Vous écoutez « L’Actualité de la vie publique », un podcast du site Vie-publique.fr.
Patrice : Le lancement d’un nouveau programme de construction de réacteurs nucléaires, dont l’entrée en service est envisagée à l’horizon 2035, constitue un véritable tournant de la politique énergétique française. Afin de mieux comprendre les défis auxquels le système électrique hexagonal sera confronté dans les années à venir « L’Actualité de la vie publique » consacre une nouvelle série à l’industrie nucléaire.
Au sommaire de ce 4e épisode : Comment financer le « nouveau nucléaire » ?
1. Patrice : Combien coûte une centrale nucléaire ?
Stéphanie : Pour évaluer le coût d’une centrale, il faut distinguer la centrale, - c’est-à-dire le site qui regroupe l’ensemble des installations de production - et le réacteur. Une centrale comprend fréquemment plusieurs réacteurs installés sur le même site. La construction de chaque réacteur du parc nucléaire français a été estimée à environ 2 milliards d’euros.
[Intervention 1. Patrice : Et quelle est l’estimation du coût des 6 premiers nouveaux réacteurs que la France prévoit de mettre en service à l’horizon 2035 ?]
Stéphanie : Selon les premières estimations, ce coût s’élèverait au total à plus de 50 milliards d’euros. Mais il faudra ajouter à ce montant les coûts de financement du programme (qui peuvent varier en fonction du coût du capital emprunté) et tenir compte de tous les aléas inévitables liés à des chantiers complexes et de grande envergure qui en règle générale finissent par alourdir la facture.
[Intervention 2. Patrice : Comme cela a été le cas par exemple pour les chantiers de l’EPR de de Flamanville ou celui d’Olkiluoto en Finlande (mis en service en 2023 avec 13 ans de retard), n’est-ce pas ?]
Stéphanie : Oui ! Les premiers chantiers EPR ont connu des difficultés importantes. EDF s’est heurtée aux incertitudes d’une tête de série (ces premiers exemplaires de 3e génération étaient des prototypes) et aux problèmes générés par la perte de compétences clés de la filière nucléaire. Tout cela a entraîné d’importants dérapages financiers. Le coût de l’EPR de Flamanville dont le chantier a démarré en 2007 et dont l’entrée en service est désormais prévue en 2024 au lieu de 2012 est ainsi évalué, selon la Cour des Comptes, à 19 milliards d’euros contre 3,4 au départ. Mais désormais l’EPR est arrivé à maturité industrielle et les deux premiers ont été mis en service avec succès, en 2018 et 2019, à Taishan en Chine.
[Intervention 3. Patrice : Concernant les futures commandes prévues par la France quel est le modèle de réacteur qui est retenu ?]
Stéphanie : Il s’agit d’EPR2 dont la conception a été un peu simplifiée afin d’en faciliter la construction et d’en réduire le coût par rapport à la première version (tout en conservant les mêmes exigences de sûreté). Le coût final par réacteur pourrait être de 10 milliards d’euros. Une des conditions de la rentabilité du programme est que les prochains réacteurs produisent de l’électricité à un coût raisonnable (l’objectif est fixé à 70 euros/MWh). A titre de comparaison, compte tenu des coûts engendrés par sa construction, le coût du mégawattheure produit par la centrale de Flamanville devrait dépasser largement cet objectif (environ 150 euros/MWh).
2. Patrice : Comment la France envisage-t-elle de financer son programme de relance du nucléaire ?
Stéphanie : Le schéma de financement du parc nucléaire mis en place dans les années 1970 n’est plus envisageable aujourd’hui. A cette époque, l’État avait demandé à EDF de financer le programme par l’emprunt, mais aujourd’hui la situation financière de l’entreprise est très dégradée (2022 s’est soldée par 17,9 milliards de pertes et une dette de 64,5 milliards d’euros le double par rapport à 2018). De plus, les opérations de maintenance décennales, ainsi que le programme « grand carénage » qui vise à améliorer les réacteurs en termes de sûreté et de performance en vue de la prolongation de leur exploitation au-delà de 40 ans constituent une charge très importante pour les finances de l’entreprise (environ 50 milliards d’euros d’investissement pour le programme « grand carénage »). Le démantèlement des centrales arrivées en fin de vie représentera également un coût important à l’avenir, même si ces opérations qui peuvent être anticipées font l’objet de provisions.
[Intervention 4. Patrice : Comment les nouveaux projets sont-ils financés dans les autres pays ?]
Stéphanie : Concernant le financement des nouveaux concepts de réacteurs en développement dans le monde (environ 70 principalement aux États-Unis, en Russie, en Chine, au Royaume-Uni et au Canada), ils font, selon l’Agence internationale de l’énergie, quasiment systématiquement l’objet d’une coopération étroite entre acteurs privés et publics. L’engouement des investisseurs privés porte surtout sur les projets innovants comme les SMR - Small Modular Reactor (dans lesquels investit par exemple l’entreprise Terrapower fondée par Bill Gates), les micro-réacteurs (MMR) ou les réacteurs modulaires de 4e génération (AMR Advanced Modular Reactor qui offrent de nouvelles possibilités pour la gestion des matières premières et des déchets). En France, le plan d’investissement « France 2030 », qui vise à développer la compétitivité industrielle et les technologies innovantes, a été doté d’un milliard d’euros pour soutenir les projets de recherche et développement de réacteurs avancés et l’innovation de rupture (par exemple les concepts de réacteur susceptible de réduire le volume et la durée de vie des déchets ultimes).
3. Patrice : Est-ce que les différences d’approche concernant le modèle de transition énergétique et l’avenir du nucléaire au sein de l’Union européenne constituent un obstacle pour le financement d’une relance de la filière ?
Stéphanie : En effet ! Et cette divergence sur la stratégie est parfaitement illustrée par les choix radicalement opposés opérés par les deux plus grands pays de l’Union. Au moment où la France décide de relancer la filière nucléaire, l’Allemagne a elle définitivement mis à l’arrêt ses dernières centrales. C’est à la suite de l’accident de Fukushima (au Japon), que le gouvernement dirigé à l’époque par Angela Merkel a décidé, en mars 2011, de la sortie définitive du nucléaire à compter du 31 décembre 2022. La chancelière allemande avait pour expliquer cette décision mis en avant l’argument de la sécurité et le fait que la majorité des Allemands ne voulait plus de cette source d’énergie. Les trois dernières centrales en fonctionnement – qui ont bénéficié d’un sursis jusqu’en avril 2023 en raison de la crise énergétique déclenchée par la guerre en Ukraine – ont désormais été définitivement débranchées du réseau électrique. De toute façon, en 2022, le nucléaire ne couvrait plus que 5 % à 6 % de la consommation d’électricité du pays. A l’avenir, pour assurer la sécurité de ses approvisionnements en électricité et leur prix et se passer du charbon (depuis le déclenchement de la guerre Ukraine près d’une quinzaine de centrales à charbon ont été relancées pour assurer l’approvisionnement en électricité), l’Allemagne se fixe comme objectif de produire 80 % d’électricité d’origine renouvelable d’ici à 2030.
[Intervention 5. Patrice : Et de quelle manière cette « frilosité » vis-à-vis de l’énergie nucléaire se manifeste-t-elle au niveau de la Commission de Bruxelles ?]
Stéphanie : Et bien, de son côté, la Commission de Bruxelles n’est a priori pas très favorable à une relance de l’atome. Concernant les sources d’énergie bas carbone, elle juge par exemple que le nucléaire n’est pas une énergie « stratégique pour l’avenir » (contrairement aux énergies renouvelables comme le solaire, l’éolien, l’hydrogène, etc.). La « taxonomie verte » – un label qui englobe toutes les filières énergétiques qui contribuent à la lutte contre le changement climatique au sein de l’UE – n’attribue au nucléaire que le statut d’énergie de « transition ». Or, bénéficier pleinement de cette labellisation verte constitue un atout considérable pour susciter l’intérêt des investisseurs et attirer les capitaux. De la même manière, l’atome a été exclu de la liste des projets stratégiques du plan de soutien à une industrie zéro émission élaboré par la Commission, seules les technologies du futur comme les petits réacteurs modulaires ou les réacteurs à neutrons rapides (que la France a renoncé à développer en 2019 avec l’arrêt du programme Astrid) seront éligibles au statut d’industrie verte.
[Intervention 6. Patrice : Mais la Commission de Bruxelles semble néanmoins avoir ouvert la voie à une forme de compromis entre les anti et les pro nucléaire dans une communication officielle faite à la mi-juin ?]
Stéphanie : Oui en effet Patrice ! Dans une déclaration adjointe à une directive concernant les énergies renouvelables - directive qui a demandé des semaines de négociation aux ambassadeurs des 27 États membres auprès de l’Union européenne - la Commission reconnaît pour la première fois que le nucléaire contribue lui aussi à la lutte contre le réchauffement climatique. La communication rédigée sur un ton très diplomatique dit exactement ceci je cite : « des énergies sans combustibles fossiles, autres que les énergies renouvelables, contribuent à atteindre les objectifs de neutralité climatique en 2050 pour les membres qui décident d’utiliser de telles sources d’énergie ».
4.Patrice : Comment les coûts du nucléaire par rapport aux énergies renouvelables évoluent-ils ?
Stéphanie : Rappelons que si en France, 70 % de l’électricité est d’origine nucléaire, au niveau mondial, cette part n’est que de 10 % environ. 437 réacteurs sont actuellement exploités dans une trentaine de pays, mais moins d’une quinzaine d’entre eux sont répertoriés comme poursuivant le développement de l’énergie nucléaire. Concernant les coûts, selon l’Agence internationale de l’énergie, les tendances de fond sont une hausse des coûts du nucléaire par rapport à une baisse régulière de ceux des énergies renouvelables (photovoltaïque, éolien, etc.). En règle générale, plus un projet est jugé risqué par les investisseurs, plus le coût du capital est élevé et aujourd’hui le risque de surcoût semble plus élevé pour le nucléaire que pour les renouvelables. Mais les questions de coût et du prix de l’électricité sont très complexes (le rapport entre les coûts de production et les prix de vente de l’électricité est notamment contraint par la coexistence de différents prix de marché, de tarifs réglementés, etc.). En définitive, face au double impératif de la lutte contre le réchauffement climatique et de la souveraineté énergétique, c’est le coût final de l’électricité produite - à partir de l’énergie nucléaire, relativement aux autres sources d’énergie - qui sera le facteur déterminant de l’évolution du futur mix de production électrique (c’est-à-dire la part du nucléaire et celle des renouvelables dans la production d’électricité totale) et des perspectives de développement de la filière nucléaire en Europe.
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