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Compte personnel de formation : quel bilan pour le CPF ?

Temps de lecture  8 minutes

Par : Laurent Durain - Directeur de la formation professionnelle et des compétences à la Caisse des dépôts et consignations

31,7 milliards d’euros investis, 19,7 millions de personnes bénéficiaires en 2018 : le compte personnel de formation (CPF) est un dispositif qui permet à chaque actif de bénéficier d’un accès facilité à la formation professionnelle. Comment fonctionne-t-il et comment pourra-t-il évoluer ?

La petite histoire du compte personnel de formation (CPF)

En 1971, la loi Delors (proposée par Jacques Delors, alors chargé de mission auprès du Premier ministre Jacques Chaban-Delmas) introduit l'obligation de formation à la charge des entreprises, qui devient un droit individuel à la formation (DIF) en 2004. En 2014, le DIF se transforme en compte personnel de formation (CPF). Depuis cette date, il suit chaque personne tout au long de sa vie professionnelle. En 2019, le CPF est alimenté en euros (pour les seuls salariés, car il est alimenté en heures pour les agents publics) et devient accessible à travers une application numérique (Mon Compte formation, MCF) ouverte le 21 novembre 2019 et gérée pour le compte de l'État par la Caisse des dépôts et consignations.

Le CPF donne accès à des dispositifs de formation continue. La formation continue est un secteur de la formation orienté vers la population active (en emploi ou à la recherche d’un emploi) et qui rend possible la formation tout au long de la vie. Elle complète d’une certaine façon la formation initiale, qui couvre le champ porté par l’enseignement. Dans la formation initiale publique, la formation est gratuite : les enseignants sont payés par l'État. La formation continue est dispensée par une multitude d’organismes de formation aux statuts variés. Elle est payante et cofinancée par des cotisations patronales, par une participation de l'État et par des collectivités locales. La formation continue représente une dépense d'environ 30 milliards d’euros par an en France.

Comment fonctionne le CPF ?

Tous les actifs (salariés, demandeurs d’emploi, fonctionnaires) ont un CPF depuis l'âge de 16 ans jusqu’à la liquidation de leurs droits à la retraite. Les droits CPF sont portables, non transférables et ne se périment pas.

Avec le CPF, il est uniquement possible d'acheter des formations qualifiantes, diplômantes et certifiantes (et quatre exceptions législatives, inscrites à l’article L6323-6 du code du travail : la validation des acquis de l’expérience (VAE), les bilans de compétences, la préparation du permis de conduire et les actions de formation en vue d’une création d’entreprise). Le prix d’une formation comprend les coûts pédagogiques et le passage du diplôme ou de la certification, rien d’autre.
MCF met en contact la demande de formation des détenteurs de CPF avec les organismes de formation qui déposent leur offre éligible sur un portail dédié. MCF traite de manière dématérialisée toute la chaîne de valeur allant de la recherche d'une formation par le titulaire jusqu’au paiement de l’organisme de formation par la Caisse des dépôts et consignations.

Le démarchage abusif

Personne (ni la Caisse des dépôts et consignations, ni un organisme de formation) n’a le droit de contacter le détenteur d’un compte pour l’inciter à utiliser son CPF. C’est un compte personnel, propre à chacun et pour lequel, comme un compte bancaire, il ne faut jamais communiquer ni son identifiant (n° de SS) ni son code d’accès (la loi du 19 décembre 2022 vise d'ailleurs à lutter contre la fraude au compte personnel de formation et à interdire le démarchage de ses titulaires).

Comment est financé le CPF ?

En 2018, 31,3 milliards d’euros sont investis en France pour permettre à 19,7 millions de personnes environ de bénéficier d’une formation (Formation professionnelle, Jaunes budgétaires, 18 octobre 2021). On y trouve l’effort de l'État en matière de formation professionnelle (3,8 milliards d’euros), l'effort des entreprises (13,3 milliards d’euros) pour leurs salariés qui comprend les dépenses payées directement par les entreprises pour les formations relevant de leur plan de formation – 5,2 milliards d'euros – et les dépenses intermédiées par les opérateurs de compétences (OPCO) – 8,1 milliards d'euros –, le budget consacré par les régions (4,2 milliards d’euros) qui ont la compétence formation profession des demandeurs d’emploi, celui de Pôle emploi et des administrations d'État (2,5 milliards d'euros) et territoriales (6 milliards d’euros) à destination de leurs propres agents. Sans oublier l'effort des particuliers eux-mêmes (1,4 milliard d’euros). Mais c'est la contribution des entreprises, collectée par l’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, qui est utilisée pour financer les formations achetées avec le CPF via l’instance de gouvernance nationale de la formation professionnelle et de l’apprentissage, France compétences. Cela représente en 2022 environ 2,6 milliards d’euros.

Les droits CPF sont alimentés chaque année par la Caisse des dépôts et consignations sur la base de données issues de la déclaration sociale nominative (remplie en ligne, chaque mois, par l'employeur à partir de la fiche de paie). Les salariés reçoivent 500 euros par année d’activité, certains actifs (salariés moins qualifiés, travailleurs handicapés) recevant 300 euros en plus. Tant que le détenteur du compte n’active pas son CPF (45% des Français l'ont fait) et ne l'utilise pas, les droits restent virtuels. Ils se monétisent au moment de l'achat de formation.

Quel bilan pour le CPF ?

En 2021, en dépit des effets de la pandémie de Covid-19, on constate un doublement du nombre des formations suivies (2 millions de dossiers validés sur MCF, dont un tiers de demandeurs d'emploi). Depuis l'origine, près de 18 millions de visiteurs ont été dénombrés sur la plateforme, dont 12 millions ont activé leur profil et 3,7 millions ont formulé une demande d’inscription. Sur le plan qualitatif, deux tiers des bénéficiaires sont des ouvriers et des employés, la parité hommes-femmes est atteinte et la proportion de seniors a sensiblement progressé (20%) depuis que le CPF est alimenté en euros, de sorte que le profil habituel des bénéficiaires de la formation professionnelle a, en peu de temps, connu une évolution sensible.

Ces résultats sont dus aux performances d’une plateforme qui permet aussi, depuis 2020, à des financeurs de la formation (Pôle emploi, conseils régionaux, branches mais aussi entreprises) de cofinancer des formations en complétant les droits dont disposent certains titulaires sur leur CPF (demandeurs d’emploi, jeunes de moins de 26 ans, salariés d’un secteur en difficulté…).
Grâce à cette co-construction désormais possible (qui sera amenée à s'étendre dans le futur), le CPF est désormais un puissant outil au service des politiques publiques de formation.

Et demain, que deviendra le CPF ?

Quel avenir imaginer pour le CPF dans le futur, par exemple dans cinq ans, en 2027 ? Proposons trois réponses :

  • plus et mieux, avec moins : dans cinq ans (et sans doute bien avant) la question de l’éparpillement des financements de la formation professionnelle sera traitée. Les volumes budgétaires seront plus réduits et concentrés sur des formations éligibles moins nombreuses, régulées annuellement et plus claires pour nos concitoyens. La qualité primera par la simple sélection d’une l’application ouverte, dynamique et enrichie par d’autres services (un passeport de compétences géré par chaque Français pour recenser ses formations et ses compétences et des accessoires essentiels de la formation : mobilité, hébergement…). Cette évolution sera accompagnée par les conseillers en évolution professionnelle (Pôle emploi, Cap emploi, l'Association pour l'emploi des cadres, les missions locales…) déjà présents sur MCF ;
  • un réel retour sur investissements : si le CPF offre à tous les citoyens un pouvoir d’achat de formation, utilisé en toute liberté, il devra démontrer son utilité par son lien direct avec l’emploi. Les premières analyses disponibles sont encourageantes : en décembre 2021, six mois après une formation financée par CPF, 54,2% des demandeurs d’emploi accèdent à un emploi, plus que pour l'ensemble des formations financées pour les demandeurs d'emploi ;
  • un usager adulte et des financeurs stratèges : l'évolution future reposera sur un système permettant d’améliorer l’information des usagers, de détecter davantage de situations anormales et donc d’intervenir avec efficacité au bénéfice de l'intérêt général. MCF permettra d’accueillir une large gamme de financeurs publics et privés de la formation professionnelle qui interviendront en complément des financements publics pour acheter mieux, moins cher et de manière plus coordonnée.

L'enjeu du CPF pour l’avenir ? Ouvrir des perspectives nouvelles à un outil puissant au service d’une politique publique de plus en plus économe et de plus en plus efficace. À ce titre, la régulation de la fraude devra rapidement obtenir des résultats. Mais les pays européens voisins ne s’y trompent pas : la Commission européenne vient d’insérer dans une recommandation à tous les États membres de l’Union européenne la mise en place dans chaque pays d’un individual learning account sur le modèle français du CPF.

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