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L’évolution des institutions : les rapports entre pouvoirs exécutif et législatif

Temps de lecture  16 minutes

Par : Frank Baron - Conseiller de l’Assemblée nationale

Dans la France contemporaine, l’histoire du régime républicain a été marquée par nombre de lois constitutionnelles différentes.

Certaines d’entre elles n’ont eu qu’une existence théorique (ex. : Constitution de 1793), d’autres une application très brève (Constitution de 1848, abrogée dès 1852, ou celle de 1946, remplacée par la Constitution actuelle après seulement douze années).

D’autres textes, au contraire, se singularisent par leur durée. Ainsi, les lois constitutionnelles de 1875 ont-elles été en vigueur jusqu’en 1940. En termes de pratique des institutions, la IIIe République a connu de multiples inflexions – effacement volontaire du président de la République dès 1879 ("Constitution Grévy"), ultraparlementarisme, ou au contraire, avec la pratique des décrets-lois, dessaisissement du pouvoir législatif au profit de l’exécutif – sans qu’intervienne aucune révision constitutionnelle révision constitutionnelle à proprement : la durée record de "la plus longue des républiques" tient peut-être, paradoxalement, à une certaine "séduction de l’inachèvement", selon les termes de l’historien Nicolas Rousselier, gage de plasticité et d’adaptabilité du régime.

La longévité de la Constitution de la Ve République n’est pas moins remarquable, puisqu’elle pourrait égaler celle de sa lointaine devancière aux alentours de 2023. Cependant, à la différence des lois constitutionnelles de 1875, la Constitution de 1958 a fait l’objet d’un nombre important de révisions, puisqu’elle a été modifiée à 24 reprises en cinquante ans, avec en dernier lieu la révision majeure de 2008. Le rythme des révisions s’est du reste notablement accéléré au fil des ans : de cinq entre 1958 et 1992 (soit 35 ans), on est passé à dix-neuf révisions entre 1992 et 2008 (17 ans). Si certains y voient le signe d’un affaiblissement du texte constitutionnel, pour d’autres, au contraire, la durée de vie des institutions repose en grande partie sur leur capacité à évoluer.

Ces modifications répétées du texte constitutionnel nourrissent le débat sur un véritable changement de Constitution. À l’encontre des tenants d’un aménagement limité, certains souhaitent, en effet, une modification plus radicale du cadre institutionnel, et plaident pour l’instauration d’une VIe République.

Le Président Emmanuel Macron, dès le début de son quinquennat, a annoncé au Congrès réuni à Versailles son intention d’engager une révision constitutionnelle d’une certaine ampleur. Son Premier ministre Édouard Philippe, en présentant le 4 avril 2018 les points-clés de la révision envisagée, assurait : "La philosophie principale [de la Constitution] sera bien entendu préservée. Car il ne s’agit pas de revenir à la IVe République, ni de passer à la VIe." Quels que soient en définitive le calendrier et les modalités d’adoption de cette éventuelle 25e révision du texte constitutionnel, c’est sans doute au prisme des relations entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, dont l’équilibre a été affecté par la plupart des révisions majeures intervenues depuis 1958, qu’on pourra en situer les enjeux.

Au sujet du pouvoir exécutif

Le principal problème posé par les institutions actuelles tient au partage des prérogatives entre le président de la République et le Premier ministre.

Dans le régime parlementaire, le chef de l’État a le pouvoir de nommer le chef du Gouvernement, mais il laisse à l’Assemblée nationale le soin d’investir l’équipe gouvernementale et de contrôler son action, ou, le cas échéant, de mettre en cause sa responsabilité. Il est donc logique que les fonctions de chef de l’État et de chef du Gouvernement soient distinctes.

Cependant la Ve République s’est, dans la pratique, rapidement démarquée de ce modèle. Et de manière plus fondamentale, l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct, adoptée par référendum en 1962, a modifié l’équilibre institutionnel au détriment du Premier ministre, à l’exception des périodes de cohabitation.

En période « normale »

En effet, en période de fonctionnement normal des institutions de la Ve République, le Gouvernement procède du seul président de la République. La situation du Premier ministre, dès lors, est peu confortable, puisqu’il est davantage un coordonnateur de l’action gouvernementale et de la majorité parlementaire, que le véritable leader de l’exécutif. Il est ainsi responsable de son action devant deux autorités émanant du suffrage universel. Selon certains commentateurs son rôle est celui d’un "fusible", contraint à la démission en cas de crise politique majeure ou d’usure de l’exécutif devant l’opinion.

Dans le même temps, l’irresponsabilité du président de la République et son pouvoir de dissolution de l’Assemblée nationale lui assurent une position éminemment favorable au sein des institutions. Si ces prérogatives étaient justifiées dans le cadre du régime parlementaire mis en place en 1958, elles sont plus discutables depuis que l’élection du Président au suffrage universel direct lui confère une légitimité démocratique prépondérante. La personne du chef de l’État détient une autorité considérable, et son action peut s’exercer sans réel contrepouvoir. Sans qu’on puisse pour autant parler de régime présidentiel, à l’instar des États-Unis, ni, comme certains détracteurs des institutions, de « monarchie républicaine », la Ve République se caractérise comme un régime semi-présidentiel.

En période de cohabitation

En revanche, en période de cohabitation, le Premier ministre procède de la seule majorité parlementaire. Cependant, si le chef de l’État voit s’atténuer sa prééminence au sein de l’exécutif, il n’en conserve pas moins des prérogatives essentielles (ex : « domaine réservé » de la diplomatie et de la défense, nominations des fonctionnaires civils et militaires de l’État, signature des actes délibérés en Conseil des ministres).

Cette situation se caractérise par l’existence d’une authentique dyarchie (exécutif à deux têtes) au sommet de l’État. Dans ce cadre, le président de la République devient le chef de l’opposition parlementaire, sans pour autant perdre son statut de « clé de voûte des institutions » (article 5), tandis que le Premier ministre doit composer en permanence avec lui pour pouvoir mettre en œuvre le programme qu’il a défini en accord avec la majorité parlementaire.

Le quinquennat et ses conséquences sur les institutions

Afin de diminuer les risques de cohabitation, la révision constitutionnelle du 2 octobre 2000 a réduit à cinq ans la durée du mandat présidentiel. Une loi organique du 15 mai 2001 a, par ailleurs, prévu que les élections législatives auraient lieu en juin 2002 (et non en avril), consécutivement à l’élection du président de la République prévue en mai (inversion du calendrier). Ainsi les élections législatives se voient-elles attribuer un rôle de confirmation du résultat de l’élection présidentielle : il s’agit d’assurer au Président une majorité conforme à ses vues pour la durée de son mandat.

Ces réformes n’ont cependant pas écarté tout risque de cohabitation, puisque le calendrier électoral peut toujours être modifié par une dissolution ou une cessation anticipée du mandat présidentiel (pour cause de décès ou de démission).

Elles soulèvent en outre des questions importantes relatives à l’équilibre des institutions :

  • l’alignement de la durée du mandat présidentiel sur celle du mandat des députés renforce l’ambiguïté du rôle du Premier ministre : le chef de l’État apparaît désormais comme le véritable chef de la majorité parlementaire ;
  • la séquence retenue pour les élections (présidentielle puis législatives) entérine la position subordonnée de l’Assemblée nationale au sein des institutions. Sa principale fonction est d’accueillir une majorité qui permette au chef de l’État de réaliser son programme, ce qui amplifie la logique du fait majoritaire.

Les réformes possibles

La clarification durable de nos institutions impliquerait des changements d’ampleur, susceptibles de modifier en profondeur la nature même du régime. Deux voies apparaissent possibles : le renforcement du caractère présidentiel des institutions, ou le retour à une pratique plus strictement parlementaire.

  • Dans le premier cas, l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct serait maintenue, mais la fonction de Premier ministre serait supprimée. Les ministres procéderaient ainsi directement du Président.


    Un tel modèle institutionnel suppose parallèlement un renforcement de la séparation des pouvoirs. L’indépendance de la Justice devrait impérativement être renforcée, et le Parlement devrait jouer un rôle plus important, tant en termes de législation que de contrôle. Dans un tel schéma institutionnel, le droit de dissolution et la faculté pour l’Assemblée de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement devraient être supprimés, ou davantage encadrés.
  • Dans le second cas, le Premier ministre deviendrait le véritable chef de l’exécutif. Il devrait, pour ce faire, obtenir la confiance d’une majorité à l’Assemblée nationale. Cette hypothèse imposerait de supprimer l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct, au profit d’une désignation par un corps électoral restreint. Pour cette raison, elle semble peu praticable, car elle pourrait être perçue comme une remise en cause du droit reconnu aux citoyens de désigner directement le président de la République, mode d’élection adopté par référendum, et auquel les Français demeurent attachés.

Le pouvoir législatif

Les problèmes soulevés

La question de la revalorisation du rôle du Parlement revient de manière récurrente sous la Ve République. Il est vrai que les mécanismes du parlementarisme rationalisé mis en place en 1958, conjugués avec l’élection du président de la République au suffrage universel direct, adoptée en 1962, ont considérablement diminué le rôle des assemblées au regard des pratiques des républiques antérieures. L’engagement de la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale après sa nomination, qui était d’usage sous les IIIe et IVe républiques, a perdu son caractère systématique : procédant désormais du seul chef de l’État, la responsabilité du Gouvernement n’a plus été effectivement mise en cause par l’Assemblée depuis le 5 octobre 1962 (Gouvernement Pompidou), du fait du risque de dissolution qu’elle encourt.

Dans le même temps, le Gouvernement dispose de la maîtrise de la procédure législative :

  • il contrôle la moitié de l’ordre du jour des assemblées ;
  • il dispose du droit d’initiative ;
  • il peut contourner d’éventuelles oppositions des parlementaires en engageant la responsabilité du Gouvernement sur un texte en application de l’article 49-3 de la Constitution, qui permet son adoption sans débats.

Parallèlement, l’importance croissante du droit communautaire (dénommé « droit de l’Union européenne » depuis 2009) renforce la marginalisation du Parlement. Il n’est en effet pas associé aux négociations européennes, qui sont d’ordre intergouvernemental, alors que le droit européen, depuis l’arrêt Costa c./ENEL du 15 juillet 1964, s’est vu reconnaître une valeur juridique supérieure à celle de la loi nationale (principe de primauté).

Les premières révisions

Plusieurs révisions constitutionnelles ont permis de revaloriser les droits du Parlement.

  • La première, en 1974, avait pour but de renforcer les droits de l’opposition. Elle donnait à soixante parlementaires le droit de saisir le Conseil constitutionnel afin de faire respecter la conformité des lois par rapport à la Constitution et aux principes constitutionnels.
  • En 1995, une seconde révision a institué une session (période pendant laquelle le Parlement se réunit pour délibérer) unique de neuf mois, en lieu et place des deux sessions de trois mois qui existaient antérieurement. Elle a accru aussi le droit d’initiative des parlementaires en réservant une séance par mois à l’examen des propositions de loi qu’ils ont déposées.
  • Enfin, les révisions opérées en 1992, 1999 et 2008, intervenues avant les ratifications, respectivement, des traités de Maastricht, d’Amsterdam et de Lisbonne, ont accru le droit de regard des assemblées sur les projets d’acte normatifs européens. Depuis 1999, tout projet ou proposition d’acte de l’Union européenne, qu’il relève ou non du domaine législatif tel que défini à l’article 34 de la Constitution, est transmis pour avis aux deux assemblées ; ces prérogatives ont été confirmées et étendues par les révisions opérées en 2008. Les assemblées ont ainsi la possibilité d’adopter des résolutions, sur lesquelles le Gouvernement peut s’appuyer, dans le cadre des négociations européennes pour faire valoir le point de vue exprimé par les parlementaires. Aujourd’hui, la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale se trouve ainsi saisie chaque année d’environ 500 textes européens.

2008 : une révision de grande ampleur

En 2007, le Président Nicolas Sarkozy confie à un « Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République », présidé par Édouard Balladur, ancien Premier ministre, et formé de responsables politiques et de constitutionnalistes venus d’horizons divers, le soin de lui remettre des propositions. Le rééquilibrage des rapports entre le Parlement et l’exécutif est au cœur des enjeux, les prérogatives de l’exécutif s’étant notablement étendues au fil du temps. Les travaux du Comité ont servi de guide à la rédaction d’un projet de loi constitutionnelle, adopté par le Congrès le 21 juillet 2008 et promulgué le 23, sous le titre de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République. Cette révision de grande ampleur (plus de 40 articles de la Constitution sont modifiés ou ajoutés) accroît singulièrement les pouvoirs du Parlement, au point que certains commentateurs ont pu craindre la fin du parlementarisme rationalisé, gage de stabilité depuis 1958.

En premier lieu, le Parlement maîtrise désormais la moitié de son ordre du jour, soit deux semaines par mois, une semaine devant être réservée au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques, un jour de séance par mois étant réservé à un ordre du jour arrêté par les groupes de l’opposition. En outre, le nombre des commissions permanentes peut être porté à huit (au lieu de six).

Deuxième innovation notable : les textes discutés en séance publique seront ceux adoptés en commission et non plus ceux dans la version retenue par le Gouvernement (à l’exception des projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale, et des projets de révision constitutionnelle). Le Parlement se prononçant désormais sur les textes émanant des commissions, le Gouvernement doit se concerter davantage avec sa majorité, faute de quoi il doit présenter des amendements en séance publique. Par ailleurs, en l’absence de recours à la procédure accélérée, un délai de six semaines dans la première assemblée saisie, et de quatre semaines dans la deuxième, a été instauré entre le dépôt d’un texte et son examen en séance publique. Cela permet aux commissions de procéder à des auditions et de préparer l’examen du texte en séance publique dans de meilleures conditions que précédemment.

Troisième innovation majeure, l’usage de l’article 49-3 se voit limité aux projets de lois de finances et de financement de la sécurité sociale et à un seul texte par session. L’exécutif se prive ainsi d’une des armes principales du parlementarisme rationalisé. Privation toutefois limitée tant que le fait majoritaire sera la règle, mais qui peut se révéler contraignante en cas de majorité divisée.

Si ces innovations sont importantes, le rôle du Parlement ne s’en trouve revalorisé que dans la mesure où les parlementaires se les approprient, ce qui suppose un investissement total parfois difficile à tenir, compte tenu du fait que nombre d’entre eux ont aussi des responsabilités locales. À cet égard, les lois du 14 février 2014 viendront restreindre les possibilités de cumul des mandats nationaux et locaux.

Le Sénat

Ces modifications posent également la question du rôle du Sénat. Notre système institutionnel n’étant pas fédéral, l’existence d’une seconde chambre n’est pas obligatoire, car les collectivités locales françaises n’exercent aucune prérogative relevant de la souveraineté nationale. Son intérêt principal,qui n’est pas mince, réside dans l’amélioration de la législation, puisque le bicamérisme accentue le caractère contradictoire des débats dans la procédure législative.

Certaines réformes de l’institution sénatoriale semblent indispensables. Il est vrai qu’elles ont été différées à la suite de l’échec du référendum de 1969, qui prévoyait la fusion du Sénat avec le Conseil économique et social et la suppression de ses pouvoirs législatifs. Sans aller aussi loin, le raccourcissement de la durée du mandat des sénateurs (porté de neuf à six ans) et l’augmentation de leur nombre (331 en 2004, 343 en 2008, 348 en 2011) dans le but d’améliorer la représentativité de la seconde chambre par la réforme du 30 juillet 2003 constituent déjà une évolution remarquable, complétée par la réforme du collège électoral désignant les sénateurs par la loi du 2 août 2013.

Les pistes de réflexion sont donc nombreuses. Quelle qu’en soit l’issue, le président de la République demeure un acteur incontournable du changement constitutionnel. En effet, les procédés de révision de la Constitution donnent au chef de l’État toute latitude pour initier et faire entériner les modifications de la norme fondamentale. Cependant, même avec le soutien d’une majorité importante à l’Assemblée nationale, il ne peut redessiner les contours et le mode de fonctionnement des institutions sans tenir compte du point de vue du Sénat, sauf à recourir au référendum.