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Perpignan (66), 21 octobre 2021. Illustration de la remise en service de la liaison ferroviaire fret de fruits et légumes Perpignan-Rungis. © Arnaud Le Vu-Hans Lucas/AFP

La politique de la concurrence de l'Union européenne (UE)

Temps de lecture  9 minutes

Par : Marion Gaillard - Diplômée de l’IEP de Paris, docteur en histoire

La politique de la concurrence est un des piliers de la construction européenne. Elle fait partie des compétences communes attribuées à la CEE par le traité de Rome de 1957.

Cette politique résulte d’abord d’un accord entre la France et l’Allemagne, la première souhaitant la mise en place d’une politique agricole commune et la seconde tenant à la définition de règles de la concurrence très strictes, en accord avec sa propre tradition.

Elle est ensuite considérée comme la contrepartie de la libre circulation des marchandises découlant de la réalisation du marché commun. Les biens devant circuler sans entraves au sein de celui-ci, il semblait logique que les États membres adoptent des règles communes concernant la concurrence, afin que celle-ci ne soit pas faussée dans l’intérêt des entreprises et dans celui des consommateurs.

Cette politique comprend deux volets : les règles vis-à-vis des entreprises et celles à l’égard des interventions de l’État.

Les règles vis-à-vis des entreprises

L’interdiction des ententes

Il s’agit d’un accord ou d’une concertation entre plusieurs entreprises dominant le marché sur le niveau des prix ou la quantité de la production, par exemple. Si quelques entreprises dominantes s’accordent pour baisser les prix, afin d’attirer une clientèle plus nombreuse, elles risquent d’entraîner la disparition de plus petites entités, qui ne pourraient suivre cette politique de baisse des prix sans mettre en péril leur viabilité. Les ententes ont donc été interdites par l’article 85 du traité de Rome (actuel art. 101 TFUE). Ces dernières années, cet article a notamment été appliqué en 2011 contre des producteurs de lessives qui s’étaient entendus sur les prix et ont été condamnés à une amende de 315 millions d’euros, ou encore en 2016 contre des constructeurs de camions, qui ont dû s’acquitter d’une amende de 2,9 milliards d’euros.

Ce principe connaît cependant des dérogations. Selon l’article 85 (art. 101 TFUE), ce dispositif ne s’applique pas pour les ententes contribuant à l’amélioration de la production ou de la distribution, au progrès technique ou économique et à l’intérêt des consommateurs et qui n’éliminent pas la possibilité de la concurrence. Ces conditions sont cumulatives et doivent donc être réunies simultanément pour échapper au principe de l’interdiction.

Des réformes sont venues modifier ce système :

  • un règlement de 1999 a assoupli les règles d’exemptions des pratiques concertées et des accords verticaux pour le domaine des fournitures et de la distribution ;
  • un règlement du 31 juillet 2002 a fait de même pour les accords verticaux dans le secteur automobile ;
  • enfin et surtout, sur la base du Livre Blanc sur la modernisation de la politique de la concurrence de 1999, un règlement, adopté le 16 décembre 2002 et appliqué à partir du 1er mai 2004, bouleverse le régime applicable aux ententes. Il vise à remplacer le système antérieur de notification et d’autorisation préalable des accords par des exceptions légales, à renforcer un contrôle a posteriori des pratiques des entreprises et à développer une application décentralisée des règles de concurrence en donnant plus de poids aux autorités et aux juridictions nationales. Il instaure donc un système de responsabilité partagée entre la Commission européenne et les États membres.

Le contrôle des concentrations

C’est le seul domaine qui n’ait pas été prévu par le traité de Rome. Ceci s’explique par le caractère très morcelé du réseau des entreprises européennes dans les années 1950. Le problème des fusions susceptibles de nuire à la concurrence ne se posait donc pas. Ainsi, il faut attendre décembre 1989 pour que soit mise en place une réglementation sur les concentrations à travers l’adoption d’un règlement à l’unanimité par le Conseil des ministres.

L’approche de ce texte est préventive : la Commission contrôle en amont les projets de fusion présentés par les entreprises et doit ou non donner son accord. L’interprétation très restrictive de la Commission a fait l’objet de nombreuses critiques ces dernières années, dans la mesure où les restrictions pesant sur les concentrations entre entreprises peuvent nuire à l’émergence de géants économiques européens capables de concurrencer les grands groupes américains ou japonais. Un nouveau règlement sur les concentrations d’entreprises, adopté le 20 janvier 2004 (entré en vigueur en mai 2004), encourage la participation des autorités nationales de concurrence et procède à une simplification des procédures de notification et d’enquête.

En fin de compte, les entreprises de l’UE se trouvent plutôt bien représentées parmi les plus grandes firmes mondiales. Ainsi, en 2018, d’après le classement établi par le magazine américain Fortune, sur les 500 premières firmes mondiales quant à leur chiffre d’affaires, 126 étaient américaines, 110 chinoises, 52 japonaises et 120 européennes.

La politique à l’égard des interventions étatiques

Ce volet de la politique de la concurrence s’inscrit également dans la logique du marché commun. Comment imaginer une libre circulation des biens équitables, si certains États subventionnent leurs entreprises, tandis que d’autres ne le font pas ? Une réglementation très stricte de ces aides s’est donc révélée nécessaire.

Les articles 87 et 88 du traité de Rome (art. 107 à 109 TFUE) posent donc le principe général de l’interdiction des aides d’État, lorsqu'elles risquent de fausser la concurrence. Sont concernées les subventions, mais aussi les exonérations fiscales ou les garanties de prêt. Cette règle subit elle aussi des dérogations, certaines mesures, bien que constituant des aides, peuvent être autorisées par la Commission européenne, notamment lorsqu'il s’agit d’aider un secteur ou une région en difficulté, de favoriser la recherche-développement, d’actions en faveur des PME ou à la protection de l’environnement. Depuis le traité de Maastricht (1992), une dérogation est prévue pour les aides touchant à la culture et à la préservation du patrimoine. Un État souhaitant accorder ce type d’aide doit préalablement obtenir l’accord de la Commission.

Un autre domaine lié aux interventions d’État est celui des monopoles octroyés à des entreprises notamment dans le cadre des missions de service public. Il est régi par l’article 90-1 et 2 du traité de Rome (art. 106.1 et 106.2 TFUE).

Ce point pose problème dans le cadre du maintien du service public, notamment dans sa conception française. On a ainsi assisté depuis les années 1990 à la libéralisation d’un certain nombre de secteurs qui relevaient d’un monopole dans la plupart des États membres. C’est le cas notamment du secteur aérien : à partir du 1er janvier 1993, les lignes internationales entre États membres ont été ouvertes à la concurrence. Ainsi, un vol Paris-Stuttgart, qui ne pouvait être assuré auparavant que par Air France ou Lufthansa peut désormais l’être par n’importe quelle compagnie européenne. Depuis le 1er avril 1997, ce sont les lignes internes qui ont été libéralisées : Lufthansa peut donc desservir Paris-Marseille, Air France Barcelone-Séville. Et, depuis le 31 mars 2008, toutes les compagnies aériennes de l’UE et des États-Unis peuvent exploiter des vols directs vers les États-Unis au départ de n’importe quel aéroport de l’Union, et plus seulement à partir de leur pays d’origine.

Pour le transport ferroviaire, le libre accès a été étendu au réseau trans-européen de fret ferroviaire le 1er mars 2003, et à l’ensemble du réseau international de fret en 2008. Pour les voyageurs, la libéralisation des voyages internationaux est effective depuis le 1er janvier 2010. Dans le domaine des télécommunications, la libéralisation a également été largement mise en œuvre, tout comme dans celui de l’électricité, comme l’attestent l’ouverture du capital de France Télécom ou d’EDF. La question est maintenant posée de la compatibilité du droit européen en matière de concurrence et du respect des missions de service public. Le traité de Lisbonne prévoit que la loi européenne respecte la compétence qu’ont les États membres, dans le respect des traités, "de fournir, de faire exécuter et de financer ces services" (art. 14 TFUE).

Dans le domaine des services publics comme dans celui de la compétitivité industrielle de l’Union européenne, la politique de la concurrence se trouve au cœur des grands débats européens. Il est cependant à noter que les services publics non marchands, comme l’éducation ou la justice, ne sont pas soumis aux règles de la politique européenne de concurrence, et que la jurisprudence de la CJUE reconnaît le principe d’obligation de service public et permet aux États d’accorder des droits spécifiques à des entreprises en charge de mission d’intérêt général. Enfin, le traité de Lisbonne reconnaît les services d’intérêt économique général (SIEG) dans les valeurs communes de l’UE. En outre, depuis le milieu des années 2010, la politique de concurrence est de plus en plus utilisée par la Commission européenne commun levier de lutte contre l’optimisation fiscale, les rescrits fiscaux pouvant être considérés comme des aides d’État déguisées. Ainsi, Apple a été condamnée à rembourser 13 milliards d’euros à l’Irlande qui lui avait accordé un traitement fiscal privilégié indu.

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