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Dix ans après leur création, les agences régionales de santé face au Covid-19

Temps de lecture  9 minutes

Par : La Rédaction

La crise sanitaire du Covid-19 a particulièrement mis en lumière le rôle des agences régionales de santé (ARS). Les ARS sont en charge de l’organisation des soins et des actions de dépistage dans les régions. Que sont ces agences créées il y a dix ans et quel est leur bilan ?

Les agences régionales de santé (ARS) sont instaurées par la loi Hôpital, patients, santé et territoires du 21 juillet 2009 ("Loi HPST"). Les 26 agences sont installées en avril 2010 (elles ne sont plus que 17 après la création des grandes régions). Offre de soins, prise en charge médico-sociale, prévention, etc., les ARS sont chargées d'organiser la politique de santé dans les régions, de piloter et réguler l'offre de soins pour répondre aux besoins des populations locales.

Le pilotage régional du système de santé

La création des ARS s'inscrit dans une politique de territorialisation du système de santé commencée dans les années 70. Carte sanitaire des hôpitaux (premier outil de planification), observatoires régionaux de santé (années 80), schéma régional d'organisation sanitaire (Sros) en 1991, programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins (1998), une succession de réformes a renforcé l'organisation du système de santé autour de l'échelon régional.

Avant la création des ARS, de nombreux études pointent un système de santé centralisé, peu efficace et coûteux. En 1993, le rapport sur "Le système de santé à l'horizon 2010" de Raymond Soubie appelle notamment à une clarification des responsabilités de l'État et de l'assurance maladie ainsi qu'à une démocratisation du pilotage du système de soins. Les bases d'une agence régionale des services de santé (ARSS) sont posées. En 1996, la régionalisation voit le jour avec la création des agences régionales d'hospitalisation (ARH).

Disparités sociales et régionales d'accès aux soins, mortalité évitable, manque de moyens et de coordination, cloisonnement des services, augmentation des dépenses, en 2008, le rapport Ritter rend un diagnostic sans appel. Le rapport recommande de mettre en place "un pilotage unifié et responsabilisé du système territorial de santé". Ce pilotage doit être incarné par les ARS, il doit s'exercer dans les politiques de santé, l'organisation des soins et la maîtrise des dépenses.

ARS : quelles sont leurs missions ?

Les ARS sont chargées d'organiser la politique de santé dans les régions, de piloter et réguler l'offre de soins. Le pilotage de la santé publique comprend la veille et la sécurité sanitaires, le financement et l'évaluation des actions de prévention et de promotion de la santé ainsi que l'anticipation et la gestion des crises sanitaires (en lien avec le préfet).
La régulation de l’offre de santé en médecine de ville, à l'hôpital et dans le secteur médico-social (aide aux personnes âgées et handicapées) implique notamment de :

  • coordonner les activités, réguler, orienter et organiser l’offre de services en santé ;
  • fournir le budget ;
  • évaluer et promouvoir la qualité des formations des professionnels de santé ;
  • autoriser la création des établissements et services de soins et médico-sociaux et contrôler leur fonctionnement ;
  • définir et mettre en place des actions pour prévenir le "risque assurantiel" (la probabilité qu'un dommage se produise) avec l'assurance maladie et la Caisse nationale de solidarité et d’autonomie.

Les agences contribuent au respect de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam).

Dans son rapport 2012 sur la sécurité sociale, la Cour des comptes voit dans la création des ARS "une forme de décentralisation fonctionnelle de certaines responsabilités, engagée pour la première fois à l'échelon territorial et jugée souhaitable pour permettre de disposer des marges d'initiative et d'autonomie indispensables pour une approche plus partenariale des politiques de santé".

    Dix ans après, quel bilan ?

    La mise en place des agences régionales de santé a-t-elle atteint ses objectifs ? 

    En 2014, la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) dresse un premier bilan des ARS "une innovation majeure, un déficit de confiance". Les parlementaires pointent des dysfonctionnements dans le pilotage national de la politique de santé et une coordination insuffisante (fonctionnement en "tuyaux d'orgues"). La mission  recommande d'équilibrer les pouvoirs autour du directeur de l'ARS, de donner plus d'autonomie et de faire confiance aux acteurs de terrain. Elle insiste sur la nécessité de donner plus de moyens financiers aux agences pour les soins de ville.

    Quatre ans plus tard, un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur "Le pilotage de la transformation de l’offre de soins par les ARS" étudie la mise en place de la stratégie nationale Ma santé 2022. Cette stratégie, reprise dans la loi relative à "l’organisation et à la transformation du système de santé " du 24 juillet 2019, fixe de nouveaux objectifs pour le pilotage territorial de l'offre de soins. L'IGAS met en garde sur les éléments suivants :

    • l'analyse des besoins de la population ne débouche pas toujours sur une meilleure accessibilité et qualité des soins ;
    • les agences doivent disposer de moyens humains et budgétaires suffisants pour une plus grande autonomie d'action. Leur autorité de tutelle doit pour cela "se recentrer sur les objectifs et les résultats et non sur les moyens".

    Claude Evin, ancien ministre de la santé et ancien directeur de l'ARS d'Ile-de-France pendant six ans, publie le 31 mars 2020, à l'occasion des dix ans des ARS, un bilan global de cette "déconcentration régionale". Il souligne les avancées suivantes :

    • la mise en place d'une gouvernance régionale unifiée ;
    • l'importance du "rapprochement entre les services de l’État et de l’assurance maladie dans les régions" (plan pluriannuel régional de gestion du risque et d’efficience du système de soins) ;
    • un "renforcement de la démocratie sanitaire" grâce à la concertation ;
    • le succès des délégations départementales des ARS, fortement demandées par les acteurs de santé ;
    • une meilleure analyse des besoins locaux.

    Pour Claude Evin, le bilan des agences est plutôt positif. Le pilotage du système de santé au niveau régional a été renforcé. En revanche, cette nouvelle organisation n'a pas été prise en compte au niveau national. Pour achever la territorialisation de la politique de santé, il faut encore que les directions centrales du ministère de la santé évoluent "dans leur culture, leur organisation et leur fonctionnement encore très marqués par une démarche top down avec des services déconcentrés." 

    La crise sanitaire provoquée par le Covid-19, qui démarre quelques semaines avant le dixième anniversaire des ARS, a un fort impact sur le fonctionnement des ARS.

    Les ARS au centre de la crise sanitaire du Covid-19

    Dans la gestion de la crise sanitaire, les ARS remplissent un rôle central. Elles sont impliquées dans l'organisation de la prise en charge des malades, la réorganisation des hôpitaux, l’approvisionnement des matériels, la politique de tests à grande échelle et le suivi des personnes ayant été en contact avec un malade de la Covid-19 (contact tracing). Elles sont également intervenues dans l’organisation du déconfinement.

    Concrètement, cela consiste en la délivrance d’autorisations d’activités de soins transitoires et exceptionnelles aux établissement hospitaliers (transformation des lits des unités de surveillance continue et de soins intensifs en lits de réanimation Covid-19), la mise en place de plateformes pour les renforts des professionnels de santé permettant d’équiper et rendre disponibles des lits supplémentaires, d’assurer des relèves et de répartir la charge de travail, l'équipement de lits de réanimation, la coordination et la planification des transferts de patients en intra-régional, la mise en place de dispositifs d’appui aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes - EHPAD, l'élargissement du recours aux téléconsultations, etc.

    Pourtant, face à la pénurie de masques et de matériels, au manque de lits dans les hôpitaux, au retard dans le lancement des tests, les ARS font l'objet de vives critiques des élus, soignants et collectivités territoriales pour la gestion de la crise sanitaire.

    Lors de la table ronde "La coordination collectivités territoriales - Agences régionales de santé, un premier bilan" organisée le 28 mai 2020 par la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, les élus locaux entendus dénoncent des agences "inadaptées à la gestion de l'urgence", "incapables de gérer les flux, les livraisons et les stocks", souffrant "d'un juridisme permanent et du principe de précaution poussé à l'extrême" et rendant des "décisions opaques". À l'inverse, le sociologue Frédéric Pierru met en garde contre la tentation de faire des ARS des boucs émissaires. Selon lui, c'est la territorialisation des politiques de santé qui n'a pas été réalisée. Il met en évidence les pouvoirs limités des ARS. Les agences "n'ont jamais eu la main sur la médecine libérale et la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) a conservé son pré carré (...) Les ARS devaient avoir la main sur tout le système de soins et elles ne contrôlent en fait que le seul hôpital. Ce contrôle est en outre étroitement bordé par l'échelon national."

    De son côté, la mission indépendante nationale sur l'évaluation de la gestion de la crise Covid-19, dans son rapport d’étape publié en octobre, pointe des déficits d’anticipation, de préparation et de gestion de la crise sanitaire. Les experts indépendants recommandent notamment de se pencher sur "le manque de dialogue entre les ministères, l'organisation complexe des relations entre le ministère de la santé et les ARS et instances qui l’entourent, une difficulté d’articulation entre agences régionales de santé et préfectures."

    Plus largement, c'est l'organisation du système de santé qui fait débat : faut-il aller vers plus de centralisation pour mieux lutter contre les inégalités territoriales ou, au contraire, faut-il décentraliser davantage vers des échelons de proximité ?