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Protection juridique des personnes handicapées : l'évolution du droit

Temps de lecture  11 minutes

Par : La Rédaction

Douze ans après la réforme de la protection des majeurs introduite par la loi de mars 2007, la loi de réforme de la justice de mars 2019 revisite les dispositifs de protection. Ces textes insistent sur la préservation de l’autonomie de la personne protégée, le respect de ses droits, la participation aux décisions qui la concernent.

Protection juridique et accompagnement social

Les personnes handicapées peuvent avoir besoin d’un tiers pour s’occuper de la gestion de leur argent, de leur patrimoine et des prestations sociales qu’elles reçoivent.

L'article 415 du code civil dispose que : "Les personnes majeures reçoivent la protection de leur personne et de leurs biens que leur état ou leur situation rend nécessaire […].

Cette protection est instaurée et assurée dans le respect des libertés individuelles, des droits fondamentaux et de la dignité de la personne.

Elle a pour finalité l'intérêt de la personne protégée. Elle favorise, dans la mesure du possible, l'autonomie de celle-ci.

Elle est un devoir des familles et de la collectivité publique."

Les différents modes de prise en charge de la protection juridique des personnes vulnérables sont les suivants :

  • mesures civiles de sauvegarde de justice (mesures de protection juridique provisoire et de courte durée qui peuvent permettre la représentation de la personne pour accomplir certains actes précis) ;
  • curatelle (dans l’exercice de ses droits, la personne doit se faire conseiller et contrôler par un curateur) ;
  • tutelle (la personne perd l’exercice de tous ses droits et doit être représentée dans tous les actes de la vie civile) ;
  • mesures d’accompagnement social personnalisé (contrat comprenant des engagements réciproques entre le département en charge de la mesure et la personne majeure à protéger ) ;
  • mesures d’accompagnement judiciaire (mesures contraignantes prononcées sur demande du procureur de la République) ;
  • mandat de protection future (permet de désigner à l'avance un mandataire qui agira au nom du demandeur en son nom ou dans son intérêt) ;
  • habilitation familiale (permet à un proche de solliciter l'autorisation du juge pour représenter une personne qui ne peut pas manifester sa volonté).

Les mesures de protection sont conçues initialement pour quelques milliers de personnes. Fin 2022, 713 500 majeurs sont sous curatelle ou sous tutelle (Références statistiques justice 2023 - 6. Le droit des personnes). Le nombre de mandats de protection future, en hausse constante depuis leur mise en place au 1er janvier 2017, s'établit à 1 500 en 2022.

Dès les années 2000, plusieurs rapports (commission Favard, 2000, Cour des comptes en 2003) et plus récemment (Cour des comptes et Défenseur des droits en 2016) expliquent cette progression par le non-respect de la gradation des mesures à appliquer, le vieillissement de la population, la multiplication de cas de la maladie d’Alzheimer, de scandales ou fraudes, mais aussi par la tentation de pallier les insuffisances des dispositifs sociaux par des mesures de protection juridique.

La loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs (entrée en vigueur le 1er janvier 2009) vise à mettre fin aux confusions entre la protection juridique et l’action sociale. Elle distingue clairement les mesures de nature sociale (qui préservent la capacité juridique de la personne à protéger) des mesures de nature civile, prononcées par le juge des tutelles. Elle précise que la mise sous tutelle ou sous curatelle d’une personne n’est possible que si une altération des facultés est constatée par un certificat médical circonstancié. Sont ainsi supprimés les motifs de "prodigalité, intempérance ou oisiveté".

Pour les personnes majeures, bénéficiaires de prestations sociales, dont les facultés ne sont pas altérées mais qui sont en grande difficulté sociale, deux mesures d’accompagnement n’entraînant pas d’incapacité juridique sont mises en place : mesures d’accompagnement social personnalisé (MASP) et les mesures d’accompagnement judiciaire (MAJ).

Pour limiter le recours systématique aux tribunaux en matière de protection des personnes vulnérables et favoriser les prises en charge familiales, le législateur, dans l'ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 (entrée en application le 1er janvier 2016), a créé l’habilitation familiale, un système allégé de protection. Ce mandat familial délivré par le juge à un proche, permet à ce dernier de représenter la personne, pour certains actes précis réalisés en son nom ou de manière générale, en allégeant les formalités pesant sur les familles. Seuls les parents en ligne directe de l’intéressé, les frères et sœurs ainsi que la personne avec qui elle est en concubinage ou en pacte civil de solidarité, ont capacité pour demander une telle mesure. En 2022, 41 257 demandes ont été formulées. 

Mesure phare de la loi de 2007, le mandat de protection future devait être l’alternative principale d’une mise sous protection juridique. Il prévoit les modalités d’une éventuelle protection, par la désignation à l’avance par le majeur concerné de la personne chargée de veiller sur ses intérêts et sa personne en cas de besoin. Ce mandat s’applique dès que l’altération des capacités est médicalement constatée, sans qu’un juge ait à intervenir. Mais le dispositif n’a pas eu le succès escompté et peu de mandats ont été mis en œuvre (1 495 mandats en 2022). Pour lui donner plus de visibilité, la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement complète le dispositif et prévoit que le mandat de protection future est publié par une inscription sur un registre spécial.

La loi de réforme de la justice de mars 2019 étend le champ d’application de l’habilitation familiale à l’assistance et crée une passerelle avec les mesures de protection judiciaire, tout en posant clairement le principe de la primauté du mandat de protection future sur tout autre dispositif de représentation.

Droits fondamentaux et libertés individuelles des personnes protégées

Renforcer les droits de la personne protégée en reconnaissant sa capacité de principe et toujours rechercher l’expression personnelle de son consentement sont les objectifs poursuivis par la réforme de 2007.

Ainsi, la loi comprend une charte des droits et libertés de la personne majeure protégée. La personne est obligatoirement entendue lors de la procédure de mise sous tutelle. Les décisions en matière de santé et de logement sont prises par la personne concernée (dans la mesure de ses possibilités), le tuteur n’ayant sur ces sujets qu’un rôle d’information et d’aide. Elle a droit à une information claire, compréhensible et adaptée sur la procédure de mise sous protection, les motifs et le contenu d’une mesure de protection, le contenu et les modalités d’exercice de ses droits durant la mise en œuvre de cette procédure ainsi que sur l’organisation et le fonctionnement du mandataire judiciaire à la protection des majeurs.

Reprenant des propositions du rapport Caron-Déglise, la loi de mars 2019 conforte les droits fondamentaux de la personne protégée et assure la construction d’un accompagnement des personnes les plus vulnérables dans une logique de parcours individualisé.

Pour mieux éclairer les besoins des personnes présentant des altérations de leurs facultés personnelles, la loi institue une évaluation sociale pluridisciplinaire de la situation du majeur à protéger et de sa sphère d’autonomie qui devra accompagner, à peine d’irrecevabilité, la saisine du juge des tutelles par le procureur de la République lorsqu'un signalement aura été fait au parquet par toute personne qui n’est pas un proche du majeur (hors les cas de saisine familiale). Un projet individualisé partant de la demande de la personne ou de celle de ses soutiens de proximité est ensuite mis en place.

Par ailleurs, la loi réforme les conditions dans lesquelles le majeur protégé peut se marier, se pacser (suppression de l’autorisation préalable du juge ou du conseil de famille) ou divorcer (accès à la procédure de divorce accepté). Sur autorisation du juge, la conclusion d’une convention matrimoniale pourrait être prise en charge par le tuteur du majeur protégé pour protéger les intérêts de celui-ci.

La privation des droits civiques est devenue l'exception depuis la loi de 2007. La loi de réforme de la justice de 2019 abroge l’article L5 du code électoral qui soumettait le droit de vote des personnes sous tutelle à une décision du juge. La loi garantit aussi le principe de sincérité des scrutins en encadrant strictement les procurations. Ainsi, ni les mandataires ni les personnes qui suivent des personnes sous tutelle dans des établissements ne peuvent recevoir procuration.

Symboliquement, le juge des tutelles devient le juge des contentieux de la protection, chargé des tutelles, du surendettement, des crédits à la consommation et des baux d’habitation.

Formation, contrôle des mesures, coordination : des dispositifs à compléter

La loi de 2007 a professionnalisé les intervenants extérieurs à la famille (mandataires judiciaires) : les tuteurs sont soumis à des règles communes de formation, de contrôle, d’évaluation et de rémunération.

Les tuteurs professionnels figurent sur une liste et bénéficient d’un agrément préfectoral après avis du procureur de la République. En 2016, la Cour des comptes pointait l’insuffisance des outils de régulation de la profession de mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM). Elle soulignait aussi l’encadrement imparfait des MJPM pour l’obtention de l’agrément ainsi que sur la faiblesse du contrôle de la formation dispensée dans le cadre de l’obtention du certificat national de compétences.

Bien que la réforme de 2007 réaffirme la prééminence de la tutelle familiale dans le dispositif de protection, celle-ci représente moins de la moitié des cas et régresse au profit des mandataires judiciaires. Les mandataires familiaux sont ceux qui reçoivent le moins de formation. Des propositions ont été émises afin que les tuteurs familiaux puissent faire appel à des référents juridiques ou contracter une assurance pour se couvrir d’éventuelles erreurs pendant l’exercice de leur mandat.

Enfin, tirant les conséquences des critiques émises notamment par la Cour des comptes en 2016, et pour garantir un contrôle effectif de la gestion effectuée par les mandataires désignés par les juges, la loi de mars 2019 renforce l’obligation de remettre dès l’ouverture de la mesure l’inventaire des biens meubles du majeur protégé. Un délai plus long est accordé pour l’inventaire des autres biens. Elle permet cependant au juge des tutelles de décider d’une dispense de vérification des comptes quand les revenus ou le patrimoine de la personne protégée sont très modiques.

Le rapport Caron-Déglise souligne qu’aucun portail national, numéro vert ou dispositif national d’information dédié à la protection des majeurs n’est mis en place ni pensé collectivement. Il n'existe pas non plus de politique coordonnée de contrôle alors que le sujet est extrêmement sensible et concerne déjà une partie importante de la population française.

Reprenant des propositions d’autres rapports, le rapport préconise la création d’un délégué interministériel chargé de la structuration d’une politique publique de la protection juridique des majeurs. Un conseil national pourrait contribuer à la définition et à la mise en place d’orientations stratégiques et d’une feuille de route avec pour objectif de construire une politique publique interministérielle et multipartenariale.

En 2023, un nouveau rapport Caron-Déglise sur la maltraitance préconise de penser les protections juridique et sociale à partir des droits des personnes les plus vulnérables à être entendues et soutenues. Pour parvenir à l'effectivité des droits des personnes particulièrement vulnérables, quels que soient les lieux où elles demeurent et où s'exercent les mesures de protection juridique, le rapport préconise :

  • de disposer d'outils partagés et évolutifs des difficultés rencontrées concrètement par les personnes, dans une visée de préservation de l'autodétermination des personnes ;
  • de mieux organiser les missions des professionnels du social, du médico-social, du sanitaire et de la protection juridique des personnes.