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Gestion municipale : le développement des budgets participatifs

Temps de lecture  7 minutes

Par : La Rédaction

Donner son avis sur les orientations des dépenses locales est déjà possible dans 80 communes en France. Après un développement confidentiel au tournant des années 2000, les budgets participatifs connaissent un regain d’intérêt depuis les élections municipales de 2014.

Un dispositif qui permet à des citoyens non élus de participer à la conception ou à la répartition des finances publiques, telle est la définition du budget participatif, proposée par Yves Sintomer, professeur de science politique. De plus en plus utilisé, le budget participatif peut-il être un véritable outil au service de la démocratie citoyenne ?

Budget participatif : de quoi parle-t-on ?

Soumettre aux voix des habitants une partie des dépenses d’investissement de leur commune (5% en moyenne), c'est le principe du budget participatif.

Le mode de décision (réunions et vote physique, plateforme en ligne), le montant et la nature des projets financés peuvent varier largement d’un projet à l’autre.

Les villes de Paris ou Rennes, par exemple, ont choisi de réserver 5% du montant des investissements communaux au budget participatif, d’autres communes ont des objectifs plus modestes, de 1 à 2%.

La mise en oeuvre d'un budget participatif comprend les étapes suivantes :

  • choix d’un montant et de critères de sélection ;
  • appel à projets avec ou sans présélection des habitants ;
  • étude et chiffrage des projets par les services municipaux ;
  • campagne de mobilités par les porteurs de projets ;
  • vote ;
  • réalisation des projets.

Soit les habitants définissent des priorités dans les choix budgétaires et chargent des délégués de porter leurs projets auprès des services de la ville (modèle pyramidal), soit tous les habitants peuvent prendre part à la décision, de la proposition au vote (modèle horizontal). Ce modèle dit horizontal représente 90% des budgets participatifs en 2018.

Les projets peuvent concerner des projets d’aménagement de proximité (jardins partagés, bibliothèques de rue, équipements pour pistes cyclables) ou des projets plus structurants (projet de jardins flottants sur la Vilaine à Rennes par exemple). Les habitants cherchent avant tout à améliorer leur cadre de vie (aménagement de l’espace urbain, la nature en ville, l'agriculture urbaine, les modes de circulation douce ou les équipements culturels et sportifs). Ils proposent aussi des projets de solidarité (véhicules d'assistance, lieux dédiés à l'accueil du public, espaces de travail partagé...).

Qu’est-ce qu’un budget participatif ? Mis en oeuvre dans 80 municipalités (soit 6 millions d’habitants), un budget dédié (en moyenne 5% du budget local), des projets élaborés par les habitants  (ex : bacs à fleurs, nichoirs à oiseaux, aires de jeux d’enfants), la commune s’engage à réaliser les projets-lauréats

L’idée est née à Porto Alegre au Brésil, capitale de l’altermondialisme. Dès 1989, la ville a été la première à associer les citoyens aux décisions budgétaires. Considérée à la fois comme outil de démocratisation de la vie politique et comme moyen de redistribution des richesses et de justice sociale, l’idée s’exporte d’abord au Brésil puis dans toute l’Amérique latine avant de séduire des villes en Chine, en Afrique et de gagner l’Europe.

Morsang-sur-Orge (Essonne) et Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) sont les premières villes en France à lancer un budget participatif en 1995 et 1997.

Après un premier essor au tournant des années 2000, les budgets participatifs avaient quasiment disparu en 2014 : seulement six communes en proposaient. Le système s’est de nouveau développé après les élections municipales de 2014 : 26 communes en 2016, 46 en 2017, 80 en 2018, 150 collectivités en 2019 (communes, département et régions, voire des facultés à Lille et Rennes). Cette pratique reste toutefois très minoritaire au regard des quelque 35 000 communes françaises.

Les grandes villes sont toujours plus nombreuses à s’engager : Paris et Metz en 2014, Grenoble, Montreuil ou Rennes en 2015, Lille, Angers, Le Mans ou Rennes en 2018, puis Strasbourg, Nice... Selon l’enquête annuelle du site les budgets participatifs, la commune-type engagée dans un budget participatif compte un peu plus de 25 000 habitants. Près d’un tiers des budgets participatifs est réalisée par des villes de moins de 50 000 habitants. 

L’Île-de-France concentre plus du tiers des budgets participatifs.

Un outil de participation citoyenne

Le budget participatif contribue à la participation citoyenne. De nombreux outils ont été développés pour favoriser cette participation et recréer du lien social : pétitions, consultations, référendums locaux à l’initiative de la collectivité, voire des dispositifs plus pérennes (comités consultatifs, conseils citoyens, conseils de développement, conseils de quartier). Ces dispositifs répondent à l’aspiration d’une démocratie plus participative, plus directe et plus concrète, avec parfois aussi un objectif de justice sociale. Cependant, comme le note la commission des lois de l'Assemblée nationale, les différents organes de participation citoyenne sont souvent dépourvus de moyens, au risque de démotiver les participants.

La singularité du budget participatif tient au pouvoir concédé par la collectivité à des citoyens non élus de proposer, voter et donc décider de projets pour leur ville. Il est ouvert à tous les habitants.

La participation citoyenne médiane à un budget participatif reste faible et s’établit à 3,9% alors que le taux de participation aux élections municipales de 2014 a atteint 63,5%.

Pour ses détracteurs, le budget participatif ne permettrait que la réalisation de projets très consensuels, voire mineurs. Un élu sur le terrain serait suffisamment à l’écoute de ses administrés pour ne pas à avoir à passer par cet outil. Pour d'autres élus 5% des investissements, c'est trop peu, et ils souhaiteraient généraliser le dispositif à l’ensemble des choix budgétaires, dans la lignée de ce qui se fait à Porto Alegre.

Le groupe de travail sur la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne, créé au sein de l’Assemblée nationale, identifie aussi des freins au développement du budget participatif :

  • la fracture numérique. Les plateformes de participation en ligne (civic tech) équipent de nombreuses collectivités. Elles articulent le budget participatif et accompagnent l’habitant du dépôt au vote en passant par l’information sur les projets déposés et ceux déjà votés et en cours de réalisation. Pour éviter le décrochement de la population en particulier dans les territoires les plus fragiles touchés par la fracture numérique, les villes doivent davantage accompagner les projets par des moyens humains, développer le vote papier et renforcer la communication régulière sur les projets ;
  • le déficit d’information peut aussi être un handicap. La sous-directrice à la direction de la démocratie des citoyens et citoyennes et des territoires des territoires de la Ville de Paris explique par exemple : "les premières années nous avons reçu de nombreux projets relatifs à l'environnement des stations de métro et il a fallu expliquer que cela relevait de la compétence du Stif et de la RATP".

Le budget participatif a également des vertus pédagogiques. Il invente un rapport nouveau entre élus et citoyens, à la fois dans la manière d’exercer un mandat et de faire de la politique. En novembre 2019, pour élargir le dispositif de budget participatif à tous les territoires qui font de la participation citoyenne un vecteur de transformation, les maires de Paris, Rennes, Montreuil et Grenoble ont annoncé la création du Réseau national des budgets participatifs.

Un avis sur la projet de loi de finances pour 2020 sur les relations avec les collectivités territoriales souligne que la plupart des innovations en matière de participation locale se déroule hors de tout cadre légal, et propose une loi-cadre pour clarifier le cadre applicable aux budgets participatifs par exemple.

Peut-on par ailleurs envisager une transposition au niveau national ? C'est le sens d'un amendement au projet de loi de finances pour 2020 qui propose un dispositif à l’échelle du pays à partir d’une fraction de recettes de l’impôt sur le revenu, pour une mise en œuvre à compter du 1er janvier 2022. Un budget participatif au niveau national est déjà une réalité au Portugal, une disposition inscrite dans la Constitution depuis 1982.