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© Cyril Labourayre / Stock-adobe.com

La souveraineté nationale

Temps de lecture  6 minutes

Par : Frank Baron - Conseiller de l’Assemblée nationale

La République étant "le gouvernement du peuple par le peuple, pour le peuple" (article 2 de la Constitution), l'exercice de la souveraineté nationale est délégué par les citoyens à des représentants élus. La Ve République mêle, de façon singulière, des éléments de démocratie directe à un régime représentatif.

Définition de principe

La souveraineté se définit, en droit, comme la détention de l’autorité suprême, c’est-à-dire d’un pouvoir absolu (dont tous dépendent) et inconditionné (qui ne dépend de qui que ce soit). Dans les régimes despotiques, la souveraineté est le plus souvent détenue par un seul homme. Dans les démocraties, elle est détenue par le peuple, constitué en un corps politique, la Nation : on parle dès lors de souveraineté nationale.

En France, l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 l’énonce clairement : "Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément". Dans ce cadre, la souveraineté ne peut être exercée par un despote, ni divisée entre plusieurs fractions du peuple : elle est détenue par un être collectif et indivisible, distinct des individus qui la composent.

Mais les contraintes de l’exercice du pouvoir impliquent que cette souveraineté soit déléguée : le peuple, bien que constitué en corps politique, ne peut en effet délibérer directement sur les affaires publiques. Cette mission est donc confiée à des représentants élus, dont les décisions constituent l’expression de la volonté générale.

Sur ce point l’article 6 de la Déclaration de 1789 dispose que "la loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs Représentants à sa formation. (...)"

Conséquences pratiques

La souveraineté nationale implique l’existence d’un régime représentatif, c’est-à-dire d’un système politique dans lequel le pouvoir législatif est détenu par une assemblée parlementaire élue par le peuple constitué en corps politique. La souveraineté nationale s’oppose à la notion de souveraineté populaire, qui implique pour sa part des mécanismes de démocratie directe, comme les assemblées de citoyens, le mandat impératif ou les référendums. La notion de souveraineté nationale légitime la représentation du peuple par un corps législatif élu par lui, tout en étant doté d’une véritable autonomie dans la prise de décision.

Cette notion a, en outre, des conséquences importantes sur l’organisation du corps législatif :

  • le pouvoir qu’il exerce ne peut être délégué ou partagé (la souveraineté est indivisible) ;
  • le mandat des représentants doit être limité dans le temps (la souveraineté est inaliénable) ;
  • la nation ne peut déléguer l’exercice de la souveraineté de manière définitive (la souveraineté est imprescriptible).

Dans les systèmes démocratiques, le suffrage est toujours universel, égal et secret. Mais le principe de la souveraineté nationale a pu être mis en œuvre dans le cadre d’un suffrage censitaire, restreignant l’effectif du corps électoral et des personnes éligibles en fonction de critères de fortune ou de capacité. Le principe de la souveraineté nationale n’exclut pas, par ailleurs, l’existence d’institutions incarnant la continuité de l’État, qu’il s’agisse d’un monarque ou d’une chambre haute, parfois composée de membres inamovibles (ex. : Chambre des Lords au Royaume-Uni, ou Monarchie de Juillet en France).

Le principe de la souveraineté nationale implique par ailleurs l’interdiction du mandat impératif. Même si les membres des assemblées parlementaires sont élus, en fait, dans des circonscriptions correspondant à une portion du territoire, ils représentent en droit l’ensemble de la nation. Les parlementaires ne représentent donc pas les seuls électeurs qui les ont choisis, mais la nation dans son entier : ce sont "les représentants du peuple".

L’interdiction du mandat impératif est la conséquence logique de cette conception, car un tel principe reviendrait à lier le représentant à la volonté des représentés. Le représentant ne ferait alors que traduire la volonté exprimée par les électeurs, sans pouvoir se prononcer en conscience.

Le système du mandat impératif est en fait fondé sur une conception différente de la souveraineté. Celle-ci est certes détenue par le peuple, mais elle est partagée par chaque citoyen qui le compose. L’existence d’assemblées représentatives ne serait dès lors plus indispensable, ou du moins, celles-ci n’ont plus le monopole de l’expression de la volonté générale. Cette souveraineté populaire légitime la mise en place de procédures de démocratie directe, comme les référendums.

Dans son Contrat social (1762), Jean-Jacques Rousseau a largement développé cette conception de la souveraineté : "Supposons que l’État soit composé de dix mille citoyens. Le souverain ne peut être considéré que collectivement et en corps. Mais chaque particulier, en qualité de sujet, est considéré comme individu. Ainsi le Souverain est au sujet comme dix mille est à un, c’est-à-dire que chaque membre de l’État n’a pour sa part que la dix-millième partie de l’autorité souveraine, quoiqu’il lui soit soumis tout entier."

Il est vrai, toutefois, que ces deux principes – souveraineté nationale, souveraineté populaire – ne sont pas toujours exclusifs l’un de l’autre :

  • l’article 3 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose ainsi que "la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum" ;
  • l’article 27 dispose pour sa part que "tout mandat impératif est nul".

En faisant coexister un régime représentatif avec des procédures de démocratie directe, la Ve République mêle donc les deux notions.