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Strasbourg (67), 1989. Des nouveaux panneaux communautaires aux frontières des États membres de l'Union européenne. © AFP

Citoyenneté européenne : processus et problèmes

Temps de lecture  9 minutes

Par : Marion Gaillard - Diplômée de l’IEP de Paris, docteur en histoire

Genèse

La volonté de créer un lien direct entre les ressortissants des États membres et les institutions européennes est ancienne. Elle prend forme, pour la première fois, au sommet de Paris de 1974, lorsqu’un groupe de travail reçoit pour mission d’examiner la possibilité d’attribuer des droits spéciaux aux ressortissants de la Communauté économique européenne (CEE). Le vocabulaire reste neutre, mais les bases de la citoyenneté européenne sont posées. Il s’agit de mettre en œuvre la volonté des Pères fondateurs de bâtir "une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe".

En dépit des pressions exercées par le Parlement européen en faveur de l’institution de la citoyenneté européenne, il faut attendre le Conseil européen de Fontainebleau des 25 et 26 juin 1984 pour voir les chefs d’État ou de gouvernement des États membres affirmer “qu’il est indispensable que la Communauté réponde à l’attente des peuples européens en adoptant les mesures propres à renforcer et à promouvoir son identité et son image auprès de ses citoyens et dans le monde”. L’autre élément décisif est constitué par la conclusion des accords de Schengen (14 juin 1985). Ils préfigurent en effet l’abolition totale des frontières intérieures de l’UE, en supprimant graduellement les contrôles aux frontières communes aux États signataires de l’accord.

C’est dans ce contexte que le traité sur l’Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992, a institué une citoyenneté de l’Union.

Les caractères de la citoyenneté européenne

L’obligation de ne pas empiéter sur les compétences des États membres relatives à l’attribution de la nationalité imposait de retenir une conception originale de la citoyenneté. La citoyenneté européenne est une citoyenneté de superposition : elle s’ajoute à la citoyenneté nationale, mais ne la remplace pas. Son attribution est ainsi intimement liée à la possession de la nationalité de l’un des États membres de l’UE, sans rattachement à une nationalité, elle-même, européenne, qui n’existe pas. Dans ces conditions, "l’existence d’un rapport particulier de solidarité à l’égard de l’État ainsi que la réciprocité de droits et de devoirs" (CJCE, 17 décembre 1980, Commission c./Belgique, aff. 149/79, Rec. p. 3881), qui caractérisent le lien de nationalité, ne peuvent se nouer qu’entre le ressortissant européen et un État membre.

Ce caractère complémentaire de la citoyenneté européenne n’est cependant pas rédhibitoire, car les citoyennetés fédérales se sont parfois forgées à partir des citoyennetés des États fédérés et de l’interdiction de discriminer. Les exemples de la Suisse et des États-Unis suggèrent que la citoyenneté européenne pourrait, à long terme, donner naissance à une nationalité européenne. En attendant, pour l’instant, les immigrés vivant dans les pays de l’UE ne peuvent accéder à la citoyenneté européenne que par un processus de naturalisation au sein de leur État de résidence, qui reste maître de ses règles en la matière. En effet, il n’existe aucune harmonisation des lois sur l’acquisition de la nationalité au sein de l’UE.

Un contenu ambivalent mais qui gagne en cohésion

Le contenu de la citoyenneté européenne peut paraître malaisé à déterminer, compte tenu de l’"éparpillement" des dispositions définissant les droits des citoyens. Ceux-ci ne sont pas rassemblés dans un seul et même texte : les articles 20 à 24 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) mentionnent uniquement les droits attachés à la seule qualité de citoyen européen et la Charte des droits fondamentaux de décembre 2000 rassemble les droits politiques, économiques et sociaux des Européens.

Néanmoins, le traité de Lisbonne, entré en vigueur en décembre 2009, a donné plus de force à la citoyenneté européenne. D'une part, il permet l’exercice d’une citoyenneté plus active avec l’instauration d’un droit d’initiative citoyenne : un comité de citoyens (ONG, association, parti politique, etc.), composé d’au moins sept ressortissants de sept États membres différents, a la possibilité, depuis le 1er avril 2012, de présenter une initiative citoyenne européenne (ICE), invitant la Commission à exercer son droit d’initiative, en vue de l’adoption d’un texte qu’ils estimeraient nécessaire. Cette initiative doit être soutenue par un million de citoyens ressortissants d’au moins un quart des États membres et représentant une proportion significative de la population déterminée pour chacun des États concernés (par exemple : 3 750 signataires pour Malte, 74 250 pour l’Allemagne, 54 000 pour la France, etc.).

D'autre part, il reconnaît à la Charte des droits fondamentaux une "valeur juridique égale aux traités", ce qui la rend contraignante pour les États membres.

Cependant, l’apport de la citoyenneté européenne est nécessairement mitigé dans la mesure où certains droits afférents à la qualité de citoyen européen ne font que consolider l’acquis communautaire, tandis que d’autres ajoutent à l’état du droit.

La consolidation de l’acquis communautaire

Dans certains domaines, l’institution de la citoyenneté européenne s’est faite à droit constant. En effet, en conférant à tout citoyen de l’Union le “droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres” (art. 21 TFUE), le traité de Maastricht ne faisait que rappeler un droit déjà garanti depuis 1957.

Le constat est le même s’agissant du droit de pétition devant le Parlement européen : son rattachement à la citoyenneté européenne, opéré par l’article 24 TFUE, n’apporte rien de nouveau ; il officialise simplement une pratique qui apparaissait, jusque-là, dans le règlement intérieur du Parlement européen.

La création de droits nouveaux

La véritable nouveauté réside dans les volets politique et administratif de la citoyenneté européenne.

Contenu politique

Les citoyens européens bénéficient d’un droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales de l’État membre dans lequel ils résident (art. 22 TFUE). En France, ils ne peuvent cependant être élus à des fonctions exécutives (ex : maire ou adjoints) ou participer à la désignation des électeurs ou des membres d’une assemblée parlementaire (ex : Sénat). Ce droit de vote et d’éligibilité vaut également pour les élections au Parlement européen.

Cette innovation majeure du traité de Maastricht (1992) souffre cependant d’un manque d’effectivité qui conduit à en relativiser la portée. Le taux de participation de ces "électeurs migrants" est en effet très faible. Ainsi, aux élections municipales françaises de 2001, seuls 13,8% d’entre eux étaient inscrits sur les listes municipales, 991 ressortissants européens ont été candidats et seulement 204 conseillers municipaux non nationaux ont été élus. Lors des élections municipales de 2014, le nombre des inscrits avait progressé, passant de près de 200 000 en 2008 à 278 000, soit 23% des ressortissants européens remplissant les conditions pour être électeur.

S’agissant des élections au Parlement européen en 1999, le taux d’abstention observé chez les citoyens européens inscrits sur les listes complémentaires en France était de 53%. Entre 1999 et les élections européennes de juin 2004, le taux d’inscription des citoyens européens résidents sur ces mêmes listes complémentaires a augmenté, passant de 5,9% à 12,5% pour atteindre 20% lors des élections européennes de 2014. Malgré cette progression, la mobilisation des résidents européens reste donc faible. Cela est d’autant plus regrettable qu’une participation accrue de leur part renforcerait le Parlement européen en tant que lieu de représentation d’un peuple européen, certes encore embryonnaire. Pour y remédier, davantage de publicité devrait être organisée quant au droit de vote et d’éligibilité des citoyens européens résidant hors de leur État d’origine.

Dans le volet politique, le second apport du traité sur l’Union européenne de 1992 réside dans la protection garantie par les autorités diplomatiques et consulaires de chaque État membre à tout citoyen de l’Union qui se trouve sur le territoire d’un pays tiers, dans lequel son État d’origine n’est pas représenté (art. 23 TFUE).

Aspects administratifs

S’agissant du volet administratif, le citoyen européen dispose du droit de saisir le médiateur européen, du droit d’écrire aux institutions européennes et d’obtenir une réponse dans la langue de son choix (innovation du traité d’Amsterdam, 1997) et, plus largement, du droit à une bonne administration (art. 24 TFUE). Comme le droit de pétition, le droit de saisir le médiateur n’est pas réservé aux seuls ressortissants de l’Union européenne. Bien que dépourvu de pouvoir de sanction, le médiateur détient une arme dissuasive à travers la publication de son rapport annuel d’activité.

Ce bilan mitigé ne doit pas occulter le fait que la citoyenneté européenne demande à être appréhendée dans une perspective dynamique. Encore inachevée et trop disparate, elle pourrait constituer un facteur de mutation de l’UE. Jusqu'à présent, elle fait figure de facteur d’inclusion car elle tend à rapprocher les citoyens européens des institutions de l’Union. Elle est cependant également un facteur d’exclusion du non-membre de l’Union. On pourrait alors se demander si l’on doit continuer à prendre la nationalité comme critère d’attribution de la citoyenneté européenne, ou si l’on ne doit pas lui préférer celui de la durée de résidence dans un État membre. L’article 45.2 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE paraît aller dans ce sens, en disposant que la liberté de circulation et de séjour peut être accordée, conformément au TFUE (art. 79), aux ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire d’un État membre.

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