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Logement : faut-il construire des logements neufs ou rénover le parc ancien ?

Temps de lecture  24 minutes

Par : Jean-Claude Driant - Professeur à l’École d'urbanisme de Paris et Rémi Babut - Ingénieur et urbaniste, chef de projet dans le secteur du logement au Shift Project

Objectif zéro artificialisation des sols, réduction de l'empreinte carbone : face aux défis écologiques, la rénovation semble devoir s’imposer. Mais le choix entre rénovation et construction peut-il reposer uniquement sur les contraintes environnementales ? Un débat entre Jean-Claude Driant et Rémi Babut.

Construire ou rénover

Pourquoi préfère-t-on de plus en plus la rénovation à la construction ?

Réponse de Jean-Claude Driant
Il n'est pas certain que la rénovation soit à ce point préférée à la construction de logements neufs. Cela dépend pour beaucoup des acteurs concernés. Les politiques du logement comportent, de longue date, un volet économique important qui vise à soutenir l'activité des nombreuses composantes de l'industrie du bâtiment, qui vont de l'artisan seul sur ses chantiers au géant international. Le fameux slogan "Quand le bâtiment va, tout va" date de 1850 et est encore largement d'actualité.

Or, s'il est certain qu'une part faible mais croissante du chiffre d'affaires des entreprises du bâtiment provient aujourd'hui de la rénovation, la construction neuve reste le moteur majeur de leur activité.

L'argument principal de cet engouement pour la rénovation est aujourd'hui écologique et se développe à partir de deux constats importants : 

  • d'abord, celui du bilan carbone de la construction neuve, qui laisse fort à désirer, surtout si la construction neuve est précédée d'une démolition ;
  • ensuite, on se doit de constater que l'extension urbaine et la construction neuve entraînent la consommation d'importantes ressources foncières naturelles ou agricoles. Le constat de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), dans son scénario de décarbonation à l'échéance 2050, est radical : elle prône "une réduction drastique de la construction neuve".

L'autre argument majeur invoqué à l'appui de la rénovation n'est pas contradictoire avec la poursuite d'une activité importante de construction neuve. C'est la rénovation énergétique des logements existants. La construction neuve repose aujourd'hui sur des normes exigeantes dont chacun espère qu'elles garantiront dans la durée une véritable efficacité énergétique à la fois sur les plans du confort des habitants, de la maîtrise de leurs dépenses pour se chauffer et de la neutralité carbone. C'est beaucoup plus complexe dans l'existant pourtant prioritaire (au rythme actuel de la construction, 75% du parc de 2050 sera composé de logements qui existent déjà aujourd'hui).
Au total, plutôt que de parler de préférence pour l'une ou pour l'autre, il faut sans doute se donner pour objectif conjoint de construire beaucoup de logements neufs et de rénover massivement le parc existant.

Réponse de Rémi Babut
Je ne suis pas non plus persuadé que la rénovation soit réellement préférée à la construction. Si l'on regarde les chiffres, certes les réservations et les mises en vente de logements neufs semblent fortement décroître (Elsa Dicharry, "Chute historique des ventes de logements neufs", Les Échos, 17 novembre 2022), mais les mises en construction en 2021 (392 000 logements, voir : Base de données Sit@del 2) sont à un niveau légèrement supérieur à la moyenne de ces dix dernières années. 

Le nombre de rénovations, quant à lui, augmente à proportion des moyens mis sur la table par l'État en termes de financement ("MaPrimRénov" pour les travaux de rénovation énergétique, les certificats d'économie d'énergie, etc.) et de communication, mais il s'agit toujours quasi exclusivement de gestes de rénovation qui portent sur un seul composant (en grande majorité, des changements de système de chauffage) et non des projets de rénovation globale (projets qui s'attaquent à l'ensemble des postes (murs, toiture, ouvrants, planchers bas, chauffage et production d'eau chaude sanitaire, ainsi que leur programmation) dont on aurait besoin pour atteindre les objectifs de décarbonation. Il faut qu'on attende un peu pour savoir si la flambée des prix de l'énergie de l'année 2022 aura un effet réel sur la demande de rénovation.

S'agissant de la baisse de la construction neuve, le "zéro artificialisation nette" (ZAN) imposé par la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 ne devrait pas encore réellement montrer ses effets. Ce seraient plutôt des circulaires antérieures et les dernières élections municipales qui ont pu amener certains projets à être questionnés, ralentis, voire arrêtés. Le contexte économique est également important, par exemple l'augmentation du coût des matériaux qui a pu jouer et rendre plus difficile le lancement d'opérations de construction, avec une influence moindre mais réelle sur la rénovation.

Si, dans les faits, les évolutions restent faibles, dans les discours on a pu observer récemment un basculement lié aux informations amenées dans le débat public par The Shift Project notamment, association française engagée dans la lutte contre le changement climatique et pour la décarbonation de l'économie, mais également par l'Ademe, le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), l'institut négaWatt, œuvrant à la transition énergétique, ou encore le Conseil national de l'ordre des architectes (CNOA), ainsi que certains chercheurs. Ces informations ne sont pas nouvelles, elles étaient déjà mises en avant par différentes institutions de prospective (on retrouve des tendances comparables dans les projections de la stratégie nationale bas carbone, SNBC), mais elles ont été davantage portées à la connaissance du grand public et des acteurs économiques ces dernières années.

Premièrement, la démographie sera, d'après les prévisions de l'Insee, moins dynamique qu'aujourd'hui, et ce dès la décennie 2030. Le nombre de nouveaux ménages, qui est le premier déterminant du besoin en logements, devrait passer d'environ 250 000 par an aujourd'hui à 125 000 par an en 2050.

Ensuite, il est essentiel de prendre en compte l'impact environnemental des politiques du logement. La rénovation a un impact environnemental bien moindre que la construction : environ deux fois moins d'émissions de gaz à effet de serre (GES ) et dix à vingt fois moins de matériaux requis (données en construction, les méthodes de calcul n'étant pas stabilisées et on ne bénéficie encore que de peu de retours d'expérience). Nous savons qu'il sera difficile, pour ne pas dire impossible, de tenir nos engagements climatiques si l'on ne s'interroge pas sur les volumes de construction (nombre de logements, taille des surfaces construites chaque année, etc.), en plus de réduire l'impact des techniques de construction.

Il est essentiel que les entreprises commencent à y réfléchir dès maintenant (et il semblerait que certaines s'y soient déjà attelées !) (Barbara Kiraly, "Maisons individuelles : le leader Hexaom opère un virage serré", Le Moniteur, 18 novembre 2022.), car transformer l'appareil productif est assez long, que ce soit en termes d'équipements et de machines ou de compétences.

Depuis de nombreuses années, il existe une importante pénurie de logements. Peut-on alors vraiment se passer de la construction de logements neufs ?

Réponse de Jean-Claude Driant
Sur le plan strictement quantitatif et à l'échelle nationale, il n'est pas possible de démontrer statistiquement qu'il existe un déficit de logements en France. S'il est nécessaire d'être plus nuancé en menant des approches locales, par exemple au sein de la métropole francilienne, le constat le plus clair est surtout celui d'un manque de logements abordables. Ce que l'on appelle encore "crise du logement" dans notre pays a des caractéristiques bien différentes de celle des années d'après-guerre.

Les enjeux de la construction de logements neufs sont ailleurs, mais ils sont nombreux.
Il faut d'abord être en mesure d'accompagner la poursuite de la croissance des besoins et de la demande. La population française continue de croître, et le nombre de ménages (les occupants d'un logement) croît encore plus vite sous l'effet de mécanismes démographiques et sociétaux : allongement de la durée de la vie et évolution des situations familiales. Si on ajoute à cette croissance la nécessité de remplacer des logements qui disparaissent chaque année (démolitions, changements d'usage, fusions de petits logements) et la propension croissante à la possession de résidences secondaires, toutes les analyses de l'Insee et du ministère chargé du logement montrent qu'il serait nécessaire de construire chaque année entre 350 000 et 400 000 logements neufs.

Mais un tel chiffre ne suffit évidemment pas à répondre à la réalité des besoins et à la persistance d'un nombre important de personnes en situation de mal-logement. Il ne s'agit pas de dire qu'il en faudrait plus, mais qu'il en "faudrait mieux", c'est-à-dire dépasser le débat du "combien ?" pour aller vers les questions fondamentales qui sont "quels logements ?" et "où ?".

La première question renvoie à la notion de logement abordable et capable de répondre à la diversité des besoins. La poser en ces termes diffère radicalement du point de vue économique classique des acteurs du secteur. Un logement qui se vend bien n'est pas toujours un logement utile à la satisfaction des besoins de tous. C'est l'enjeu des échanges et des négociations locales entre ces acteurs de la production et ceux des politiques territoriales de l'habitat.

La seconde question renvoie à la fois à la priorité de construire là où les besoins sont les plus importants (les marchés dits "tendus") et au rôle que la construction neuve peut jouer aussi dans des villes plus tranquilles, voire "décroissantes", où la logique de la construction pourra être guidée par des enjeux de remplacement partiel d'un parc obsolète coûteux, voire impossible à rénover.
En conclusion, même s'il est devenu heureusement erroné de parler de déficit de logement en France, la nécessité de construire des logements neufs à un rythme proche de celui des 25 dernières années (360 000 logements par an) reste fondamentale.

Réponse de Rémi Babut
Il me semble impossible de réduire la tension sur les marchés tendus en s'arrêtant de construire dans le contexte actuel. Pour autant, on voit bien que construire ne peut être la seule réponse. Ce discours uniquement centré sur l'offre, qui plus est l'offre neuve, occulte une partie importante du problème.

Déjà parce que l'on ne sait pas vraiment aller plus vite qu'aujourd'hui : François Hollande avait annoncé vouloir faire monter la production de logements à 500 000 unités par an en 2012 ; on ne les a jamais atteints. Emmanuel Macron avait annoncé un choc de l'offre, et cela ne s'est pas vraiment vu dans les chiffres. La situation de tension dans les métropoles n'a pas vraiment changé. On peut donc s'interroger sur l'efficacité de cette stratégie ; il y a très certainement des réponses à apporter sur la demande en logement.

Cela rejoint notamment ce que dit M. Driant sur le "où ?". En effet, les institutions à la manœuvre en matière de logement raisonnent principalement en termes de construction, en oubliant qu'il y a par exemple un nombre de logements vacants important en France (environ 3 millions, dont la moitié sont inoccupés depuis longtemps). Si l'on n'exploite pas ces logements, c'est certainement parce qu'une partie n'est plus adaptée aux modes de vie actuels – on pourrait sans doute y remédier en bonne partie si rénover devenait plus avantageux que construire neuf –, mais surtout parce que ce parc de logements est situé dans des territoires moins attractifs, notamment sur le plan de l'emploi. Si l'on pensait à grande échelle et de manière conjointe les politiques d'emploi, de mobilité et de logement, il y aurait sans doute des choses à faire, d'autant plus que l'on sait qu'il est nécessaire de modifier sensiblement la structure de l'emploi (et sa géographie) ainsi que la façon de se déplacer si l'on veut atteindre nos engagements de décarbonation.

Il y a également des communes qui se sont développées sur un mode très pavillonnaire, si bien qu'il y a une offre déficiente pour certains types de résidences. Compléter, diversifier cette offre est un levier pour mieux exploiter le parc bâti.

Enfin, dans certains territoires, la proportion de résidences secondaires empêche des habitants à l'année de trouver un logement et certains élus locaux essaient de s'en préoccuper, mais ils manquent d'outils fiscaux et réglementaires. L'État pourrait les aider à avancer plus vite.

La question des logements vacants

Est-il envisageable d'utiliser, du moins en partie, les trois millions de logements vacants pour limiter la construction neuve ?

Réponse de Jean-Claude Driant
Le sujet est ancien et revient avec une grande régularité, suscitant des espoirs excessifs. Le recensement de 2019 comptabilise 2,9 millions de logements vacants en France, soit 8,5% du parc total. Ce chiffre, qui semble élevé en première lecture et croissant à l'échelle nationale, masque une grande diversité de situations, qui vont du logement neuf livré, mais non encore occupé, à l'appartement entre deux locataires, en passant par la semi-ruine en secteur rural ou le logement en cœur de ville moyenne à l'étage d'un commerce et uniquement accessible par l'arrière-boutique. S'il existe également ici ou là des comportements de rétention de la part de certains propriétaires (mais peut-on parler de rétention spéculative, par exemple, pour un logement bloqué temporairement à l'occasion d'une succession complexe ?), il ne faut pas surestimer l'ampleur du stock récupérable à l'aide de mesures plus ou moins coercitives.

Certes il existe quelques marges de manœuvre, mais celles-ci supposent souvent d'importants travaux de rénovation. Le potentiel de récupération est donc marginal et surtout localisé dans les centres des villes ou des secteurs ruraux peu attractifs. Dans les villes où le marché est plus tendu, il ne faut pas négliger la nécessité de disposer d'un flux constant de logements vacants ; or comment trouver à se loger s'il n'y a pas de logements vacants ?

Réponse de Rémi Babut
De manière plus large, il faut se demander si l'on peut utiliser le parc bâti, dont une part importante est aujourd'hui sous-occupée, de manière plus optimale. C'est justement là que la question de la demande doit être traitée avec la plus grande attention. Sur ces trois millions de logements vacants, plus de la moitié le sont de manière chronique ; c'est l'équivalent de quatre années complètes de production de logements neufs, soit une réserve qui permettrait de diminuer largement la production si on arrivait à la valoriser. Pour cela, il faudrait que cette réserve de logements vacants réponde aux besoins des ménages. Premièrement, comme cela a été précédemment évoqué, une part importante de ce parc se situe dans des zones peu dynamiques en termes d'emploi. Il me semble que la tendance de migration résidentielle du rural vers l'urbain est très liée à la géographie économique actuelle, avec une concentration de l'emploi dans les villes. 

Il est difficile de contrôler cela. Cependant, ce processus ne me paraît pas inéluctable ; il n'a pas lieu de manière tout à fait comparable chez tous nos voisins européens. Encourager une répartition de l'emploi moins concentrée dans les villes est possible et il y a même une opportunité de le faire à travers la transition écologique. Dans le Plan de transformation de l'économie française (PTEF), par exemple, nous avons estimé que le nombre d'emplois agricoles remontait sensiblement, ce qui inciterait certainement à mobiliser les logements inoccupés pour les familles de ces travailleurs agricoles, et pour les acteurs de l'économie résidentielle (commerçants, personnels de santé…) qui les suivront. Cela poussera également à réinvestir en tant que résidence principale certains logements qui font aujourd'hui office de résidence secondaire.

La question de l'adéquation du bâti aux modes de vie actuels se pose également, et un effort de rénovation thermique massif peut accompagner l'adaptation du bâti ancien. À l'échelle des bassins de vie, une approche par le type d‘habitat plébiscité aux différentes étapes de la vie est essentielle pour identifier la possibilité de compléter le parc bâti local via des typologies qui répondraient aux besoins, aux différentes étapes de la vie, et peuvent aujourd'hui manquer. Cela permettrait aussi de fluidifier les parcours résidentiels et de libérer ces fameuses maisons individuelles tant désirées pour des ménages qui en ont le plus besoin et les utiliseront au maximum de leur potentiel.

Si la rénovation devient un impératif, les entreprises de BTP peuvent-elles se transformer en recycleurs-transformateurs ?

Réponse de Jean-Claude Driant
Les entreprises du secteur du bâtiment ont toujours su s'adapter aux grandes évolutions de leurs marchés, mais il faut avoir conscience de leur grande diversité, entre des multinationales qui trouvent à alimenter leurs commandes à l'échelle mondiale et des artisans micro-locaux dont la capacité d'innovation peut s'avérer très variable. La rénovation énergétique en cours montre là certaines de ses limites et pose d'immenses enjeux de qualification.

Les géants du BTP, mais aussi les promoteurs privés restent très concentrés sur la pratique et la culture du neuf alors que beaucoup de bailleurs sociaux ont expérimenté l'acquisition-amélioration d'immeubles existants. L'industrialisation de ces pratiques est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre, chaque opération restant un prototype, avec un modèle économique souvent incertain.

Les évolutions devront se faire et se feront, mais davantage dans une logique de diversification des activités que de transformation radicale.

Réponse de Rémi Babut
Il n'y a pas de raison qu'elles ne le puissent pas, mais c'est une question que l'on doit se poser au plus tôt et que nous avons, avec The Shift Project, essayé d'envisager de manière plus globale dans le Plan de transformation de l'économie française (PTEF), sur un ensemble de secteurs touchés par la transition bas carbone. En effet, toutes les activités n'occuperont pas la même place qu'aujourd'hui dans une économie neutre en carbone. Certaines, "décarbonantes", sont appelées à croître et d'autres, qui ne pourront se décarboner suffisamment vite, sont appelées à décroître. De fait, de nombreux emplois vont être créés ou bien détruits, et certains investissements vont se transformer en actifs échoués s'ils ne s'inscrivent pas dès maintenant dans la transition. Si l'on veut que la transition se fasse, il faut donc l'anticiper et travailler avec les entreprises, les syndicats, les organismes de formation afin de proposer des transitions aux travailleurs dont les emplois sont à risques, et gérer de manière aussi fluide que possible la décroissance des activités trop carbonées.

Dans le bâtiment, par exemple, certains métiers sont au croisement de la construction et de la rénovation ; c'est le cas notamment des chauffagistes. D'autres, en revanche, sont très spécifiques ; par exemple, la pratique du banchage est vouée à diminuer, à l'inverse de l'isolation du bâti vernaculaire appelée à se développer. Il y aura donc de nouvelles compétences à développer, et en nombre suffisant, pour réussir la transition, qui suppose un nombre de rénovations très important. 

Et celle de la maison individuelle

Les performances de l'ancien rénové (sur les plans thermique, acoustique…) peuvent-elles égaler celles du neuf ?

Réponse de Jean-Claude Driant
Il n'est pas possible de répondre par oui ou par non à une telle question tant cela renvoie à l'extrême diversité du patrimoine. S'il est relativement aisé d'isoler par l'extérieur beaucoup d'immeubles des cinq dernières décennies, obtenant ainsi des performances plus qu'acceptables, la problématique des maisons individuelles est beaucoup plus hétérogène. Et que dire d'une partie du patrimoine historique des centres-villes et des bourgs, dont la rénovation énergétique n'a pas encore trouvé ses solutions techniques ?

Là encore, il est probable que les réponses à ces enjeux progressent au cours des prochaines décennies, mais sans doute pas à la vitesse et avec l'ampleur suffisantes pour permettre une substitution massive de la construction neuve.

Réponse de Rémi Babut
Bien qu'ils aient encore une certaine marge de progression, qu'il sera utile d'activer pour réussir la transition, les standards du neuf d'aujourd'hui sont élevés et toutes les constructions existantes ne pourront les atteindre en termes de consommation énergétique. Pour autant, un nombre considérable d'exemples de rénovation (voir sur l'Observatoire BBC) montre que celle-ci peut atteindre des performances comparables en termes d'émissions de GES en usage (et donc finalement encore meilleures en cycle de vie, car la rénovation est moins émettrice que la construction) et que les émissions de construction de ces bâtiments sont déjà amorties. Qui plus est, les constructions existantes ont une valeur sur d'autres plans (patrimonial, esthétique, urbain, etc.).

Comment concilier l'impératif écologique et le souhait d'une large majorité de Français d'habiter une maison individuelle avec jardin ?

Réponse de Jean-Claude Driant
L'appétence d'une majorité de Français pour la maison individuelle est une réalité sociale majeure dont les débats des cinq dernières années ont montré qu'elle était porteuse d'une sensibilité politique. Ces débats, en outre, ont mis en évidence le risque couru par l'habillage écologique de formes diverses de mépris technocratique ou de classe. La crise sanitaire de 2020-2021 a d'ailleurs eu pour conséquence d'accroître encore le souhait de proximité avec la nature, y compris chez une portion notable de ménages urbains aisés qui se satisfaisaient jusque-là du concept socialement très sélectif de la "ville du quart d'heure", dense et où tout est accessible avec un vélo.

Sans négliger l'évidence du constat d'une consommation foncière importante et surtout de la dépendance aux énergies fossiles que crée la maison individuelle, rappelons deux des éléments fondamentaux mis en exergue dans ce débat sur le logement individuel.

D'abord celui de l'existant. Le recensement de 2019 a montré que 20,2 des 36,5 millions de résidences principales du pays sont des maisons individuelles. Elles sont là, leurs occupants aussi, et rien n'indique que ceux-ci vont massivement revenir vivre dans un appartement. C'est la réalité fondamentale de la ville et de l'habitat de demain. Comment gérer écologiquement ce "déjà là" ? La rénovation énergétique est au cœur de la réponse, mais on reste loin, avec les aides publiques actuelles, d'une capacité réelle à généraliser les rénovations totales (murs, toits, ouvertures, chaudière, soit en moyenne 50 000 à 60 000 euros par logement) quand la majorité des propriétaires, à revenus modestes, ne peuvent ni supporter le reste à charge des travaux ni espérer un retour sur investissement à moyen terme. Les mobilités viennent compléter cette réponse. Celles-ci varient considérablement selon les lieux. Peut-on penser efficacement une sortie de la dépendance à l'automobile à l'aide d'une offre efficace et confortable de transports collectifs ou faciliter la transition vers des mobilités individuelles ou partagées à base d'électricité ?

L'autre dimension de la question est celle du neuf. Comment répondre à la demande croissante de maisons individuelles, tout en respectant l'impératif écologique ? D'abord en garantissant le haut niveau de performance environnementale de la construction et de la gestion de ces maisons ; ensuite en favorisant, par des politiques d'urbanisme énoncées à la bonne échelle, des localisations peu consommatrices de foncier naturel ; enfin, en préservant, voire en réintroduisant, par des espaces publics et privés arborés et de pleine terre, une biodiversité que beaucoup de terrains agricoles ne recréent plus de nos jours. Il s'agit, en bref, de produire un habitat à la fois désirable et écologiquement efficace, ce qui n'est ni contradictoire ni impossible.

Réponse de Rémi Babut
Il y a effectivement régulièrement des sondages qui avancent que "80 % des Français préfèrent vivre en maison individuelle" (sondage de l'IFOP pour la Fédération française des constructeurs de maisons individuelles; Pierre Chevillard, "Maison : ce que pensent vraiment les Français", Construire sa maison, 28 mars 2022), mais, d'une part, je ne pense pas que ce soit immuable et, d'autre part, je crois qu'une mise en contexte peut nuancer cela. On est dans une situation de choix sous contrainte avec de nombreux paramètres à prendre en compte (accessibilité de l'emploi et des services, cadre de vie, proximité familiale et relationnelle, etc.) et, comme toujours dans ces cas-là, chacun va les hiérarchiser selon ses propres contraintes, priorités et moyens. C'est une lapalissade de dire que – en dehors de quelques privilégiés – on ne peut pas tout avoir : une maison avec un grand jardin proche d'un centre-ville dense, riche en emplois et en services, qui ne coûte pas cher, ça n'existe pas. Il va donc falloir savoir ce que l'on veut. 

De manière un peu simpliste, si l'on regarde le prix des appartements et celui des maisons (y compris le terrain non construit qui biaise un peu le calcul) dans différents territoires, on constate que, dans cet exercice de choix sous contrainte, les ménages ne vont pas forcément dans le sens de ce qu'ils expriment lors d'un sondage. Du moins, a minima, le sujet est bien plus complexe que le laissent croire des écrits révélant qu'une majorité écrasante de Français ferait le choix d'une maison individuelle.

Pour moi, c'est cette dimension complexe et collective dans les choix de vie individuels qui était importante dans la déclaration d'Emmanuelle Wargon, alors ministre déléguée chargée du Logement, sur la maison individuelle. Si celle-ci était peut-être maladroite, elle constituait néanmoins une bonne amorce pour cet exercice de choix collectif et individuel imbriqués. Concernant le parc de logements vacants, il faut considérer davantage les solutions organisationnelles (et non seulement techniques) ainsi que le travail sur la demande (et non les seules réponses par l'offre).

Une partie de la réponse à la question de la tension du secteur du logement réside dans notre capacité à mieux mobiliser la ressource existante : seul un quart du parc connaît un état d'occupation optimale ou de suroccupation, le reste est sous-occupé ou vacant. Peut-on réinvestir les maisons vacantes et secondaires dans des zones rurales qui ne sont pas aujourd'hui sous tension ? Peut-on fluidifier la rotation du parc pour que les ménages habitent dans des logements qui correspondent à leur mode de vie en fonction de leur âge et de leur structure familiale ? Il ne faut pas cristalliser le débat autour d'une typologie un peu absconse : que recherchent les ménages dans la maison individuelle ? Un jardin, du calme, de l'intimité ? Et, dans ce cas, peut-on fournir certains de ces services par d'autres moyens techniques et architecturaux ou par des aménagements collectifs (parcs, jardins partagés ou ouvriers, meilleur accès aux espaces naturels) ?

Nos souhaits sont en grande partie des constructions sociales. Aujourd'hui, nos désirs sont en effet largement influencés par la publicité et le marketing, les différents médias culturels auxquels nous avons accès, etc. Sur ce sujet, comme sur bien d'autres sujets de transition, la possibilité de désirer d'autres choses, ou de désirer autrement, peut nous aider à orienter nos modes de vie vers un moindre impact environnemental, tout en appréciant d'autant plus ce que nous avons déjà et en améliorant notre qualité de vie.

Des chercheurs comme Éric Charmes, par exemple, appellent en revanche à ne pas condamner trop vite la maison individuelle. Pour ma part, je pense qu'il est nécessaire de ne pas continuer à ajouter des problèmes à ceux que nous avons déjà et donc de modifier, mais également de limiter, ce modèle de développement qui verrouille l'important besoin individuel de mobilité, consomme des sols, etc. Cependant, engager ces changements implique de se demander quel va être leur impact sur les modes de développement des différents types de territoire et sur les transferts de richesse entre profils (propriétaires de maison, propriétaires d'appartement, locataires). Cela nécessite, selon moi, de réhabiliter une vision de l'aménagement du territoire qui n'existe plus aujourd'hui.

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