En quoi consiste votre activité ?
Alors le contrôle général des lieux de privation de liberté a un statut d'autorité administrative indépendante et ça repose sur mon mandat qui est de 6 ans irrévocable.
Nous faisons 150 visites par an.
Tous les mois les équipes partent les quinze premiers jours du mois.
Restent sur place cinq jours, six jours, dix jours s'il le faut et à la suite de quoi nous rendons des rapports concernant les lieux qu'on a visités.
Mais avant nous effectuons ce qu'on appelle une restitution devant toute l'équipe du lieu visité.
Nous visitons une immense variété de lieux, puisque ça va de la prison au centre éducatif fermé pour enfants et adolescents, en passant par les hôpitaux psychiatriques, dans les services fermés de soins sans consentement, mais aussi les locaux de garde à vue, les centres de rétention pour étrangers, les points à la frontière où passent les exilés.
Nous avons en tout à visiter environ 5 000, un peu plus de 5 000 lieux de privation de liberté en France.
Je préfère que nos visites soient inopinées, c'est-à-dire qu'on ne prévienne pas avant.
Mais il y a des lieux dans lesquels on prévient, par exemple quand on sait qu'il y a, pendant la pandémie, quand on savait qu'il y avait un cluster dans un hôpital ou dans une prison, on prévenait.
Dans les prisons, nous sommes accueillis, en raison d'une surpopulation carcérale honteuse, eh bien, l'administration pénitentiaire n'est pas mécontente que nous venions constater ce qui se passe.
Ce n'est pas eux qui sont responsables de la surpopulation carcérale.
Ils ne peuvent pas afficher complet.
Ils ne peuvent pas mettre complet, on ne prend plus personne, au fronton des prisons.
Donc ils subissent eux aussi les condamnés ou les détenus provisoires que leur envoient les magistrats.
On en est à 71 000 détenus.
Il y a 1 800 matelas au sol.
Un matelas au sol, je l'ai vu dans les prisons, cela veut dire dans des conditions d'hygiène déplorables, avec des rats dans la cour.
Oui, beaucoup de rats.
Et dans les cellules, ce que les détenus nous décrivent, et ce que j'ai vu, des cafards, des punaises de lit.
Qu'est-ce qu'ils font les détenus ?
Ils s'enroulent très serrés dans leurs draps pour pas que, pendant la nuit, les cafards leur courent dessus, et ils dorment avec du papier toilette dans les oreilles et dans le nez pour pas que les cafards rentrent dedans.
Ça n'a pas empêché, à la prison de Toulouse-Seysses, un détenu de voir son conduit auditif infecté.
Et pourquoi ?
Parce qu'on a retrouvé un cafard mort au fond.
Comment êtes-vous alertée sur les situations les plus critiques ?
Nous recevons environ 3 500 à 4 000 lettres par an.
Beaucoup d'appels téléphoniques, principalement de la part des détenus qui ont maintenant le téléphone en cellule.
Bien qu'il coûte extrêmement cher, mais c'est un autre sujet.
Et puis, aussi de gens enfermés dans des hôpitaux psychiatriques, dans des services de soins sans consentement.
Ces appels téléphoniques et ces lettres nous guident dans nos visites parce qu'ils nous signalent des endroits où on devrait bien aller mettre notre nez, si j'ose dire.
C'est-à-dire que, on se dit : « Tiens, dans tel endroit, on reçoit trop de lettres.
Ce n'est pas normal.
Trop de signalements, trop d'appels téléphoniques. »
Des associations nous saisissent également.
On prend tous les signalements qu'on peut.
Par exemple à la prison de Toulouse-Seysses, surpeuplée à 187 %, quand la prison s'est ouverte, il y avait 1 surveillant pour 53 détenus.
Aujourd'hui, on en est à 1 surveillant pour 150 détenus.
Je voudrais savoir quel corps de métier pourrait supporter de voir sa tâche triplée.
Je peux vous citer par exemple un centre éducatif fermé qu'on a visité il y a un an, c'est-à-dire pour les enfants, où la situation était épouvantable.
Les éducateurs, c'étaient des anciens tenanciers de boîte de nuit qui s'étaient fait engager là parce que leur boîte de nuit avait fermé pendant le Covid.
L'équipe n'était pas pérenne.
Il y avait peu d'heures d'enseignement.
Tout allait à vau-l'eau et bien là, la directrice nous a appelés et la directrice de la protection judiciaire de la jeunesse aussi pour nous dire : « Écoutez, venez voir. On s'est démenés pendant un an pour se conformer à ce que vous nous aviez dit. »
Et là, on a passé une journée absolument, je ne peux pas dire enchanteresse, parce que c'est un lieu d'enfermement, mais à voir à quel point tout avait été transformé.
C'est ainsi qu'on récolte sur place pas mal de résultats.
Quelle appréciation portez-vous sur la situation générale de la détention en France ?
J'ai vu les conditions se dégrader et se dégrader en raison de la surpopulation carcérale.
Cette surpopulation carcérale, c'est pour moi une honte.
On ne peut pas laisser vivre des gens dans des conditions pareilles.
Je regrette d'autant plus cette situation qu'en 2018, il y avait eu un espoir, un très fort espoir suscité par le président de la République lui-même, qui avait dans un discours à l'École de l'administration pénitentiaire, dit qu'il était pour l'expérimentation de la régulation carcérale, à savoir quand la prison atteint un certain degré de suroccupation, eh bien, on arrête d'incarcérer.
Et quand un détenu rentre un autre sort le plus proche de sa fin de peine.
Pourquoi ? Pourquoi ça n'a pas été fait ?