concerne en particulier les allocataires du revenu de solidarité active (RSA). Depuis les années 1980, les politiques d'insertion passent par des dispositifs d'aide au retour à l'emploi. Mais les différents dispositifs successifs ont-il été pour autant efficaces ? Le point avec Vie-publique.fr.

À la suite des chocs pétroliers de 1973 et 1979, le chômage, en particulier le chômage de longue durée, s’accroît. Il fait naître des situations inédites de pauvreté que le système de protection sociale construit après la Seconde Guerre mondiale ne parvient pas à juguler.

C'est dans ce contexte que se développent des politiques de lutte contre l’exclusion privilégiant l’accès à l’emploi. Ainsi, le revenu minimum d’insertion (RMI) est créé en 1988 puis remplacé en 2009 par le revenu de solidarité active (RSA).

Entre politiques de lutte contre l'exclusion sociale et dispositifs d'insertion

Pauvreté et exclusion

La France utilise principalement deux indicateurs de pauvreté :

  • la pauvreté monétaire, qui mesure les inégalités de façon relative. Elle correspond à un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté, fixé à 60% du niveau de vie médian. Le niveau de vie se calcule lui-même en divisant le revenu disponible d’un ménage par le nombre d’unités de consommation qui le composent. Selon une étude de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), le seuil de pauvreté s’élève en 2020 à 1 120 euros par mois pour une personne seule et 1 680 euros pour un couple sans enfant. La pauvreté monétaire relative touche plus de 9 millions d’individus en France métropolitaine (14,4% de la population) ;
  • la pauvreté en conditions de vie. Elle évalue les difficultés matérielles rencontrées par les ménages, c’est-à-dire le nombre de privations matérielles et sociales auxquelles ils disent faire face parmi un ensemble de référence (ne pas pouvoir se payer une semaine de vacances dans l’année, avoir des arriérés de traites, ne pas pouvoir se chauffer correctement…). Elle concerne 12,5% des ménages en 2020, d’après des chiffres de l’Insee.

En 1987, le père Joseph Wresinski, fondateur d’ATD (Aide à toute détresse) Quart Monde et membre du Conseil économique et social, présente son rapport "Grande pauvreté et précarité économique et sociale". Il y définit la précarité comme "l’absence d’une ou plusieurs des sécurités, notamment celle de l’emploi, permettant aux personnes et familles d’assumer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales, et de jouir de leurs droits fondamentaux". Il souhaite un "traitement global et permanent de la pauvreté et de la précarité économique et sociale".

Les années 1980 voient émerger deux notions :

  • l’exclusion sociale, qui désigne la non-réalisation de certains droits par des membres de la société ;
  • en corollaire, l’insertion sociale. Une politique globale visant à garantir des droits aux individus en situation de pauvreté se met en place.

Mise en place de politiques de lutte contre l’exclusion

Jusque dans les années 1980, les politiques d’assistance s’adressent à des publics spécifiques. Les premiers minima sociaux visent à compléter les ressources de ceux qui ne peuvent plus travailler et n’ont pas acquis suffisamment de droits sociaux ; c’est le cas du minimum vieillesse, institué en 1956. De même, l’allocation aux adultes handicapés (AAH) a pour but de garantir un revenu minimal à des individus reconnus inaptes au travail du fait de leur handicap. L’allocation de parent isolé (API), créée en 1976, fournit des ressources à des personnes seules assumant la charge effective d’au moins un enfant.

Pendant les "Trente Glorieuses", marquées par le plein emploi, le travail garantissait les revenus et l’accès à la protection sociale. Avec la montée du chômage, l’État met en œuvre des politiques de lutte contre l’exclusion afin de pallier les insuffisances du système de protection sociale. L’aide au secours exceptionnel, créée dès 1979, répond à l’incapacité du régime d’assurance chômage à couvrir les situations de chômage de longue durée. L’allocation de solidarité spécifique s’y substitue en 1984 et relaie l’assurance chômage pour les chômeurs en fin de droits justifiant d’au moins cinq ans d’activité. Néanmoins, ces dispositifs ne traitent pas toutes les situations d’exclusion.

Parallèlement, des politiques en faveur de l’accès à l’emploi tentent d’accompagner les transformations du travail (restructurations industrielles…) et d’octroyer un revenu et des droits sociaux à des individus jusqu’alors exclus du marché du travail. Elles proposent des formations, des contrats aidés (avec allègement du coût salarial) et des emplois relevant de l’insertion par l’activité économique (IAE).

1988 : création du RMI

À la suite d’expérimentations locales menées à partir de 1985 (compléments locaux de ressources) et des propositions du rapport Wresinski, la loi du 1er décembre 1988 instaure le RMI et un service public départemental de l’insertion. Le RMI vise à garantir un minimum de ressources et à faciliter l’insertion ou la réinsertion des plus précaires.

La Cour des comptes, dans son Rapport public 2002, examine l’insertion des RMIstes. Le rapport note que la dépense d’allocation de RMI a atteint 4,46 milliards d’euros en 2000, et la dépense publique totale liée au dispositif 7,92 milliards en 1999. Il observe que "la contractualisation de la démarche d’insertion demeure le point faible du dispositif : l’accompagnement du bénéficiaire revêt […] un caractère purement administratif". Beaucoup d’allocataires présents dans le dispositif depuis des années n’ont jamais rencontré de référent (travailleur social) en vue de leur insertion.

Une loi du 18 décembre 2003 crée le revenu minimum d’activité (RMA), destiné à faciliter la réinsertion professionnelle des personnes touchant le RMI depuis deux ans ou plus. Proposé dans le cadre du contrat d’insertion, le RMA est un contrat de travail à durée déterminée (six mois renouvelables deux fois) à temps partiel (à partir de 20 heures par semaine), rémunéré au moins au SMIC (salaire minimum interprofessionnel de croissance).

Le dispositif du RMI critiqué

Les détracteurs du RMI y voient une "trappe à inactivité" incitant les bénéficiaires à rester sans emploi. En effet, le faible écart entre son montant (auquel s’ajoutent des droits sociaux) et le revenu que procurerait une activité faiblement rémunérée dissuade certains, surtout parmi les moins qualifiés, d’accepter un emploi (effets de seuil), malgré les mesures favorisant cette transition.

Un rapport de la Cour des comptes paru en 2011, "Du RMI au RSA : la difficile organisation de l’insertion", dresse un bilan du RMI. Il identifie les faiblesses du volet "insertion" : la contractualisation et l’accompagnement. Il pointe :

  • une orientation initiale trop rigide des allocataires vers une insertion sociale ou professionnelle ;
  • l’absence fréquente de contrat d’insertion et la non-application des sanctions afférentes ;
  • un accompagnement insuffisant des bénéficiaires ;
  • une évaluation lacunaire de l’insertion (suivi des sorties…) ;
  • une offre d’insertion souvent inadaptée aux besoins des intéressés ;
  • le déficit de stratégie des programmes départementaux d’insertion (PDI).

En avril 2005, une commission chargée de travailler sur le thème "Familles, vulnérabilité, pauvreté" et dirigée par Martin Hirsch, alors président d’Emmaüs France, a remis au gouvernement son rapport, "Au possible nous sommes tenus". Considérant le travail comme l’"axe privilégié pour réduire la pauvreté des familles", il propose de "passer d’un système dans lequel on peut soit relever de prestations d’assistance, soit entrer dans le monde du travail sans garantie de sortir de la pauvreté à un système permettant de combiner revenus du travail et revenus de solidarité. […] Chaque heure travaillée doit se traduire par une diminution des prestations inférieure à ce que rapporte le travail." Il prône un revenu de solidarité active rendant l’emploi plus rémunérateur que les minima sociaux.

La complexité croissante des dispositifs d’insertion, les gains trop faibles associés à une reprise d’activité et l’aggravation du phénomène des travailleurs pauvres imposent de réformer les politiques d’insertion. Le Grenelle de l’insertion, organisé de novembre 2007 à mai 2008 par M. Hirsch, Haut-Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, élabore une nouvelle stratégie centrée sur l’emploi et visant à :

  • simplifier et décloisonner les dispositifs et les politiques d’insertion ;
  • prévenir l’exclusion par la formation et par la valorisation de l’activité.

Le RSA : un dispositif efficace pour favoriser la reprise d'activité ?

Inciter à la reprise d’activité

Expérimenté dans 34 départements en 2007 et 2009, le RSA est généralisé par la loi du 1er décembre 2008. Il entre en vigueur le 1er juin 2009 en France métropolitaine et le 1er janvier 2011 outre-mer. Il se substitue essentiellement au RMI et à l’API. Il a pour but de garantir que tout retour à l’emploi, même minime, augmente le revenu disponible et d’éviter ainsi les effets de seuil entretenant les trappes à inactivité. Il comprend :

  • un minimum social (RSA socle) pour les personnes qui ne travaillent pas ;
  • un complément de revenu destiné aux travailleurs pauvres (RSA activité, remplacé en 2016 par la prime d’activité).

Les droits connexes associés au RSA sont plus restreints que ceux du RMI.

Le RSA est géré par les conseils départementaux et versé par les CAF ou la MSA. Il est financé par les départements et le Fonds national des solidarités actives (FNSA), alimenté par une nouvelle contribution de 1,1% sur les revenus du capital et du patrimoine. Supprimé en 2018, le FNSA voit ses missions transférées au budget de l’État.

Les conditions d’attribution du RSA sont similaires à celles du RMI, en particulier l’âge (au moins 25 ans, sauf pour les chargés de famille). La loi de finances pour 2010 étend son bénéfice aux 18-25 ans ayant travaillé l’équivalent de deux ans à temps plein au cours des trois dernières années. Le Rapport 2021 d’évaluation de la Stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté "recommande d’expérimenter sans délai la mise en place d’une prestation monétaire pour les jeunes en études, en emploi peu rémunéré ou en recherche d’emploi de 18 à 24 ans les plus démunis".

Tout allocataire du RSA sans emploi ou ayant un revenu d’activité professionnelle inférieur à 500 euros par mois (en moyenne sur les trois derniers mois) est soumis à des droits et devoirs. Il doit chercher un emploi ou entreprendre les actions nécessaires à une meilleure insertion sociale ou professionnelle ; en contrepartie, il bénéficie d’un accompagnement assuré par un organisme référent (Pôle emploi, par exemple) désigné par le conseil départemental ou territorial.

Les dépenses des départements liées au RSA ne cessent d’augmenter car les bénéficiaires sont de plus en plus nombreux. L’État compensant de moins en moins ces dépenses, les départements peinent à payer l’allocation. En 2019, le RSA est renationalisé dans des départements à la santé financière critique : la Guyane et Mayotte. D’autres départements suivront, dont la Réunion en 2020 et la Seine-Saint-Denis en 2021.

 

 

Un dispositif sur la sellette

Un rapport publié en janvier 2022 par la Cour des comptes évalue le RSA. Il rappelle que celui-ci est "attribué à plus de 2 millions de foyers pour une dépense annuelle de 15 milliards d’euros, la crise sanitaire ayant accru les risques de précarité" et souligne la "hausse continue du nombre de ses bénéficiaires". Il salue les succès du dispositif : la protection des allocataires contre la grande pauvreté et la suppression des trappes à inactivité. Mais il note :

  • une atteinte insuffisante du public cible à cause du non-recours, et une fraude massive. D'après un dossier de la Drees paru en février 2022, "un tiers des foyers éligibles ne recourent pas au RSA" ;
  • un accompagnement et une contractualisation défaillants : 60% des bénéficiaires ne disposent pas de contrat d’accompagnement ;
  • un accès difficile à l’emploi. Parmi les allocataires, seul un tiers a trouvé un emploi et a donc quitté le dispositif, et 65% vivent sous le seuil de pauvreté monétaire.

Pour y remédier, la Cour propose :

  • d’augmenter la couverture de la population cible en automatisant la notification d’éligibilité au RSA ;
  • d’appliquer pleinement les droits et devoirs de l’allocataire et des organismes d’accompagnement (améliorer et sécuriser le versement de l’allocation, mieux adapter l’accompagnement aux difficultés individuelles, assurer un suivi des obligations) ;
  • de responsabiliser davantage les départements et de réformer le financement, trop lourd pour eux.

En mars 2023, le gouvernement annonce vouloir simplifier l’obtention de certaines allocations, dont le RSA, afin de limiter le non-recours. La CAF adressera au bénéficiaire une déclaration préremplie, qu’il devra valider. Testé dans plusieurs départements en 2022 dans le cadre de la réforme de la solidarité à la source, ce dispositif doit se généraliser en 2025.

Vers un minimum d’activité obligatoire

Le 19 avril 2023, le Haut-Commissaire à l’emploi et à l’engagement des entreprises remet son rapport de synthèse de la concertation pour la préfiguration de France Travail. Il relève que 10% du budget du RSA est consacré à l’insertion et 90% à l’allocation, "au prix de l’explosion du nombre de personnes en situation d’exclusion et des dépenses d’allocation afférentes". Il préconise pour les plus éloignés du marché du travail, dont la plupart des allocataires du RSA, un "parcours d’accompagnement intensif" comportant 15 à 20 heures hebdomadaires d’activité et la contractualisation systématique des engagements de chacun. Il suggère d’expérimenter ce parcours dès 2023 dans quelques départements puis, après évaluation, de le généraliser d’ici à 2027.

La loi du 18 décembre 2023 pour le plein emploi s’appuie sur ce rapport. Elle doit permettre aux plus éloignés de l’emploi de réintégrer le marché du travail. Pour les demandeurs du RSA, il est prévu :

  • l’inscription automatique à France Travail dès le dépôt de leur demande ;
  • une orientation et un diagnostic global suivant un référentiel partagé ;
  • la signature obligatoire d’un contrat d’engagement incluant un plan d’action et au moins 15 heures d’activité (formation…) par semaine. Cette durée peut être aménagée en fonction de la situation du signataire. En cas de refus de signer le contrat ou de non-respect de celui-ci, un nouveau régime de sanctions s’applique, allant de la suspension à la suppression du versement de l’allocation. Entre le printemps 2023 à la fin de l'année 2024, 18 départements testent l’accompagnement rénové des allocataires du RSA.