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Union européenne - États-Unis : vers la reprise des négociations commerciales

Temps de lecture  8 minutes

Par : La Rédaction

Lundi 15 avril 2019, les États membres de l’Union européenne ont donné leur accord à l’ouverture de négociations commerciales avec les États-Unis, malgré l’opposition de la France et la méfiance des eurodéputés. Quelles sont les raisons d’une reprise des discussions entre les protagonistes et quels sont les sujets ouverts à la négociation ?

Lancées officiellement en 2013, les discussions entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis en vue de l’adoption d’un traité de libre-échange (le "TAFTA") ont été arrêtées en 2016 faute d’accord entre les deux parties. Depuis le 15 avril 2019, la Commission européenne est mandatée par les États de l’UE pour ouvrir un nouveau cycle de négociations avec les États-Unis.

Quel mandat pour la Commission européenne ?

Le Conseil européen du 15 avril 2019 mandate la Commission européenne pour négocier deux accords avec les États-Unis :

  • un accord commercial pour supprimer les droits de douane sur les produits industriels ;
  • un accord sur l’élimination des obstacles non tarifaires.

Alors que les précédentes négociations portaient sur un grand nombre de secteurs économiques, le nouveau cadre de négociation est plus restreint. Il se limite à l’élimination des droits de douane sur les biens industriels et la pêche et à un rapprochement des normes et des réglementations. Les domaines de l’agriculture, des services ou des marchés publics sont, pour le moment, exclus des négociations en raison des nombreuses divergences entre les deux parties sur ces points.

Le mandat précise qu’aucun accord ne peut être conclu tant que les droits d’importation décidés par les États-Unis sur l’acier et l’aluminium européens sont en vigueur. En outre, l’UE pourra interrompre unilatéralement les négociations si les États-Unis décident de nouvelles taxes sur les produits européens.

Il précise aussi que le mandat accordé à la Commission en 2013 pour la négociation sur le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI), qui devait déboucher sur la signature du TAFTA, est obsolète.

Pourquoi une reprise des négociations ?

À la suite de la décision des États-Unis de sortir de l’Accord de Paris sur le climat, les Européens se sont d’abord opposés à une reprise des négociations commerciales, considérant le respect des accords mondiaux en matière de lutte contre le réchauffement climatique comme un préalable à la reprise de négociations.

En mars, lors d’un vote au Parlement européen, le mandat de négociation commerciale, dans sa forme actuelle, n’avait pas trouvé de majorité, nombre de députés européens craignant de voir revenir le TAFTA, précédent accord avorté.

Stimuler les échanges commerciaux

Depuis 30 ans, les accords de libre-échange (ALE), qu’ils soient transfrontaliers ou transcontinentaux, se multiplient (Alena entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, UE-ASEAN, entre l’Union européenne et les pays de l’Asie du Sud-Est, etc.). Ils transcendent parfois les enjeux politiques ou géostratégiques avec pour objectifs de faciliter les échanges commerciaux par la suppression de taxes douanières, de rapprocher les normes de production et de stimuler la croissance et l’emploi dans les pays ou les régions concernés.

Avec la reprise des négociations, l’UE espère une augmentation de 10% des volumes d’échanges transatlantiques d’ici à 2033, soit 53 milliards d’euros. Elle entend, par ailleurs, redéfinir les périmètres d’une concurrence équitable, renforcer la protection du droit de propriété intellectuelle dans chacun des territoires et imposer de nouvelles normes en matière d’environnement et de conditions de travail.

Éviter une guerre commerciale

Faute d’accords sur des sujets économiques sensibles, les États-Unis font peser sur leurs partenaires la menace d’une augmentation des taxes douanières. Face à la Chine, Donald Trump a décidé une augmentation de 10% à 25% des taxes sur 200 milliards de dollars de produits d’importation effective le 24 septembre 2019. Après les taxes sur l’acier et l’aluminium décidées en 2018, de nouvelles menaces de sanctions tarifaires américaines planent sur le marché européen, notamment sur les Airbus, le vin ou les produits laitiers. L’Allemagne, grande exportatrice de véhicules vers les États-Unis, craint notamment une hausse des taxes douanières américaines qui affecterait son industrie automobile.

Sur quoi portaient les négociations sur le TAFTA ?

Les négociations portaient sur un nombre très étendu de sujets :

  • l’accès aux marchés (droits de douane, accès aux services publics, prestations de services) ;
  • la coopération réglementaire. Il s’agissait de limiter les barrières non tarifaires pour réduire le coût élevé des écarts de réglementation (respect de différentes normes, duplication de la certification et du contrôle, etc.) ;
  • les règles nouvelles destinées à faciliter les échanges et les investissements (propriété intellectuelle, concurrence, etc.).

L’objectif de la négociation était de parvenir à la suppression de la quasi-totalité des droits de douane. La mise en place d’un mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États sécurisant les relations commerciales était un enjeu majeur de la négociation. Le volet consacré aux indications géographiques suscitait de vives inquiétudes. Le droit américain ne permettant que la protection de marques, les agriculteurs européens craignaient que l’harmonisation entre le droit américain et le droit européen conduise à une protection plus faible des indications géographiques.

Les réticences européennes

Les États-Unis et l’UE ne partagent pas forcément les mêmes objectifs : logique libérale mais protectionniste côté américain et, côté européen, volonté d’expansion économique grâce à la réduction, voire la suppression des taxes douanières mais dans le respect de normes environnementales, sanitaires et sociales.

Les divergences juridiques

La possibilité de recours à des tribunaux d’arbitrage privés en cas de conflits entre entreprises et instances administratives est un sujet d’inquiétude pour les Européens. Outre-Atlantique, des investisseurs privés, même étrangers, peuvent attaquer des États (et parfois avoir plus de droits que des investisseurs locaux). Ainsi, une multinationale peut, si elle se considère lésée par la réglementation en vigueur du pays concerné, attaquer sa politique publique en ayant recours à des mécanismes de règlement des différends entre les investisseurs et les États (RDIE ou ISDS en anglais).

Quelles compétences doivent s’exercer en cas de litige ? Droit privé ou droit public ? Quelle juridiction fait autorité ? Tribunaux d’arbitrage privés, droit des États ou droit européen ?

Les réponses varient selon les traités : dans le cas de l’accord signé entre l’Union européenne et le Japon (JEFTA), il n’existe pas, pour le moment, de mécanisme d’arbitrage privé. A l’inverse, l’accord commercial conclu avec Singapour prévoit le recours à ces tribunaux d’arbitrage. Dans le cas du CETA, accord de libre-échange entré en vigueur le 21 septembre 2017, entre l’Union européenne et le Canada (4e investisseur étranger dans l’UE), les motifs de recours à un arbitrage auprès de tribunaux indépendants sont restreints.

Au sein même de l’Union européenne, ces pratiques ont très peu cours. En mars 2019, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé, dans le cadre d’un litige, que ces tribunaux étaient contraires au droit européen et que celui-ci prévalait sur les arbitrages privés.

L’impact sur le développement durable

Alors que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) alerte les gouvernements sur l’urgence à réduire la pollution et la nécessité de ramener le réchauffement climatique en dessous de 1,5°C, de nombreuses associations et organisations non gouvernementales, en Europe et dans le reste du monde, dénoncent l’impact sur l’environnement des accords de libre-échange du fait du regain d’activité industrielle engendré et de la menace de surproduction.

Opposée à l’ouverture des négociations avec les États-Unis au motif que le président américain a décidé de retirer son pays de l’Accord de Paris, la France a cependant obtenu du Conseil européen que les produits agricoles soient exclus du champ de la négociation.

Si les États-Unis et l’Union européenne parviennent, au-delà de leurs différends économiques, à un accord, celui-ci sera soumis aux États membres qui devront se prononcer à l’unanimité, puis au Parlement européen, qui aura également à valider ce texte à la majorité simple. Si le futur partenariat est reconnu comme un accord mixte (qu’il comporte des parties relevant de la compétence de l’UE et d’autres de la compétence nationale des États), les parlements nationaux seront, à leur tour, consultés sur cet accord, chacun selon ses procédures nationales. En France, la ratification du traité pourrait devoir être autorisée par le Parlement aux termes de l’article 53 de la Constitution.