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© Charles Platiau/Reuters - stock.adobe.com

Le message du président de la République au Parlement : quel fondement, quel historique ?

Temps de lecture  8 minutes

Par : La Rédaction

Un message d'Emmanuel Macron sera lu au Parlement le 25 février 2022 à propos de la situation en Ukraine. La Constitution prévoit un droit de message du président de la République. Depuis la révision constitutionnelle de 2008, le président de la République peut aussi s'exprimer devant le Parlement réuni en Congrès.

Selon l’article 18 de la Constitution de 1958, le message présidentiel est dispensé de contreseing ministériel ; il n’est assorti d’aucun avis, d’aucune demande, d’aucune condition préalable. C’est, à ce titre, un acte des plus personnels – dont le chef de l’État use avec une grande parcimonie.

Un message présidentiel est traditionnellement adressé aux assemblées lors de la prise de fonction du chef de l’État nouvellement élu ou lors du début d’une nouvelle législature après des élections législatives et un renouvellement de l’Assemblée nationale ou, encore, lors de circonstances exceptionnelles, ainsi en 1991 lors de l’engagement des troupes françaises dans la guerre du Golfe.

À l’heure de la communication audiovisuelle directe entre le Président et les citoyens, les messages au Parlement peuvent être interprétés comme une attention particulière du chef de l’État envers la représentation nationale et ses missions.

Avant 2008 : un droit de message strictement encadré

Sous les Troisième, Quatrième et Cinquième Républiques, le chef de l’État n’a pas accès aux hémicycles des assemblées en vertu de la séparation des pouvoirs. Ainsi, en octobre 1982, c’est dans la cour de l’Assemblée nationale que François Mitterrand préside à l’hommage solennel rendu à Pierre Mendès France après sa disparition. Il est vrai que les précédents permettant au chef de l’État de s’adresser personnellement aux parlementaires avaient laissé de sombres souvenirs aux élus de la Nation qui se méfient des hommes providentiels à la trop forte personnalité.

Au début de la Troisième République, Adolphe Thiers, qui s’est vu attribuer le titre de président de la République, se voit interdire en 1873 l’accès de la Chambre des députés du fait de sa maîtrise du verbe et de son ascendant sur une partie des parlementaires. L’interdiction est inscrite dans l'article 6 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875: "Le président de la République communique avec les Chambres par des messages qui sont lus à la tribune par un ministre".

Cette disposition est reprise dans la Constitution de la Quatrième République du 27 octobre 1946 et dans la Constitution de la Cinquième Républiquedu 4 octobre 1958, les messages du chef de l’État étant alors lus par les présidents de chaque assembléeL'article 18 de la Constitution de la Ve République apporte plusieurs innovations importantes : le message présidentiel est dispensé de contreseing ministériel et il n’est assorti d’aucun avis, d’aucune demande, d’aucune condition préalable.

De Charles de Gaulle à Jacques Chirac,
18 messages écrits ont été adressés au Parlement depuis le début de la Ve République.

Ces messages ne doivent donner lieu à aucun débat et encore moins à un vote, le président n’étant pas responsable devant les assemblées. Cela ne signifie pas pour autant que les messages présidentiels sont sans force et de pure forme. Ainsi, en mai 1958, en pleine crise algérienne, le Président René Coty informe l’Assemblée nationale qu’il a décidé de faire appel au général de Gaulle pour former un gouvernement et menace de démissionner si la représentation nationale s’y oppose.

Le contenu des messages entre 1958 et 2008 a été d’importance variable : messages de pure courtoisie, comme ceux à l’Assemblée nouvellement élue, ou messages de portée plus large, comme celui du général de Gaulle en avril 1962, exposant ce que devaient être les pouvoirs du Parlement pendant l’application de l’article 16, ou celui de François Mitterrand, en avril 1986, "théorisant" les pratiques de cohabitation.

La révision constitutionnelle de 2008

Si la possibilité des messages présidentiels lus aux élus de la Nation par le président de leur assemblée est confirmée, elle est complétée par une disposition nouvelle permettant au président de la République de prendre la parole, dans un cadre très précis, devant l’ensemble des parlementaires.

Pendant la campagne électorale présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy souhaitant une modernisation de la pratique des institutions de la Cinquième République a proposé la possibilité nouvelle pour le chef de l’État de venir s’adresser directement et personnellement aux parlementaires. La proposition, étudiée par le Comité de réflexion et de proposition pour la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République présidé par Édouard Balladur, est incluse dans la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Depuis l’entrée en vigueur de la réforme de 2008, le Congrès a été réuni à quatre reprises pour entendre une déclaration du chef de l’État.

Le chef de l’État peut dorénavant s’exprimer devant le Parlement réuni à cet effet en Congrès. Le Congrès est réuni traditionnellement à Versailles. La déclaration présidentielle pourra être suivie d’un débat, hors sa présence, et qui ne fera l’objet d’aucun vote, puisque le Président n’est pas responsable devant le Parlement. La précision des règles d’application a pour objet d’éviter toute confusion sur la nature du régime, parlementaire ou présidentiel.

La déclaration de Nicolas Sarkozy

Le 22 juin 2009, cette disposition est appliquée pour la première fois. Devant le Congrès réuni à Versailles, Nicolas Sarkozy prononce un discours consacré aux priorités nationales. Il aborde aussi des problèmes de société tel le respect des croyances et la dignité de la femme, s’exprime sur les mesures à prendre pour lutter contre les déficits engendrés par la crise, annonce le lancement d’un emprunt national, ainsi qu'un remaniement ministériel pour le surlendemain en dressant la feuille de route pour la nouvelle équipe ministérielle.

Une partie de l’opposition a refusé d’assister au discours du chef de l’État. Les parlementaires de l’opposition qui ont accepté d’être présents quittent le Congrès après l’intervention présidentielle et refusent de participer au débat qui se limite donc aux membres de la majorité parlementaire. Le principal reproche fait par l’opposition à cette nouvelle règle constitutionnelle est de donner au Président un moyen de communication supplémentaire alors qu’elle estime que le temps de parole et d’image présidentiel est déjà très important. Elle refuse aussi de devoir répondre à un Président absent au moment du débat.

Pour les représentants de la majorité présidentielle, cette première application de la nouvelle disposition constitutionnelle a été "un moment historique". Bernard Accoyer, alors président de l’Assemblée nationale, a estimé qu’en "venant s’exprimer devant leurs représentants, c’est naturellement aux Français que le Président s’adresse. C’est une marque de considération pour les élus de la Nation. Les parlementaires attendent du président de la République qu’il délivre sa vision de l’état de la France et du monde frappés par la crise, ainsi que les orientations qu’il entend donner à la politique de notre pays pour en sortir dans les meilleures conditions".

La déclaration de François Hollande

Le 16 novembre 2015, François Hollande s’adresse au Parlement trois jours après les attentats de Paris et de Saint-Denis. Il annonce, notamment, la prolongation de l’état d’urgence et une réforme de la Constitution pour permettre la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français. À l’issue de l’allocution, l’ensemble de l’exécutif et des parlementaires se lèvent et entonnent avec le chef de l’État la Marseillaise.

Les deux déclarations d'Emmanuel Macron

Lors de sa première déclaration devant le Congrès le 3 juillet 2017, Emmanuel Macron annonce qu’il se présentera chaque année de son mandat devant le Parlement réuni en Congrès ("Tous les ans, je viendrai devant vous pour rendre compte"). Dans son discours, le Président dit vouloir engager une réforme des institutions avec notamment une réduction du nombre de parlementaires et l'introduction d'une dose de proportionnelle pour les élections législatives.

Le 9 juillet 2018, Emmanuel Macron prononce son deuxième discours devant le Parlement réunis en Congrès. Après avoir dressé un bilan de la première année de son quinquennat, le chef de l'État annonce vouloir réviser l'article 18 de la Constitution afin qu’il lui soit permis d'assister aux débats parlementaires suivant son allocution : "J'ai demandé au gouvernement de déposer dès cette semaine un amendement au projet de loi constitutionnel qui permettra que, lors du prochain Congrès, je puisse rester non seulement pour vous écouter mais pour pouvoir vous répondre."

Cette modification de l'article 18 a été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale par 40 voix contre 13 en juillet 2018. Toutefois, l'examen du projet de loi constitutionnelle a été interrompu.