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Lutte contre l’évasion fiscale : une nécessaire coopération internationale

Temps de lecture  13 minutes

Par : La Rédaction

La lutte contre l'évasion fiscale est une priorité des États et des organisations internationales. Depuis 2008, des mesures ont permis d’accroître la coopération administrative entre les États et de limiter les stratégies d’optimisation fiscale. Des négociations sont en cours au sein de l'OCDE en vue de l'adoption d'un taux minimal d'imposition.

L’évasion fiscale s’entend comme l’ensemble des comportements du contribuable, particulier ou entreprise, visant à réduire le montant des impositions dont il doit légalement s’acquitter. Fondée sur le transfert du patrimoine vers un autre pays au régime fiscal plus avantageux, l’évasion fiscale apparaît comme une notion ambiguë, à la frontière entre la fraude et l’optimisation fiscale.

Si la fraude cherche à abaisser le montant de l’impôt, elle repose cependant sur des moyens illégaux. L’évasion fiscale se rapproche davantage de l’optimisation fiscale, qui vise à réduire la charge fiscale par une utilisation pertinente de la réglementation. Selon un rapport de l'Assemblée nationale consacré à l'évasion fiscale internationale des entreprises, "l'évasion, non définie en droit français, a en commun avec la fraude la volonté de ses auteurs de contourner la norme fiscale en vigueur dans le but d'éluder l'impôt, mais repose sur des mécanismes réguliers ou en apparence réguliers".

Un exemple : le double irlandais ou le sandwich hollandais

Parmi les principales méthodes employées, la manipulation des prix de transfert, c'est-à-dire des transactions transfrontalières entre filiales d'un même groupe, vise à réduire le taux de taxation du bénéfice. La technique du "double irlandais", autrement appelé "sandwich hollandais", consiste à utiliser des filiales et holdings inscrites dans les paradis fiscaux afin de tirer avantage des législations de ces pays.

 

Une ampleur difficile à évaluer

En raison du caractère opaque de ces opérations, l’évasion fiscale est par nature difficile à évaluer. Plusieurs rapports ou études ont donné des chiffres variables :

  • pour le rapport de la mission d’information sur la lutte contre les paradis fiscaux présenté par Alain Bocquet et Nicolas Dupont-Aignan à l’Assemblée nationale en 2013, l’évasion fiscale s’élèverait à 3% du PIB de la France ;
  • une étude du syndicat Solidaires finances publiques, citée par le rapport de l'Assemblée nationale sur l'évasion fiscale des entreprises, évalue les pertes fiscales en France dues aux pratiques illégales dans une fourchette allant de 60 à 80 milliards d'euros par an ;
  • l'Université des Nations unies avance un chiffre de 18 milliards d'euros par an de perte de recettes pour la France ;
  • dans le cadre du projet BEPS (base erosion and profit shifting), l'OCDE évalue le montant des pertes pour la France entre 2,4 et 6 milliards d'euros ;
  • dans un rapport publié en mai 2013, la Commission européenne estime pour sa part que les États membres de l’Union européenne (UE) seraient privés de près de 1 000 milliards d’euros. 

La complexification de la finance internationale et le caractère immatériel de l’économie numérique ont pu encore accroître les montants de l’évasion fiscale depuis les années 1990.

Les conséquences budgétaires et sociales sont importantes. Les capitaux transférés dans des structures privilégiées sont autant de ressources qui n’alimentent pas les économies nationales, obligeant les États à accroître leur endettement public ou leurs impôts, afin de maintenir leur niveau de dépenses publiques.

L’évasion fiscale est ressentie comme une injustice. Sur le plan social, les ménages qui la pratiquent (et qui sont souvent des ménages à hauts revenus) réduisent ainsi leur part dans le financement des biens collectifs. Sur le plan économique, les entreprises qui n’utilisent pas l’évasion fiscale souffrent d’une distorsion de concurrence et d’un déficit de compétitivité. Enfin, sur le plan politique, les faibles résultats de l’action de certains États pour contrer l’évasion fiscale peuvent accroître le sentiment de défiance envers l’autorité publique.

Lutter contre l’évasion fiscale nécessite la mise en place de règles internationales et européennes. Or la fiscalité est un secteur marqué par son caractère souverain et son rôle d’instrument d’attractivité économique. Dépassant leurs prérogatives nationales, il s’agit pour les États de s’accorder sur un certains nombres de points comme la remise en cause du secret bancaire, l’établissement de la liste des paradis fiscaux au niveau international, l’harmonisation fiscale, l’échange d’informations, la mise en place du Paquet sur la lutte contre l’évasion fiscale au niveau européen.

Des mesures internationales pour éviter l'évasion fiscale

La remise en cause du secret bancaire
Le secret bancaire désigne l’obligation pour les établissements bancaires de ne pas donner d’informations sur leurs clients à des tiers. À la suite de la crise de 2008 et de l’affaire UBS (la banque suisse a été condamnée pour démarchage bancaire illégal et blanchiment aggravé de fraude fiscale), le secret bancaire a été remis en cause au G20 de Londres qui pose, en 2009, le principe de sanctions à l’égard des États refusant de coopérer.

Conséquence de la décision du G20, la Suisse a, par exemple, révisé plusieurs conventions bilatérales et signé le Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA) avec les États-Unis. Cette réglementation oblige les banques à déclarer les Américains titulaires de comptes financiers à l'administration fiscale américaine. En 2014, 65 États se sont engagés à appliquer la nouvelle norme commune de déclaration automatique, publiée sous l'égide l'OCDE, prévoyant des échanges annuels relatifs aux comptes financiers. Enfin, depuis 2018, tous les États européens ont accepté l’échange automatique d’informations, à intervalle régulier, entre administrations fiscales sur leurs clients européens.

La dénonciation des "paradis fiscaux"
L'évasion fiscale est facilitée par les "paradis fiscaux", régions ou États qui proposent des structures privilégiées pour des placements financiers. L’OCDE définit les paradis fiscaux selon quatre critères :

  • des impôts inexistants ou très faibles ;
  • l’absence de transparence ;
  • une législation empêchant l’échange d’informations ;
  • la tolérance envers les sociétés-écran.

Pour contribuer au respect des mêmes normes par tous les États, l'existence des paradis fiscaux a été dénoncée au niveau international. L'OCDE a identifié un certain nombre de paradis fiscaux en 2000 et elle en a publié la liste. Depuis, cette liste a été mis à jour, les territoires mis en cause ayant pris l'engagement de mettre en oeuvre les principes de l'OCDE en matière de transparence et d'échange effectif de renseignements en matière fiscale. Il n'y a plus aucune juridiction dans la liste des paradis fiscaux non coopératifs du comité des affaires fiscales de l'OCDE.

L'Union européenne alimente également une liste des juridictions fiscales non coopératives. La liste est établie sur des critères définis lors du Conseil ECOFIN du 8 novembre 2016.
Au 22 octobre 2020, la liste compte 12 juridictions fiscales non coopératives : Samoa américaines, Anguilla, Dominique, Fidji, Guam, Palaos, Panama, Samoa, Seychelles, Trinité-et-Tobago, îles Vierges américaines, Vanuatu.

La mise à jour de la liste française des États et territoires non coopératifs

Un arrêté du 26 février 2021 modifie la liste des États et territoires non coopératifs en matière fiscale établie en 2020. Les Bahamas et Oman sont ainsi retirés de cette liste ; la Dominique et les Palaos sont ajoutées. La nouvelle liste comprend les États et territoires suivants :

  • Anguilla
  • îles Vierges britanniques
  • Panama
  • Seychelles
  • Vanuatu
  • Dominique
  • Fidji
  • Guam
  • îles Vierges américaines
  • Palaos
  • Samoa américaines
  • Samoa
  • Trinité-et-Tobago

La négociation internationale contre l'évasion fiscale des entreprises
Un rapport déposé en avril 2021 à l'Assemblée nationale souligne la nécessité d'aborder la question de l'évasion fiscale des entreprises dans un contexte international très favorable à la lutte contre ce phénomène.

Des négociations, qui devraient aboutir courant 2021, sont en cours à l'OCDE. Elles visent à articuler une réforme autour de deux piliers :

  • la reconnaissance aux juridictions de marché du droit d'imposer une partie du bénéfice tiré de certaines activités ;
  • un taux d'imposition minimal des bénéfices des entreprises, au niveau mondial, qui pourrait être de 12,5%.

Le but de ces mesures est de rendre l'évasion fiscale inintéressante pour les entreprises, voire inutile en termes d'économies sur l'impôt. Les recettes fiscales au niveau mondial pourraient ainsi être de 100 milliards de dollars en tenant compte du global intangible low-taxed income (GILTI) mis en place aux États-Unis après 2017.

Qu'est-ce que le GILTI ?

Il s'agit d'un taux d'imposition minimal. Dans le cas où des entreprises américaines engrangent des profits à l’étranger et qu’ils sont inférieurs au taux minimal de 13,125%, elles devront payer la différence (définition donnée par la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l'Assemblée nationale). Par ailleurs, l'acronyme GILTI est proche du mot guilty, qui signifie "coupable" en anglais.

 

Des mesures européennes pour l'harmonisation fiscale

Le projet européen d’harmonisation fiscale
L'harmonisation du droit fiscal des États membres est un objectif de l'Union européenne qui va au-delà de la lutte contre l'évasion fiscale.

Une proposition de directive a été présentée par la Commission européenne en vue de créer un système unique pour déterminer le revenu imposable des entreprises transnationales. Le projet prévoit la mise en place d'une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés (ACCIS). Avec l'ACCIS, la Commission poursuit deux objectifs : réduire le poids des démarches administratives pour les entreprises et lutter contre l'évasion et l'optimisation fiscales. Rendue obligatoire pour les grands groupes, elle permettrait de rendre obsolète l’utilisation de prix de transfert au sein de l’UE. Le Parlement européen a adopté une résolution législative sur la proposition de directive le 15 mars 2018. La directive doit cependant être adoptée à l’unanimité par le Conseil.

L’échange d’informations
La Commission a également présenté une proposition de directive visant à instaurer un échange automatique et obligatoire d'informations en matière fiscale, notamment pour les rescrits fiscaux et les arrangements préalables en matière de prix de transfert (APA).

APA et rescrits fiscaux : de quoi s'agit-il ?

Selon le rapport de l'Assemblée nationale sur l'UE et la lutte contre l'optimisation fiscale, "le rescrit et l’APA sont des décisions fiscales anticipées transmises par une autorité fiscale à un contribuable qui définissent la manière dont son imposition sera calculée pour une période donnée. Tous les États membres accordent des rescrits fiscaux, sous différentes formes. Un rescrit n’est pas illégal en soi. Au contraire, il apporte une certaine sécurité juridique à l’entreprise. Néanmoins, il peut fausser la concurrence lorsqu'il est utilisé pour octroyer des avantages fiscaux sélectifs à une entreprise par rapport à ses concurrents. Les rescrits facilitent ainsi la planification fiscale agressive lorsque des entreprises en profitent pour transférer artificiellement leurs bénéfices dans un État membre qui offre un faible niveau d’imposition".

La directive du 25 mai 2018 relative à l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières est transposée en France par une ordonnance du 21 octobre 2019.

D'autres mesures contraignent les contribuables et intermédiaires financiers à transmettre un ensemble d’informations aux administrations fiscales. La loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires oblige les banques à publier des données concernant leurs activités dans les paradis fiscaux. Depuis 2016, chaque multinationale ayant des comptes consolidés et un chiffre d'affaires dépassant les 750 millions d'euros doit transmettre sa déclaration fiscale pays par pays à l’administration française.

Le document de politique transversale "Lutte contre l'évasion et la fraude fiscales" du projet de loi de finances pour 2021 montre les progrès réalisés en France dans le domaine de la coopération administrative internationale en matière fiscale. La France a ainsi obtenu en 2019, dans le cadre de l'échange automatique sur les comptes bancaires, des informations sur plus de 4,5 millions de comptes bancaires détenus par des résidents fiscaux français à l'étranger. 

Le paquet sur la lutte contre l’évasion fiscale
Tout comme le projet BEPS conduit dans le cadre de l'OCDE et du G20, le paquet sur la lutte contre l’évasion fiscale de 2016 a pour objectif de garantir que les entreprises soient imposées là où elles réalisent leurs bénéfices.

La directive anti tax avoidance directive (ATAD) du 12 juillet 2016 définit des mesures anti-abus juridiquement contraignantes qui visent les principales formes d'évasion fiscale pratiquées par les grandes multinationales. Les États-membres sont tenus de les appliquer depuis le 1er janvier  2019. Désormais, dans le calcul de l'impôt sur les sociétés, les revenus d'une filiale étrangère sont réattribués à sa société mère. Pour limiter la réduction artificielle des bénéfices d’une entreprise par la réalisation de prêts internes, la directive plafonne le montant autorisé des paiements d’intérêts qu’une entreprise peut déduire par année fiscale. La directive a été transposée en droit français par la loi de finances pour 2019.

Des mesures fiscales européennes concernant le secteur numérique
Le caractère immatériel de l'économie numérique est aussi un facteur d'évasion fiscale. L'année 2018 voit l'échec des négociations sur le "paquet numérique" européen, qui consistait à reconnaître des établissements stables virtuels sur la base d'une présence numérique significative (proposition de directive COM(2018) 147 final) et à créer une taxe sur les services numériques (proposition de directive COM(2018) 148 final). La Commission européenne travaille désormais à la mise en place d'un dispositif fiscal concernant les entreprises numériques (digital levy ou "prélèvement numérique"). Selon le rapport d'avril 2021 sur l'évasion fiscale des entreprises, la consultation publique européenne qui s'est tenue entre le 18 janvier 2021 et le 12 avril 2021 a permis d'identifier trois pistes de réforme :

  • une hausse de l'impôt sur les sociétés pour les entreprises qui ont certaines activités numériques dans l'UE ;
  • une nouvelle taxe sur le chiffre d'affaires tiré de certaines activités numériques au sein de l'UE ;
  • une nouvelle taxe sur les transactions numériques entre entreprises réalisées au sein de l'UE.