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L'Europe numérique : une transition tournée vers l'humain

Temps de lecture  10 minutes

Par : La Rédaction

Chaque citoyen européen doit pouvoir tirer parti des avantages de la transition numérique. La stratégie numérique de l'Union européenne à l'horizon 2030 repose sur la définition de normes et de principes. Elle fixe des objectifs pour le développement numérique.

Selon les mots de la Commission européenne, "la transition numérique doit profiter à tous", aux citoyens et aux entreprises. La vision européenne est animée par trois principes :

  •      une technologie au service des personnes ;
  •      une économie juste et compétitive ;
  •      une société ouverte, démocratique et durable. 

Le 26 janvier 2022, la Commission européenne a publié une déclaration sur les droits et  principes pour la décennie numérique. Destinée à devenir "le socle constitutionnel de l’espace informationnel" européen, selon Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur, la déclaration est fondée sur le droit européen et s'appuie également sur la jurisprudence de la Cour de justice de l'UE. Elle s'inspire de l'expérience acquise à travers le socle européen des droits sociaux.

La boussole numérique que la Commission a présentée le 9 mars 2021 et la déclaration sur les droits et principes numériques de janvier 2022 constituent les pivots de la décennie numérique européenne lancée début mars 2021.

Des principes et des normes pour l'Europe numérique

La Commission européenne souhaite élaborer un cadre de normes et de principes pour une économie numérique éthique, un "numérique de valeur".

En 2017, deux tiers des Européens interrogés ont affirmé que les TIC avaient des conséquences positives sur la société, sur l’économie et sur leur vie personnelle. Ils estimaient que l’UE devait élaborer un cadre politique et des infrastructures appropriées pour tirer parti de la transformation numérique. C'est l'objet de la communication de la Commission européenne Façonner l’avenir numérique de l’Europe, publiée 19 février 2020. La mise en oeuvre de la communication a pris la forme de feuilles de route : le livre blanc sur l'intelligence artificielle (IA) et la stratégie européenne pour les données :

  • pour l'intelligence artificielle, la stratégie européenne met en garde contre le caractère potentiellement discriminatoire des algorithmes. Les IA en particulier, doivent  être systématiquement "certifiées, testées et contrôlées" tout comme le sont "les voitures, les cosmétiques et les jouets" ;
  • pour les données, l’UE affiche sa volonté de devenir "un leader". L'objectif est de créer un marché unique européen de la donnée.

Mais l'ambition européenne est d'abord le renforcement des droits des citoyens. Cette politique se construit autour de la protection des données personnelles, industrielles et publiques et de l'encadrement de l’exploitation des données anonymes. Cette posture s’inscrit dans la lignée des valeurs européennes d'une "société ouverte, démocratique et durable".

La Commission a élaboré un ensemble de principes numériques fondé sur le droit à un accès équitable aux services en ligne. Ce cadre met en avant l’importance du respect des droits fondamentaux des citoyens, une spécificité qui se démarque des stratégies développées par les autres États.

La déclaration sur les droits et les principes pour la décennie numérique de janvier 2022 comprend une série de droits et principes relatifs à la transformation numérique centrée sur les citoyens, la participation à l’espace public numérique ou encore la sûreté, la sécurité et l’autonomisation.

Pour évaluer l'application de ces droits, la Commission propose de réaliser un exercice Eurobaromètre annuel spécifiquement dédié au suivi de la perception des Européens quant au respect de leurs droits.

L'Union s'emploie également à fixer des normes internationales en matière de développement technologique en plaçant le citoyen au premier plan. C’est en dictant les règles d’une économie numérique éthique qu'elle souhaite se faire une place aux côtés des États-Unis et de la Chine.

En décembre 2020, l'Union a présenté deux importants projets de législation commune :

  • le Règlement sur les services numériques (Digital Services Act, DSA). Le texte porte sur la modération des contenus publiés sur les grandes plateformes (désinformation, incitation à la haine et à la violence, contenus pornographiques, contrefaçons, produits dangereux …). En tant qu’outil de modération des contenus illicite et de renforcement de la transparence des services numériques, le DSA une fois en vigueur, devra participer à la promotion des valeurs européennes de démocratie et de dignité humaines en ligne. ;
  • le Règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act, DMA), projet de régulation des géants du numérique. Ce texte vise à rééquilibrer le rapport de force entre le consommateur et les grandes plates-formes telles que Meta (Facebook), Google ou encore Amazon.

Le 16 décembre 2021, un an après sa présentation en Commission européenne, le Parlement européen a voté en faveur du DMA. Le Parlement européen a également adopté, le 20 janvier 2022, le projet de législation sur les services numériques (DSA)

Les négociations sont à présent engagées avec les États membres afin d'aboutir aux versions finales des textes, lesquelles seront de nouveau soumises au vote des eurodéputés.

La France qui assure depuis début janvier 2022 la présidence du Conseil de l'Union européenne, plaide en faveur d'une adoption rapide des versions finales du DSA et du DMA. Les deux textes sont appelés à servir de modèles au niveau mondial en matière de réglementation numérique, comme l'est le RGPD depuis 2018.

L’autonomie numérique à l’horizon 2030

La notion de souveraineté technologique européenne est apparue dans le débat français et européen au début des années 2000. Les considérations autour du système de positionnement satellitaire Galileo ont alors exprimé une vision de souveraineté européenne associée à la technologie.

C'est en 2010 que la Commission européenne a proposé, dans Europe 2020, un agenda numérique pour l’Europe.

En France et chez ses principaux partenaires, s'est parallèlement développée l’idée de la nécessité d’un contrôle renforcé des instruments numériques. L'affaire Snowden a contribué, à partir de 2013, à une montée en puissance de la question de la "souveraineté numérique". Le projet franco-allemand de nuage européen (cloud) GAIA X est l'exemple de l'évolution vers une plus grande sensibilité aux questions relatives à la souveraineté des données.

Les discussions autour de la 5G ont renforcé davantage encore chez les Européens la perception de la nécessité d’une souveraineté double, à la fois sur les infrastructures et sur les données.

En 2019, la Commission européenne a placé l'objectif d'établir une Europe adaptée à l'ère numérique parmi ses six priorités politiques.

Début 2020, la crise du Covid-19 a marqué un tournant : elle a non seulement accéléré la transformation numérique mais elle a également ouvert la porte à l’introduction d’une logique "souveraine" comme élément de la politique européenne de la concurrence.

Des objectifs chiffrés pour le développement numérique

Le 9 mars 2021, la Commission a présenté avec la "boussole numérique" une vision et des pistes concrètes pour la transformation numérique de l’Europe d’ici à 2030. Quatre axes sont avancés : la numérisation des compétences, des infrastructures, des entreprises et des services publics. Cette "boussole numérique" a donné le coup d’envoi de la "décennie numérique" européenne.

Parmi les objectifs chiffrés fixés d’ici 2030, on peut citer :

  • la connectivité gigabit de tous les foyers européens et la couverture de l'ensemble des zones d'activités par la 5G (en 2020, 59% disposaient du gigabit et 14% des zones urbaines étaient couvertes en 5G) ;
  • la production dans l'UE de 20% de la valeur mondiale des microprocesseurs durable ;
  • le doublement du nombre de licornes européennes (entreprises valorisées à plus d’un milliard d’euros) en partant des 122 comptées en 2021 ;
  • le niveau élémentaire d’intensité numérique atteint par plus de 90% des PME ;
  • l'utilisation par trois entreprises sur quatre des services tels que le cloud, le big data et l’intelligence artificielle ;
  • l’accélération du développement des solutions d’identité numérique régalienne nationale et le projet de création d’une identité numérique européenne pour permettre à l’Union d’atteindre l'objectif de numériser la totalité des services publics clés et des dossiers médicaux électroniques accessibles en ligne.

En 2019, l’UE comptait 7,8 millions de professionnels dans le secteur numérique dont 18% de femmes. Près des trois quarts des entreprises ne trouvent pas, à l'heure actuelle, les professionnels dont elles ont besoin. La boussole ajoute l’objectif d’au moins 20 millions de professionnels dans le secteur, en augmentant aussi la part des femmes.

Pour contrôler les progrès effectués, la Commission européenne propose de publier des rapports annuels par le biais de l’index de l’économie et de la société numériques (DESI).

La Commission propose également d'adapter les 27 marchés nationaux de l’Union européenne à l’ère numérique et de les transformer en un marché unique. Ce marché, comme l'a affirmé le Parlement européen, pourrait générer, dans l'avenir, 415 milliards d’euros par an pour l’économie européenne et créer des centaines de milliers de nouveaux emplois.

Où en sont les 27 États membres début 2022 ?

Depuis 2014, l'indice relatif à l’économie et à la société numériques (DESI) évalue les performances numériques des 27 États membres. Les indicateurs annuels (présentant essentiellement les chiffres 2020) publiés le 12 novembre 2021, ont montré des résultats divergents entre les pays.

  • Au moins 80% des citoyens de l’Union devraient posséder des compétences numériques de base à l'horizon 2030. À l'heure actuelle, seuls les pays nordiques, l’Allemagne et les Pays-Bas ont franchi le seuil des 70%, tandis que la Bulgarie et la Roumanie sont loin derrière, avec moins d’une personne sur trois qui les possèdent.
  • La Finlande et la Suède affichent la plus grande part de spécialistes des technologies de l’information et de la communication (TIC) parmi leur population active, avec respectivement 7,6% et 7,5%.
  • En ce qui concerne le très haut débit ou la fibre optique, dans la plupart des cas, on constate d’importantes inégalités. Malte affiche une couverture de 100% de ses foyers, alors que seulement 10% de la population grecque y a accès. D’autres pays offrent également une couverture très élevée, comme le Danemark (94%) et l’Espagne (92%).
  • Seulement 60% des PME européennes ont atteint le niveau d’intensité numérique élémentaire.

Quant à l’utilisation du big data, de l’intelligence artificielle (IA) ou du cloud, différentes tendances se dégagent.

  • Les pays nordiques et l’Europe de l’Ouest apparaissent plus enclins à utiliser le big data, tandis que les entreprises tchèques et autrichiennes arrivent en tête du classement lorsqu’il s’agit de l’IA.
  • Le plus grand écart concerne l’utilisation du cloud. Près des deux tiers des entreprises françaises le font, alors que ce chiffre s’élève à environ 14% et 13% pour les entreprises polonaises et roumaines respectivement.