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Programmes scolaires d'histoire : un enjeu politique ?

Temps de lecture  7 minutes

Par : La Rédaction

La controverse entourant les programmes d’histoire a pris une ampleur inédite ces dernières années. Derrière les polémiques se pose une véritable question : celle de la vision du monde que l’on souhaite inculquer aux futures générations.

"On n’apprend plus l’histoire de France à nos enfants" : histoire d’une protestation

L’évolution des programmes d’histoire
Le débat actuel plonge ses racines dans les années 1970. À cette époque l’enseignement de l’histoire s’ouvre aux évolutions de la discipline historique, alors sous l’influence de l’École des Annales. Ce courant historique fondé à la fin des années 1920 se caractérise par :

  • une approche centrée autour de "problèmes" qui questionnent le passé ; 
  • un prisme "global" (mise en relation des espaces et des périodes) ;
  • l’importance de l’histoire économique et sociale.

Dans les programmes, cette évolution se traduit notamment par l’introduction d’objectifs thématiques et de l’histoire des civilisations extra-européennes. 

C’était mieux avant ? 
Bien acceptés dans leur ensemble, les nouveaux programmes sont toutefois dénoncés par certaines personnalités. "On n’apprend plus l’histoire de France à vos enfants !" s’insurge Alain Decaux, en 1979, dans les pages du Figaro. Cette formule restée célèbre devient le slogan d’une opposition de tendance conservatrice au nouvel enseignement de l’histoire. Celle-ci entend dénoncer ce qu’elle perçoit comme l’effacement de la chronologie et de l’histoire nationale dans les programmes, une évolution jugée idéologique. 

Une référence : l’école de la IIIe République
L’évolution des programmes est généralement critiquée au nom d’une conception de l’histoire héritée de la IIIe République (1870-1940). À cette époque, l’enseignement de l’histoire a une double fonction identitaire et civique. Il s’appuie sur l’apprentissage d’un "récit national" qui situe les racines de la France moderne en Gaule, voire dans l’Antiquité, et vise à éveiller le patriotisme des jeunes élèves autant qu’à en faire de bons citoyens. Par opposition, les nouveaux programmes sont accusés de brouiller les repères chronologiques des élèves et d’affaiblir leur sentiment national. 

Vers une crispation du débat ? 
La question des programmes d’histoire enflamme à nouveau l’opinion publique en 2010 dans le contexte des débats sur l’identité nationale. Le président de la République Nicolas Sarkozy projette notamment la création d’une Maison de l’histoire de France, institution muséale dont le caractère jugé identitaire se heurte à l’opposition d’une majorité d’historiens. La controverse ressurgit durant la présidentielle de 2012, puis à l’occasion de la publication des nouveaux programmes scolaires du cours préparatoire à la classe de troisième en 2015. Accusé par certains de remettre en cause le récit national, le Conseil supérieur des programmes (CSP) est alors contraint de revoir sa copie, s’attirant les foudres d’une autre partie de l’opinion. Cette situation culmine lors de l’élection présidentielle de 2017, où certains candidats font de cette question un véritable thème de campagne. Dans un entretien au Point en août 2023, le président de la République Emmanuel Macron déclare souhaiter une refonte des programmes d'histoire et d'instruction civique.

Derrière les polémiques, la question du rôle de l'histoire

L’histoire, pour quoi faire ? 
Si tout le monde s’accorde sur le fait que l’histoire est une matière indispensable, il existe de profonds désaccords sur le rôle qui devrait lui être attribué. S’opposent en effet les tenants d’une histoire "identitaire" visant à construire l’attachement de l’élève à son pays, et ceux d’une histoire "scientifique", dont la fonction première serait plutôt d’offrir à l’élève une grille de lecture critique du monde contemporain. 

Histoire "globale", "connectée" : de quoi s’agit-il ? 
L’histoire globale est un courant historique apparu aux États-Unis dans les années 1980 qui insiste sur la nécessité de dépasser les cadres nationaux pour comprendre l’évolution des sociétés à partir des interactions entre différents espaces. Caractéristique d’une vision "progressiste" de l’histoire, cette approche conduit à remettre en cause la notion d’identité nationale au profit d’une notion d’identité plurielle résultant des liens que la France a entretenu avec son dehors (Europe, anciennes colonies, etc.) tout au long de l’histoire. Solidaire d’une conception scientifique de la discipline, cette approche vise à initier les élèves aux raisonnements historiques et à leur fournir les outils critiques pour se repérer dans le monde contemporain. 

Qu’entend-on par "roman national" ? 
L’expression de "roman national", qui apparaît pour la première fois sous la plume de l’historien Pierre Nora dans son ouvrage Lieux de mémoire (1992), fait référence à la conception de l’histoire comme récit d’un passé national glorieux centré sur la succession des évènements et les grands personnages, telle qu’on pouvait la trouver dans les manuels d’Ernest Lavisse entre 1884 et les années 1950. Cette approche se caractérise aussi par son opposition à toute notion de repentance, ou l’idée que la France devrait reconnaître (voire réparer) les erreurs de son passé. 

La chronologie a-t-elle disparu ? 
Si l’influence de l’École des Annales a conduit à relativiser l’approche évènementielle ("histoire-récit") au profit d’une approche plus thématique ("histoire-problème"), les programmes d’histoire ont toujours conservé une dimension chronologique essentielle à la discipline. Ainsi la répartition des thèmes sur les années de collège et de lycée suit-elle toujours un ordre chronologique (étude de l’Antiquité en classe de sixième, du Moyen Âge en cinquième, etc.). Outre l’aspect thématique, l’impression d’une disparition de la chronologie provient également de l’évolution des manuels scolaires. Conçus comme des bases de données de documents et d’exercices à disposition des professeurs, ceux-ci ont en effet perdu l’aspect essentiellement narratif qui les caractérisait autrefois.  

Programmes et manuels, une confusion courante

Qui écrit les programmes ? 
Depuis la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de 2013, les programmes sont élaborés par le Conseil supérieur des programmes. Cette instance placée auprès du ministère de l’éducation nationale est composée d’élus (députés et sénateurs), de représentants du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et d’experts (universitaires, chercheurs, spécialistes du système éducatifs). Ces derniers sont nommés par le ministre de l’éducation nationale, qui nomme également le président et le vice-président. Les projets de programme sont élaborés à la demande du ministre, qui peut choisir ou non de les adopter après avis du Conseil supérieur de l’éducation (CSE). 

Les manuels, une interprétation des programmes
À la différence des programmes avec lesquels ils sont souvent confondus, les manuels scolaires relèvent de l’édition privée et non du ministère de l’éducation nationale. Ils constituent une interprétation plus ou moins libre des programmes officiels, et le choix de leur adoption revient à l’établissement ou au professeur. Enfin, il est à noter que les professeurs disposent d’une liberté pédagogique à l’égard des programmes. La chaîne éducative est donc composée de trois chaînons – programmes, manuels et professeurs – dont la confusion a parfois mené à des polémiques injustifiées. 

Les programmes d’histoire du lycée pour la rentrée 2019 ont été publiés au Bulletin officiel du 22 janvier 2019. Ils s’apparentent à un compromis entre les différentes visions concurrentes de l’histoire scolaire.